Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Plus que jamais, les best-sellers, les séries télé et le 7e art inspirent l’industrie du tourisme. Ainsi, avant même leur sortie en salle, Anges et Démons ou Millénium ont déjà donné naissance à des balades thématiques à Rome ou Stockholm. Visite guidée.

Rome. La Ville éternelle. L’église Santa Maria del Popolo. Par un samedi après-midi frisquet de février. Un guide chevelu, tout de noir vêtu, qui semble davantage sorti de Matrix que des rangs de la garde suisse, raconte sommairement Anges et Démons, la suite – au cinéma – du Da Vinci Code, succès planétaire. Il en cite quelques extraits à haute voix – ou presque, on est tout de même dans un lieu de culte – et ponctue la visite d’interventions historiques, plus ou moins intéressantes. L’homme nous trimballe aux quatre coins de la ville, pour terminer au château Saint-Ange. Il déchiffre les messages cachés dans les sculptures de Bernini et les textes de Galilée. Imperturbable malgré le brouhaha ambiant. Les coups de klaxon. Rome et son agitation. Rome et sa circulation.

The Path of illumination : tel est le nom de cette visite touristique guidée par les scènes clés du roman de Dan Brown, adapté à l’écran par Ron Howard, et en salles depuis ce mercredi 13 mai.  » Si on l’approche, la considère de manière organisée et ciblée, cette forme de tourisme culturel liée aux best-sellers et surtout au cinéma reste relativement récente, analyse Josette Sicsic, la directrice de Touriscopie, mensuel entièrement consacré à l’observation des nouveaux comportements, des nouvelles pratiques et aspirations des marchés français et internationaux dans le domaine du temps libre. Chaque guide montre et raconte ce qu’il veut ( sic) aux touristes de passage mais ce genre de thématiques permet de diversifier l’offre. De renouveler les parcours. D’agrémenter les promenades.  »

Partout dans le monde, les professionnels du secteur déclinent leurs balades en fonction des spécialités locales (les fleurs, la bière, le vinà) et d’éléments qui nourrissent l’imaginaire collectif.  » Or, le cinéma est un art plus populaire et grand public que la sculpture du Moyen Age, reprend Josette Sicsic. 28 millions de visiteurs débarquent chaque année à Paris et sur ce laps de temps, la Maison de Victor Hugo ne fait pas plus de 100 000 entrées. Une belle brochure n’attire pas les foules. Mais pour avoir tenté la carte de l’originalité avec des visites de la Ville lumière à travers la chanson, je peux vous dire que ce genre d’initiative n’intéresse pas les organisateurs de voyages. Les Japonais et les Chinois qui font une halte à Paris s’attendent surtout à voir la tour Eiffel, Notre-Dame et le musée d’Orsay. Tandis que les Européens et les Américains ne passent pas ou peu par les tours organisés. « 

Selon la plupart des études sur les comportements touristiques, les gens se déplacent seuls en ville quand ils y restent plus de 48 heures. Chacun organise son séjour en fonction de son bagage intellectuel et culturel. Les guides comme le Lonely Planet et Le Routard mais aussi, voire surtout, Internet permettent aux cinéphiles de satisfaire leur curiosité avec quelques anecdotes.

Miroir à paillettes

En Suède, le Musée de la ville de Stockholm organise ainsi des visites guidées en anglais, français, italien et espagnol sur les traces de Millénium. La trilogie policière vendue à plus de huit millions d’exemplaires dans le monde a donné naissance à une petite promenade d’une heure et demie. A Götgatan, on s’arrête devant la prétendue adresse du magazine qui a donné son nom aux bouquins. Un peu plus loin, on entre au supermarché Seven Eleven où l’étrange héroïne Lisbeth Salander a l’habitude de faire ses courses. Le Kvarnen, son restaurant favori, est aussi au programme de la visite. Comme la possibilité de passer une nuit aux hôtels Hilton et Sheraton où se déroulent plusieurs scènes du livre. Pas sûr que l’auteur Stieg Larsson, décédé en 2004, aurait apprécié. En attendant, cet homme de gauche avait décrit avec beaucoup d’acuité et de détails le décor de son £uvre.  » C’est sans doute pour cette raison que les lecteurs veulent découvrir les lieux de l’intrigue, observait dans Le Figaro Marc de Gouvenain, cotraducteur et éditeur chez Actes Sud. Stieg Larsson a bien fait son travail de journaliste. Il s’est appuyé sur la réalité pour construire son histoire.  »

La fréquence des promenades s’intensifie aujourd’hui avec la sortie du film en salles. Les guides accompagnent la visite littéraire par celle des lieux de tournage. Racontent les libertés prises par le réalisateur. Car le cinéma, art des paillettes, des vedettes, du star-system, est vendeur. On aime (se) dire qu’on s’amuse avec les mêmes jouets que Tom Hanks dans Big chez FAO Schwarz, le célèbre magasin à New York ou qu’on aura peut-être un coup de foudre comme Hugh Grant, à Londres, dans le quartier de Notting Hill.

Le touriste plébiscite aussi bien les lieux de tournage que les studios (Babelsberg dans les environs de Berlin, Cinecittà aux portes de Romeà) ou les parcs à thèmes (en Californie, en Floride, au Japonà). La Grande-Bretagne ne s’y est pas trompée. La cathédrale de Gloucester, le château d’Alnwick, la ville d’Oxford ont par exemple été intégrés dans davantage de circuits touristiques après la sortie d’ Harry Potter. Il y a quelques années, Highlander et Braveheart avaient dopé la cote de popularité de l’Ecosse.

Vitrine de prestige

Le cinéma allume aussi ses projecteurs plus près de chez nousà Bienvenue chez les Ch’tis a éclairé l’image tristounette du Nord. Au printemps, la ville de Bergues estimait à 50 % la hausse de sa clientèle française.  » Certains films comme celui-là font la promotion d’un pays, d’une région, reconnaît Josette Sicsic. Un Américain à Paris ou un Lawrence d’Arabie ont durablement marqué les esprits. Out of Africa est même un film de référence. Il a contribué à façonner une certaine image de l’Afrique.  »

Et ce n’est pas un hasard si l’Office du tourisme australien a dépensé 32 millions de dollars (environ 22 millions d’euros) dans la campagne de promotion d’ Australia.  » Les films constituent d’excellent outils de communication. En France, les Régions accordent régulièrement des subventions à certains projets cinématographiques pour que des films soient tournés sur leur sol. On peut parler d’échange, de sponsoring. La Région ne demande pas que soit tourné un film touristique mais elle attend que des scènes mettent son patrimoine en valeur. Barcelone a ainsi investi beaucoup d’argent dans Vicky Cristina Barcelona, le dernier film de Woody Allen.  »

Un événement d’autant plus retentissant que le petit réalisateur talentueusement radoteur n’avait jamais tourné qu’à New York et à Londres.  » Après, il me semble très difficile de chiffrer les retombées. Combien de personnes vont vouloir marcher sur les traces de Scarlett Johansson, Rebecca Hall et Penelope Cruz ? Sans doute, seulement, une poignée d’initiés. « 

En Flandre, embrassant la popularité et la visibilité que pouvait lui apporter Bons Baisers de Bruges, dont Colin Farrell est un des acteurs principaux, l’Office du tourisme de la Venise du Nord a créé un parcours cinéma avec un aperçu des différents endroits de tournage, un fascicule toujours téléchargeable sur son site Internet. Il a même imaginé un package couplant repas et nuitée.  » Il est difficile d’évaluer le retentissement du film mais certains hôtels – une dizaine d’entre eux ont participé à l’opération – ont vendu une petite centaine de forfaits, explique Bieke Janssens, assistante de presse du City Film Office, dont le but est de promouvoir Bruges comme destination touristico-culturelle, soutenant la production de projets audiovisuels. La ville n’a pas contribué au long-métrage d’un point de vue financier mais elle l’a soutenu en offrant des services logistiques (police, pompier). Sachant qu’ In Bruges contribuerait à sa notoriété.  »

Reste à savoir pour combien de temps.  » Les gens visitant Montmartre continuent de s’arrêter au Café des 2 Moulins qui n’a rien de particulier mais entretient le mythe d’ Amélie Poulain, remarque Josette Sicsic. Ce genre de visite relève toutefois de l’effet de mode. A Paris, désormais, marcher sur les traces du Da Vinci Code, c’est terminé depuis longtemps.  »

Cinquante ans après la sortie de Sueurs froides, le fantôme à la silhouette bedonnante d’Alfred Hitchcock plane pourtant encore et toujours sur San Francisco. Aaron Leventhal et Jeff Kraft ont d’ailleurs écrit Footsteps in the fog. Un guide touristique qui présente les lieux hitchcockiens de la baie.

Récemment, le York Hotel, anciennement Empire, est officiellement devenu l’hôtel Vertigo. Il a accueilli l’une des mythiques scènes du film, traduit pour les Francophones par Sueurs froides. Celle où la jolie Madeleine (Kim Novak) sort de sa salle de bains. Blonde et ressuscitée.

Dans les chambres, les tableaux accrochés aux murs s’inspirent de la spirale du graphiste américain Saul Bass qui avait dessiné l’affiche du film lors de sa sortie en 1958. Le classique du cinéma à suspense est évidemment disponible 24 heures sur 24 pour les clients. L’hôtel propose également des chambres dans le quartier chic de Nob Hill, où il est également possible de visiter l’appartement de Madeleine et l’hôtel Fairmount où logeaient Hitchcock et son équipe pendant le tournage. Les dépliants ne garantissent pas une fenêtre sur cour.

Julien Broquet

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