Flambant neuf, le Bastogne War Museum est un centre de mémoire à la fois passionnant, interactif et vivant. Visite guidée et rencontre avec son directeur.

Le 21 mars dernier, la ville de Bastogne était particulièrement fière d’ouvrir les portes de son nouveau parcours muséal dédié à la guerre 40-45. Fière d’être arrivée au bout de près de trois années de travaux. Fière d’avoir imaginé un digne successeur au Bastogne Historical Center, qui avait fait son temps depuis son inauguration en 1976. Fière, enfin, d’avoir confié la tâche à Idelux (développeur de projets publics en Wallonie) et à la société Tempora (concepteur belge de sites culturels) qui ont parfaitement cerné l’enjeu et l’ambition  » grand public  » du projet, ainsi que la soif de modernisation dans la manière de tourner les pages de l’Histoire. Un très beau lieu est né. Un de ceux où l’on aurait pu entrer en se disant  » Encore un musée sur la guerre « , mais d’où l’on ressort en pensant  » En voilà un musée sacrément bien fichu « . Pour de nombreux citoyens belges, Bastogne est loin d’être la ville la plus proche, mais elle possède désormais une excellente raison d’y consacrer quelques kilomètres, quelques heures et quelques éclairages précieux à propos de ce fameux conflit mondial que l’on croit connaître par coeur…

 » En fait, dès le 60e anniversaire de la bataille des Ardennes, la remise à neuf de ce centre de mémoire avait été envisagée, explique Mathieu Billa, responsable du Bastogne War Museum. On a donc eu pas mal de temps pour faire germer nos idées et, aujourd’hui, on est très heureux du résultat. On voulait quelque chose d’à la fois audacieux et moderne dans les décors, mais aussi un vrai côté interactif. Une redynamisation, une meilleure mise en valeur des objets et, surtout, un lieu qui se visite autant qu’il se vit. Bref, on voulait s’éloigner du stéréotype du musée poussiéreux, en utilisant tous les moyens d’aujourd’hui.  » Dès l’entrée, le design épuré de la façade surprend. Une fois à l’intérieur, même sensation de travail bien fait : hall spacieux, accueil souriant, distribution d’audioguides  » hygiéniques  » (ils ne touchent pas les oreilles) et lumières parfaitement distillées. Aucun détail n’a été laissé au hasard. C’est donc dans une atmosphère empreinte de respect et de curiosité que l’on s’avance vers la première salle. Un char américain indique la direction à suivre. Un cousin du tank Sherman sur lequel, non loin de là, sur la fameuse place McAuliffe de Bastogne, des dizaines de visiteurs prennent chaque jour la pose…

DES GUIDES DE TOUS CAMPS

Quatre personnages, représentés sur un mur, se présentent au visiteur. Ils serviront de guides tout au long du parcours. Hans Wegmüller, lieutenant allemand. Robert Keane, caporal américain. Mathilde Devillers, jeune institutrice bastognarde. Et Emile Mostade, écolier de 13 ans.  » Ce sont des personnages imaginaires, mais chacune de leurs histoires est basée sur des faits authentiques. C’est particulièrement vrai pour le petit garçon, dont le vécu est inspiré par un gamin originaire de Rochefort qui, pendant la guerre, a écrit plein d’anecdotes dans un carnet. Il a accepté de nous prêter ses écrits, en discutant longtemps avec nous pour qu’on soit le plus proche possible de la réalité.  » Quatre visages qui, dès la salle suivante, se transforment en quatre voix. Pour autant de points de vue qui constituent indéniablement l’une des forces du musée. Nos livres scolaires ou nos grands-parents résument souvent la Seconde Guerre mondiale comme un conflit  » entre les gentils et les méchants « . En oubliant parfois que derrière chaque soldat, se cachait un être humain, même quand il était né du mauvais côté. En offrant des regards multiples, le musée n’entend nullement justifier ou pardonner la barbarie, mais il a le mérite de replacer chaque protagoniste dans un contexte, une période et une bataille dont beaucoup d’hommes auraient viscéralement voulu se passer.

Le parcours suit alors le tracé d’une ligne du temps. L’ambiance morose des années d’avant-guerre, la récession, l’éclosion des partis extrémistes en Europe et l’inéluctable ascension d’Adolf Hitler. La Belgique occupée, la reddition de notre armée, l’exode des civils, la résistance et la collaboration. Le débarquement et la libération, bien sûr, qui furent loin de constituer la fin de la guerre. La bataille des Ardennes qui, durant l’hiver 1944, allait laisser des traces indélébiles dans toute une région et tout un pays. Un combat crucial où les soldats alliés, allemands et britanniques ont épuisé leurs dernières forces, avant que les bombes finissent enfin par se taire.  » C’est évidemment l’une des étapes clés du musée, parce que ce fut l’une des batailles les plus importantes du conflit mondial, confirme Mathieu Billa. On se pose la question : pourquoi ici ? En quoi le front de Bastogne a-t-il été décisif ? Que s’est-il passé après ? Mais attention : si on y consacre de la place, la volonté était de donner une vision globale. On s’adresse évidemment à un public très large, qui va du passionné au quidam possédant une image assez vague de cette guerre. On est conscients que les derniers témoins sont en train de disparaître et que c’est un peu le cinéma qui prend le relais, avec des films qui dénaturent parfois certains faits. En réunissant les collections de la ville (dont celles qui étaient déjà dans l’ancien musée) et plusieurs collections privées, on offre un panorama riche. Il y a encore quelques corrections ou des détails à peaufiner, mais on vise la perfection…  »

IMMERSION TOTALE

Ultime atout du lieu, et non des moindres : trois scénovisions qui s’immiscent à trois endroits différents de la visite. Des mini-théâtres où l’on s’assied une quinzaine de minutes, le temps de s’immerger dans un décor et une atmosphère. Les écrans, les bruits et les ressentis de nos quatre guides sonores s’occupent du reste, nous plongeant dans des moments clés. Sans tout dévoiler, histoire de ne pas gâcher la surprise, disons que la première scénovision se focalise sur l’avancée des forces de l’Axe, au début de la guerre. La deuxième raconte l’offensive, dans les entrailles enneigées de la forêt ardennaise. La troisième, elle, nous emmène dans un estaminet de Bastogne qui, assailli par les bombardements, va se transformer en abri, obligeant le décor à se soulever pour que le spectateur se retrouve dans la cave. Une vraie réussite, une de plus, qui permet à la fois de sentir, de vivre et de s’immerger au coeur de l’Histoire.  » Ce sont des scènes créées de toutes pièces. Le but n’était évidemment pas de faire un show, mais bien de proposer des petites expériences multisensorielles allant au-delà de simples écrans. Notons d’ailleurs que la majeure partie des illustrations sont signées par le dessinateur liégeois Philippe Jarbinet, qui connaît bien la Seconde Guerre mondiale pour y avoir consacré une série, Airborne 44 (éditions Casterman).  »

En fin de parcours, la bordée de tombes rappelle le lourd bilan humain, tandis que la borne de la Voie de la Liberté (qui relie Bastogne à Sainte-Mère-l’Eglise, en France) sonne le glas d’un récit décidément passionnant. Ensuite, une seule direction possible pour redonner un peu de lumière à nos yeux : le majestueux Mardasson, dressé à quelques pas de là. Inauguré en 1950 en présence, notamment, du général McAuliffe, ce mémorial en forme d’étoile exprime la reconnaissance du peuple belge envers l’armée américaine. Sur le fronton, sont gravés les noms des 50 états. Un symbole d’amitié jouxtant une crypte creusée dans la roche, dont les trois autels sont dédiés au catholicisme, au protestantisme et au judaïsme. On ne quitte pas un tel endroit sans songer aux 150 000 victimes provoquées par une seule bataille. On se dit qu’à peine 70 années ont passé et on comprend pourquoi le temps, ici, semble s’être arrêté. En s’échappant définitivement de ce Bastogne War Museum qui, l’air de rien, s’impose désormais comme le centre de référence de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, on se dit qu’on a bien fait de venir jusque-là. Même les enfants ont apprécié, la preuve, ils ont encore mille questions à poser dans la voiture.  » En voilà un musée sacrément bien fichu…  »

www.bastognewarmuseum.be

PAR NICOLAS BALMET / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

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