Carnet d’adresses en page 115.

La vue est fabuleuse : une perspective plongeante de palmiers royaux qui invite irrésistiblement les visiteurs à poursuivre leur chemin. Au loin, les montagnes de l’Escambray cernées par le Pico San Juan. Ainsi s’ouvre au regard, le doyen des six jardins botaniques de Cuba. Sis à 18 kilomètres de Cienfuegos, au sud-ouest de l’île, il couvre pas moins de 94 hectares et recèle plus de 2 000 espèces. Sa richesse en fait l’un des laboratoires de prédilection des chercheurs.  » Nous comptons 200 sortes de palmiers, 51 de ficus et 28 de bambous, précise Ilena Garcia, botaniste et guide des lieux. C’est un cadre d’études exceptionnel de la flore tropicale mais aussi subtropicale car la grande majorité des espèces proviennent des 5 continents.  »

Surnommée  » la perle du sud  » en raison de la magnifique baie de la Jagua qui la borde, Cienfuegos est bien moins connue des touristes que La Havane, Trinidad ou Varadero. La cinquième ville du pays, découverte en 1494 par Christophe Colomb, mérite pourtant amplement le (petit) détour pour les voyageurs qui se rendent de La Havane à Camaguey. Ce haut lieu de l’industrie sucrière û liée de près au développement du très proche jardin botanique û a un charme fou. Le parque Marti, édifié à la fin du xixe siècle, ou la Punta Gorda, quartier résidentiel d’inspiration coloniale, contribuent au bien-être de la cité balnéaire empreinte d’une esthétique délicieusement désuète.

Dans le merveilleux jardin botanique de Cienfuegos, une allée unique serpente sur plus de deux kilomètres à travers bambouseraies, clairières et espèces aux proportions hors format.  » Grâce au climat, le kapokier peut atteindre 50 mètres de hauteur, souligne Ilena. Certains bambous poussent de 50 centimètres par jour. Le ficus bengali déploie aux extrémités de ses branches des lianes qui se ramifient jusqu’au sol, et il affiche des allures d’arbre multicentenaire alors qu’il a à peine plus de cinquante ans ! Certaines variétés semblent tout droit sorties de contes terrifiants.  » On frissonne, en effet, au pied d’un inquiétant baobab ventru à l’écorce blafarde. Plus loin, un tronc se tord puis s’inerve en quatre branches distinctes pour prendre l’apparence d’un corps féminin à peine stylisé…

 » Attention aux  » pommes d’éléphants  » « , met en garde Ilena, désignant au sol des fruits non comestibles de la taille d’une pastèque. Mais le plus étrange des hôtes du jardin botanique de Cienfuegos est certes celui que l’on nomme l' » arbre à saucisson « … Connu sous le nom de Talipo, il produit des fruits oblongs, suspendus au bout de tiges filiformes qui retiennent un poids pouvant atteindre 15 kilos !  » Un excellent ferment pour la préparation de la bière, poursuit Ilena. La plupart des plantations tropicales ont une fonction précise et utile. Le palmier est ainsi le champion du recyclage. Le bois entre dans la construction d’habitations ou la confection d’objets artisanaux. Les palmes servent de toits de fortune. Les fruits sont destinés à nourrir le bétail… Rien ne se perd.  »

Pour les 67 membres du personnel, le travail consiste surtout à circonscrire la croissance exponentielle des espèces qui ont tendance à envahir anarchiquement le paysage.  » Le jardin botanique de Cienfuegos est une composition libre, mais néanmoins ordonnée, note Ilena. Les espèces sont regoupées en familles û légumineux, plantes médicinales, arbres fruitiers û mais laissées à l’état naturel. Le seul point de repère précis est la serre tropicale, un petit laboratoire dédié principalement aux cactus.  »

Bien que peu touristique à ce jour, l’endroit est fréquenté depuis un siècle par les chercheurs de l’université Harvard. Tout débute en 1919, lorsque Edwin Atkins, un industriel américain implanté à Cuba et propriétaire d’une raffinerie de sucre à Soledad (aujourd’hui, Pepito Tey), acquiert les jardins environnants, ouverts en 1901, et en fait don au département de botanique tropicale de la prestigieuse université américaine. Une manière d’étudier de plus près les maladies végétales et d’améliorer in fine la production sucrière…  » Cienfuegos a accueilli plusieurs générations de professeurs et d’étudiants de Boston, mentionne Ilena. Le jardin botanique, qui s’appelait alors le Harvard Botanical Garden, a même servi de résidence d’été pour les étudiants américains. Mais, en 1961, date de l’embargo américain, les échanges se sont arrêtés net…  » Partiellement normalisées, les relations entre les Etats-Unis et Cuba ont favorisé ces dernières annés de nouveaux rapprochements entre les deux pays. En 1998, les descendants de Edwin Atkins ont été invités par le gouvernement cubain à retrouver le paysage où vécut leur ancêtre et à accéder aux archives de Cienfuegos. L’année suivante, l’université Harvard renouait solennellement les liens avec les conservateurs du jardin cubain…

Texte et photos :

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