Couteaux, coques, bulots… Sains, bon marché et eco-friendly, ils se prêtent à toutes les audaces culinaires. Les chefs parisiens en vue en sont fous. Et si, pour les fêtes, on essayait les coquillages sauvages ?

Les cuisiniers des tables parisiennes en vogue se seraient-ils soudain pris de passion pour la pêche à pied ? Rentrent-ils tous de vacances en Galice, le paradis des coquillages ? En tout cas, ils semblent s’être donné le mot :  » Couteau.  » Un coquillage étrangement oublié, jusqu’à sa soudaine renaissance.

Dès l’ouverture de Saturne, le bistrot à vins de Sven Chartier, à Paris, on ne parlait plus que de ses couteaux XXL et leurs poireaux crayon snackés. Au Verre volé, c’est le mardi et le vendredi qu’on les dégaine, en persillade, ponctués de chorizo, ou encore vapeur, avec du vinaigre de riz et de l’huile au yuzu (il y a un Japonais caché dans la cuisine toute neuve). Au Chapeau melon, cave à manger  » historique  » de l’Est parisien, on les enfourne avec un beurre d’herbes, une râpée de zeste de citron et de la chapelure. Et il n’y a pas que dans les tables bistrotières qu’on travaille cet étonnant bivalve. Au Chamarré Montmartre, Antoine Heerah les marie à des agrumes méconnus – combava, bergamote… – dont le jus acidulé réveille la douceur. Tandis que Laurent André, au néo-Royal Monceau, les coiffe, palace oblige, d’une cuillerée de caviar…

UNE PÊCHE ARTISANALE ET RESPONSABLE

Les coquillages émergents, donc, viennent souvent des côtes atlantiques de l’Écosse… où les gens du cru les snobent ! De même que les Irlandais boudent leurs coques. Philippe Bassez, intermédiaire à Rungis, plus grand marché de produits frais du monde, importe chaque semaine 120 kilos de razor clams (en français, tranchants comme des rasoirs), que la maison David Hervé, ostréiculteur réputé à Marennes, propose ensuite à ses clients restaurateurs, en plus des huîtres.

Aux Parcs Saint-Kerber, ostréiculteur top niveau à Cancale et créateur de l’huître Tsarskaya, on a vu l’activité coquillages s’emballer : + 59 % de couteaux vendus cette année. Disponibles en trois tailles, dont la XXL (19 cm au minimum, à 12 euros le kilo), ils sont exclusivement pêchés en plongée dans la Manche.  » On n’en trouvait quasiment plus ! explique Stéphan Alleaume, un des gérants. Aujourd’hui, trois patrons pêcheurs ont, sur notre demande, reconstitué des équipes de plongeurs professionnels, à qui leur licence permet de pêcher toute l’année. « 

Cette pêche côtière sans drague ni chalut se pratique par 5 ou 6 mètres de fond, en ramassant uni-quement les spécimens adultes (alors qu’aux Pays-Bas, autre important gisement, les fonds sableux sont ratissés sans ménagement). L’entreprise développe aussi la coque, ramassée à pied au nord de l’Écosse, dans l’estuaire de la Rance ou la baie du Mont-Saint-Michel.

EXIT LE PLATEAU DE FRUITS DE MER

Eco-irréprochables, les coquillages oubliés ?  » En surveillant leur provenance, on peut en manger toute l’année sans dégâts pour l’environnement « , assure Stéphane Hénard, responsable Aquariologie chez Nausicaá, à Boulogne-sur-Mer, et coordinateur du projet Mr Goodfish (1).  » D’autant que ces bivalves filtreurs « fabriquent » 1 gramme de coquillage… en avalant seulement 2 grammes de plancton : un des records de transformation du monde animal ! Ils sont riches en fer, en calcium, en vitamine B 12. Et très abordables : en grande surface, j’achète des amandes de mer à 2 euros le kilo, parfaites pour le clam chowder (soupe aux palourdes). Il y a un tel potentiel gustatif à explorer avec les coquillages !  »

À Paris toujours, le chef du restaurant Auguste, le jeune étoilé Gaël Orieux, très engagé en faveur de la pêche durable, adore pocher de l’agneau frotté d’ail et de thym citron dans un bouillon de coques. Résultat ? Un goût… de pré-salé ! Il l’escorte de cocos de Paimpol, de salicornes et d’un hachis de couteaux en persillade. Il travaille dans le même esprit la poitrine de cochon, la côte de veau ou la volaille.  » J’adore le goût de l’eau salée dans la bouche, et je le poursuis aussi dans ma cuisine « , confesse ce Breton fou de plongée.

Tout ce qui se mange et vit dans la mer à l’abri d’une coquille enthousiasme aussi Giovanni Passerini, du Rino, nouveau bistrot italien créatif. Il aime mixer le côté frais-iodé des coquillages avec le gras de la moelle, ou les  » réveiller  » avec de l’amer, comme ces pissenlits qu’il jette sur son velouté de couteaux et panais.  » Il n’y a pas de restaurants de fruits de mer en Italie, explique-t-il. On mange des coquillages toute l’année, sautés, le plus nature possible. Ou alors avec la pasta, même si les vongole veraci ont pratiquement disparu. Aujourd’hui, les vongole viennent de Thaïlande !  »

CUISINÉS  » BRUT « , ET SUPERNATURE

Si on les achète chez le poissonnier, dessablage et nettoyage sont une formalité (ces bestioles-là ont décanté en bassin). En outre, elles sont bien plus aisées à cuisiner que le poisson, si l’on s’en tient à ce principe simplissime : quand c’est ouvert, c’est cuit ! Monter le jus de cuisson avec un peu de beurre ou de crème, aciduler avec un vinaigre chic, un jus d’agrumes ou une giclée de sauce soja n’est pas la mer à boire non plus. Impératif : dénicher un large sautoir, plutôt qu’utiliser une marmite haute pour une cuisson parfaite et simultanée.

Sven Chartier adore faire ouvrir un mélange de coquillages… dans la cheminée, en y posant simplement la cocotte.  » Ça leur donne un côté fumé, ça accentue leur côté brut, quasiment préhistorique, s’enflamme-t-il. Surtout, qu’on les mange à la main, en se léchant les doigts !  » Ça vous dirait, comme it plat de l’hiver, de la finger food paléolithique ?

(1) Consulter la liste sur www.mrgoodfish.com

PAR MARIE-ODILE BRIET

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