C’est ici, sur les rives du Guadalquivir, que commence, en 711, la brillante civilisation arabe d’Al-Andalus. Plusieurs siècles d’or qui ont laissé un patrimoine et une culture uniques au monde.

Guide pratique en page 48.

Comme toujours, la lumière à Cordoue est radieuse, insistante, éblouissante. On a hâte à s’enfoncer dans la pénombre moelleuse et reposante de la cathédrale-mosquée. Ici, on n’est plus qu’un grand regard, deux yeux écarquillés qui guettent une issue possible dans cette forêt de colonnes (856 au total !), d’arcs rouges et blancs suspendus au-dessus de la tête, mille et mille fois répétés, dessinant dans l’espace des courbes ondoyantes. On ne se lasse pas de cette répétition faussement monotone, de cet équilibre spontané, pourtant savamment calculé, de ces perspectives déployées, toujours pareilles et toujours surprenantes, de ces labyrinthes entrecroisés, de ces mille lignes droites confondues, dispersées, ordonnées. Cet un univers impassible et muet qui donne une sensation d’infini, de grandeur et d’une beauté à couper le souffle.

Les Arabes s’emparent de Cordoue en 711. Elle devient la capitale du premier émirat omeyyade en Europe, puis califat indépendant à partir de 929, sous le règne d’Abd el-Rahman III. Sous l’impulsion de ce souverain éclairé, Cordoue devient l’une des cités les plus raffinées et les plus cosmopolites du Moyen Age. Aimantés par sa richesse, par sa tolérance, aussi, musulmans, juifs et chrétiens y affluent. Ils y vivent et cohabitent dans une paix et une sérénité les plus parfaites. Erudit et cultivé, Abd el-Rahman III favorise l’épanouissement de la littérature, de la musique et de l’art, accueille et  » sponsorise  » des savants et des médecins les plus brillants de l’époque. Il prône le respect, la tolérance et la curiosité qui doivent l’emporter sur les valeurs identitaires.

Cordoue,  » sa  » capitale, doit éclipser Bagdad. La mosquée doit être le grand sanctuaire de l’Islam, elle doit faire oublier celles de Damas, du Caire et de Kairouan. Il fait donc embellir et enrichir la mosquée, fondée en 786, par son aïeul Abd el-Rahman Ier, y ajoute un impressionnant minaret. Ses successeurs, al-Hakman II et al-Mansour, donneront à ce chef-d’£uvre son allure et sa surface (23 000 m2 !) définitives.

La célèbre cour des orangers était là depuis les débuts. A l’origine, elle était plantée vraisemblablement de palmiers, l’oranger n’ayant fait son apparition en Europe qu’au début du xie siècle. Selon la légende, les orangers ont été plantés, à la fin du xve siècle, à la demande d’Isabelle la Catholique, grande adepte de la confiture d’oranges amères. Les trois fontaines pour les ablutions de la période musulmane n’existent plus. La fontaine que l’on voit, est plus tardive. En revanche, le patio a conservé intact son système d’arrosage liant entre eux, par d’étroits canaux en pierre, les vieux arbres chargés de fruits.

Après un âge d’or exceptionnel, l’inévitable déclin commence et facilite la tâche de la reconquête chrétienne. Lorsque le roi Ferdinand III pénètre dans la ville en 1236, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Seule la grande mosquée garde la splendeur du passé. Ferdinand III ordonne de  » recycler  » toutes les mosquées de Cordoue en églises, d’où leur nom :  » fernandinas « . Curieusement, il ne fait pas démolir la grande mosquée. Selon les historiens, il aurait été trop impressionné par son architecture splendide et grandiose. Ferdinand se contente d’une transformation  » cosmétique « . On supprime des détails architectoniques arabes trop pertinents et on rajoute des éléments décoratifs chrétiens. Les premières chapelles apparaissent (il y en a 55 aujourd’hui). Le minaret sera coiffé d’un immense clocher. Cela dit, des coups de pioche, il y en aura, hélas, beaucoup plus tard, sous le règne de Charles Quint. L’empereur n’a jamais vu ce chef-d’£uvre. En 1523, à la demande de l’évêque Alonso de Manrique, il autorise la destruction de la partie centrale de la mosquée, pour y construire une cathédrale. Trois ans plus tard, Charles Quint se marie à Séville avec Isabelle de Portugal et fait un saut à Cordoue, tout proche. En visitant la mosquée-cathédrale, son regret est sans limite.  » Si j’avais su ce que vous vouliez faire, vous ne l’auriez pas fait car ce que vous faites là peut se trouver partout et ce que vous aviez auparavant n’existe nulle part !  » aurait-il dit à ses chanoines. Le contraste est vraiment saisissant entre cet amalgame de styles (gothique, Renaissance, baroque et plateresque), jeté comme un monument de conquête en plein milieu de la gracieuse forêt de marbre plantée par les califes. La seule consolation ? Cette construction extravagante a peut-être épargné la disparition de la mosquée dans sa totalité…

Pour ne pas rompre le charme, on flâne sur les berges du Guadalquivir et on se dirige vers l’imposant Alcazar, palais d’Abd el-Rahman Ier, transformé au xive siècle en forteresse, flanquée aux quatre coins par des tours différentes. Isabelle et Ferdinand, les redoutables rois catholiques, habitent ces murs rassurants pendant plusieurs années. Ici, ils échafaudent et peaufinent les plans de la Reconquête qui aboutira le 1er janvier 1492, avec la prise de Grenade, tout proche. Ici, ils reçoivent la visite d’un certain Christophe Colomb, impatient de se lancer à la découverte de mondes nouveaux et donc ayant besoin de gros sponsors… La suite est plus sombre. Pendant 300 ans, l’Alcazar sera le siège de la terrible Inquisition. Aujourd’hui, tous les espoirs y sont de nouveau permis. Monument public, le bâtiment abrite la mairie et l’on s’y marie civilement tous les vendredis. Dans une des salles, on ne manquera pas d’admirer les mosaïques romaines de l’époque de l’empereur Auguste, récupérées dans un amphithéâtre en 1969. Les jardins,  » arabes « , sont magnifiques. Le regard embrasse une belle perspective dessinée par des bassins d’eau, bordés de colonnes de cyprès.

On traverse le Guadalquivir pour visiter la Torre Calahorra. Imposante et puissante, cette tour carrée contrôlait le passage et défendait le pont romain qui a permis le développement de la ville. Aujourd’hui, elle abrite le musée consacré à l’islam. C’est une initiative de Roger Garaudy, le très controversé philosophe français converti à l’islam. Avec le billet d’entrée, on vous livre un casque à infrarouge. On se balade librement dans les différentes salles, en écoutant les commentaires, vraisemblablement rédigés par Garaudy et donc très proches de ses convictions. Il y est question des grands courants de pensée en Espagne, au xiie et xiiie siècle. On entend les propos de Maïmonides (médecin, théologien et philosophe juif né à Cordoue), Averroès (médecin et philosophe né également à Cordoue) ou le roi Alphonse X. Il y a aussi deux maquettes géantes et superbes (la mosquée de Cordoue et l’Alhambra de Grenade) qui valent vraiment le déplacement. En quittant la Calahorra, on s’arrête un instant sur le pont pour admirer tranquillement la composition merveilleuse qu’on a devant les yeux. Car, fait rarissime, rien n’a été modifié dans l’ensemble de la ville depuis des siècles. Le voyageur du xviiie siècle, en arrivant de Séville par cette route, avait la même vision de la ville. Rien n’a changé, sauf la mode vestimentaire et les moyens de transport. L’atmosphère est toujours la même, la beauté est toujours intacte. Magique !

On repasse devant les murailles impérieuses de la mosquée-cathédrale, pour se perdre dans la vieille ville, la Juderia. Ancien ghetto juif, ce quartier, le plus ancien, borde la mosquée de toutes parts. C’est un adorable écrin de belles demeures, de belles fontaines et de patios fleuris. On risque des coups d’£il discrets à travers les grilles qui ressemblent à des châles de dentelles arachnéennes, pour admirer la simplicité des décors, parfois  » enrichis  » d’un tapis de faïence qui change la couleur de la lumière. Ici, dans ces venelles, dans ces cours secrètes, le temps s’est arrêté depuis des siècles. Une seule synagogue, minuscule, datant de 1315, évoque le passé du quartier (à l’époque, il y en avait une trentaine). On peut la visiter. Après l’expulsion des Juifs, en 1492, elle a été transformée, pendant un moment, en une chapelle, dédiée à saint Crespin, patron des cordonniers. Pendant la balade, on fera une halte sur la Plaza de las Flores. C’est la plus belle perspective sur la rue des Fleurs (très fleurie) et le minaret-clocher de la mosquée-cathédrale.

En marchant d’un bon pas, on atteint le palais des marquis de Viana, bâti au xive siècle, remanié à maintes reprises et transformé en musée. On peut se contenter de visiter les 13 superbes patios thématiques qui entourent ce vaste palais. Un régal pour les amateurs de jardins. Les pièces qu’on visite sont décorées dans le style xviie et xviiie siècles. Tapisseries, nombreuses toiles, céramiques, mobilier ancien, cuirs de Cordoue, joliment disposés dans une belle architecture et sous de magnifiques plafonds, évoquent l’art de vivre de Cordoue qui, en réalité, n’a jamais disparu.

Barbara Witkowska n

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