Invitée par la galerie Pierre Bergé à investir pour quelques semaines son espace bruxellois, l’architecte star a choisi d’y mettre en scène le Bishop, l’objet  » signature  » qui ponctue depuis dix ans déjà tous les intérieurs qu’elle a créés.

Sur un échiquier, le fou – bishop, en anglais – est cette pièce frondeuse, qui préfère prendre la tangente que de filer droit. Une manière d’être tout en malice qui sied bien à l’objet inspiré d’un tabouret de bar créé par India Mahdavi, en 1999, pour une boîte de nuit du Meat Packing District, à New York. Son Bishop n’aime pas non plus les rôles figés. Le matin tabouret, le soir table d’appoint, il se sent aussi à l’aise dans un boudoir que dans une salle de bains. Complice, il ponctue – telle une virgule de céramique – tous les intérieurs que l’architecte a scénographiés depuis l’ouverture, il y a dix ans, de son studio parisien. Jusqu’ici, le Bishop s’était contenté de changer de couleur, optant en 2009 pour le vert végétal. Mais pour la toute prochaine exposition qui se tiendra à Bruxelles (*), il se déclinera en cire, en sel de Siwa, en plâtre, en marbre ou en rotin, pour autant de versions exclusives.  » Cet objet que les gens reconnaissent, il m’a semblé tout naturel de vouloir lui inventer d’autres vies « , confie India Mahdavi.

Dans son showroom de la rue Las Cases, à Paris, les meubles, tous autoédités, ont un petit air de famille indiscutable : ici, le bois flirte avec la céramique. Les formes rondes, les matières chaudes donnent envie de toucher. Pour chacun d’eux, la genèse est un peu la même : pensés pour un hôtel, un restaurant, la maison d’un particulier, ils ont séduit et sont entrés naturellement dans la collection.  » Il arrive parfois que de grands éditeurs me demandent de leur concevoir un salon complet. Vous savez la totale, avec le canapé et les deux fauteuils, la table basse, le meuble télé et le buffet, le tout assorti, sourit India Mahdavi. Tout ce que je ne fais pas ! Le total look, je ne supporte pas. J’aime les mélanges.  » Heureuse conséquence d’une culture métissée : née à Téhéran d’un père iranien et d’une mère égyptienne, India a vécu aux Etats-Unis et en Allemagne avant de s’installer dans la Ville lumière. Ses chantiers l’attirent aux quatre coins du monde.  » Lorsque vous bougez ainsi toute votre vie, à force d’être une  » étrangère  » partout, vous absorbez tout ce que vous découvrez de manière différente. « 

Dans les lieux griffés Mahdavi, on retrouve parfois par touches du Prouvé, du Perriand, de jeunes créateurs aussi. Qu’elle imagine un hôtel à Monte-Carlo, un bar à Hong Kong, un bistrot à Saint-Germain, cette perfectionniste se renouvelle tout en restant fidèle à son langage graphique.  » Mon travail est empreint d’une certaine sensualité, reconnaît India Mahdavi. J’aime m’inscrire dans la tradition des arts décoratifs. Je n’ai pas peur d’ajouter des détails, d’enrichir un objet. C’est typiquement féminin, je crois. Les hommes pensent forme et matière. Les femmes, peut-être parce qu’elles ont moins d’ego, osent aller plus loin, essayer pour voir.  » Tout en gardant la bonne mesure.  » Je n’en peux plus de ces endroits surdessinés, où l’on ne cesse de se demander si l’on est en phase avec le décor, martelle-t-elle. En même temps, lorsque l’on fait appel à vous pour décorer un bar ou un hôtel, il faut que cela soit fort. Sans être trop signé. En fait, c’est tout un équilibre !  » Et la formule n’est pas la même d’une ville à l’autre. A Paris –  » la ville la plus difficile à satisfaire au monde  » -, elle s’apprête d’ailleurs à en faire la démonstration. Le Germain, dernier it bar de Thierry Costes, revisitera les codes du bistrot parisien. India ne promet pas la Lune, encore moins l’extase design, qui éc£ure très vite, une fois passé le premier effet de surprise et de séduction facile.  » Je fais ce que je peux, conclut-elle sans tapage. Je veux juste qu’on s’y sente bien. « 

(*) My name is Bishop, du 23 avril au 23 mai prochain, galerie Bergé & associés, 40, place du Grand Sablon, à 1000 Bruxelles.

Isabelle Willot

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