Le long de la côte tunisienne, le temps suspend son vol. Il promet des journées emplies de lumière, des nuits gorgées d’étoiles et des couleurs qui font la nique à la grisaille quotidienne. De la beauté calme, pour se perdre et se reposer.

L’un des chefs-d’£uvre de Monastir est son ribat. La silhouette du monastère fortifié, colossal vaisseau de pierre blonde, s’impose au regard du voyageur. Les murailles sont intactes. Elles n’ont rien perdu de leur cachet et continuent à défier le temps. Ici, on ralentit son tempo, on cède aux plaisirs de la contemplation, de la méditation et du silence. Lentement, on chemine le long des murailles, parfois épaisses de plusieurs mètres, on explore des coins perdus et des pièces cachées, on se perd dans des escaliers secrets. Au hasard de la flânerie, on atteint le chemin de ronde. Ici, on a un avant-goût d’une vue extraordinaire, d’une beauté à couper le souffle. Mais il y a mieux. Pour se hisser au sommet du  » nador « , tour de guet cylindrique, il faut certes de la patience et du souffle, mais l’effort est largement récompensé. L’horizon paraît sans limites. Le ciel se confond avec la mer, cette mer diaphane qui passe par toute la gamme des bleus, du turquoise au cobalt. L’air diffuse une lumière palpable. On reste longtemps sous le charme. Tout près, on admire l’extraordinaire puzzle, graphique et géométrique, formé par les toits de la médina. La cité, engourdie par le soleil, sommeille paisiblement, protégée par la masse rassurante du ribat.

L’origine de ces monastères fortifiés remonte au Moyen Age. Entre le viiie et le ixe siècles, les Arabes élèvent de nombreux ribats entre Tanger et Alexandrie, en passant par Sousse et Monastir. Les chrétiens disputent aux musulmans l’accès à la Méditerranée et, par souci de défense, les remparts de ces bâtisses impressionnantes sont surmontés de fortins. Quelques chicanes contrôlent les accès. Cela dit, la route des ribats peut être comparée aux routes des croisés ou aux chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le nom ribat vient de  » rabata  » (lier) et signifie le lieu de l’alliance avec Dieu. Ce  » chemin de foi et de culture  » offre aux pèlerins qui se dirigent d’El Andalus ou du Maghreb vers la Mecque, un gîte d’étape. Les étudiants peuvent y faire une halte plus longue, pour suivre l’enseignement des marabouts, gardiens des ribats. Les plus illustres savants y trouvent des conditions idéales pour approfondir leurs études. Le ribat de Monastir est le plus important, le plus prestigieux aussi. C’est aussi le seul ribat à accueillir les femmes. Elles peuvent y enseigner ou étudier. Le rayonnement de Monastir est si grand que bien entendu il a engendré des légendes. La plus jolie ? Elle attribue aux descendants du Prophète ces propos :  » Du côté de l’Occident, en Ifriqiya (nom ancien de la Tunisie), se trouve l’une des portes du paradis. Elle a pour nom Monastir. Celui qui réside dans son ribat, même un seul jour, est assuré de la félicité éternelle.  » Voilà, qui est bien rassurant ! Avant de quitter ces lieux bienveillants, on jette un coup d’£il au musée d’Art islamique, installé dans une ancienne salle de prière. Ce qu’on y découvre ? Des manuscrits anciens, des miniatures persanes et, surtout, la pièce phare, un superbe astrolabe arabe fabriqué à Cordoue en 927.

Puis on emprunte une large esplanade bordée de palmiers. Devant nous, au fond d’une superbe perspective, la silhouette admirablement proportionnée du mausolée de la famille Bourguiba, le second chef-d’£uvre de Monastir. On s’assoit sur un banc de pierre, le temps de contempler de loin ce bel édifice harmonieux, coiffé d’une immense coupole dorée, brillante comme un astre. De chaque côté, un minaret gracieux, surmonté d’un dôme doré ajoute à sa splendeur.

Habib Bourguiba est né à Monastir le 3 août 1903. Avocat brillant, il mène son pays à l’indépendance (le 20 mars 1956). Un an plus tard, il est élu président de la république. Très vite, il ordonne la construction du mausolée familial. Celle-ci débute en 1963 et ne se terminera que vingt ans plus tard. C’est dire le soin apporté à l’architecture et le décor intérieur. Bourguiba, décédé le 6 avril 2000, repose dans l’édifice principal, au milieu de précieux marbre de Carrare, sous un plafond en bois d’olivier, sculpté et doré à la feuille. Le lustre est impressionnant. Le guide nous signale avec fierté ses dimensions : 12 mètres de hauteur et un poids de trois tonnes. Il faut 365 ampoules pour l’illuminer. Les deux coupoles sont plus modestes. Elles abritent les tombeaux de parents de l’ancien président et de sa première épouse, la Française Mathilde Lorrain.

Le centre-ville, ses maisons nettes et pomponnées, ses boutiques aux jolies enseignes, ses espaces verts, sont à quelques pas. Habib Bourguiba a toujours chouchouté sa ville natale de ses faveurs et la cité continue à soigner son allure. On y vient pour une flânerie paisible, pour un moment de détente autour d’un thé ou d’un café ou pour une petite tchatche. La gentillesse des gens semble naturelle et ils se prêtent toujours avec le sourire à un brin de causette.

En se dirigeant vers le nord, Sousse s’impose comme une étape pleine de charme. Carthaginoise, romaine, arabe, européenne sous le protectorat français et, enfin,  » ville nouvelle « , c’est une cité sage et active, carrefour ouvert et cosmopolite. Les murailles de son ribat ont une taille exceptionnelle. La simplicité de son architecture amplifie grandement la majesté qui s’en dégage. On prend le temps d’admirer la grande mosquée. Construite en 851 sur ordre de l’émir aghlabite Aboul Abbas Mohammed, elle se caractérise par une étrange allure militaire et n’a pas de minaret. Au Moyen Age, elle jouait, tout comme le ribat, un rôle défensif. Ce qui explique la présence des tours et de merlons. On ne manquera pas de visiter le musée archéologique, aménagé dans la casbah autour de deux jardins délicieusement frais. Les mosaïques romaines que l’on y trouve sont moins nombreuses que celles du musée Bardo à Tunis, mais l’ensemble mérite vraiment un coup d’£il. Le dernier plaisir û voire le premier û à ne pas manquer : une simple promenade dans les souks. L’ambiance chargée d’odeurs exotiques et éclectiques, les couleurs, le brouhaha et le rythme de la vie, valent vraiment tous les plaisirs.

Pour prendre l’air, on se rend au port el-Kantaoui, à 10 km de Sousse. Surnommé  » port-jardin de la Méditerranée « , ce complexe touristique a été créé de toutes pièces autour d’un port artificiel, dans les années 1970. Son architecture de style andalou, avec ses toits plats, ses balcons ombragés qui surplombent la mer, ses arcades, aux antipodes des traditions tunisiennes, a soulevé, à l’époque, un véritable tollé. Le temps a calmé les passions. Le soleil et le vent ont recouvert l’ensemble d’une jolie patine, les bougainvillées se sont superbement épanouis, éclaboussant de leurs couleurs pourpre la blancheur environnante. Les restaurants et les terrasses de café se sont transformés en une agréable alternative de charme. Le luxe pur ? Rester au chaud et à l’ombre, grignoter des salades et des poissons, siroter lentement une boisson fraîche et… profiter de la vie.

Ensuite ? On se dirige vers la capitale et son joyau tout proche : Sidi Bou Saïd. Bien sûr, on le connaît déjà, mais c’est toujours avec la même émotion qu’on y pénètre. Sidi Bou Saïd, c’est le village de rêve qui surplombe la mer dans le parfum des jasmins et des mimosas, dans l’ombre de ses palais et de ses maisons blanches. Une étonnante légende veut que saint Louis (roi de France, mort de la peste en 1270 devant Carthage) se soit réfugié là avec une femme follement aimée et qu’il y soit enterré. Selon cette légende, saint Louis, avant de mourir, se serait initié au Coran. Ce village parfumé, ancré dans une végétation luxuriante entre terre et ciel et empreint d’une grâce sereine, a beaucoup impressionné André Gide et Georges Bernanos, tandis que sa lumière irisée a inspiré le peintre Paul Klee. Il n’y a pas d’endroit mieux préservé sur tout le littoral méditerranéen. Sidi Bou Saïd est bien un paradis. Car il a su garder son identité avec sagesse, sa simplicité avec raison.

Barbara Witkowska n

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