Qui assurera la relève des Ralph Lauren, Calvin Klein ? Une question à 166 milliards de dollars (130 milliards d’euros). Parmi les nouvelles étoiles de la mode américaine, Zac Posen et le duo Proenza Schouler pourraient grimper haut. Les icônes du show-biz en raffolent.

Depuis plusieurs semaines, tous les  » beautiful people  » ont marqué au feutre rouge le vendredi 10 septembre. Ce jour-là, Zac Posen doit présenter sa collection printemps-été 2005. A 20 heures, une foule compacte, serrant fébrilement le carton d’invitation, se bouscule pour pénétrer dans la tente érigée dans Bryant Park, sur la 6e Avenue. Anna Wintour, rédactrice en chef de  » Vogue « , qui fait et défait les carrières, est au premier rang, éternelles lunettes noires sur le nez.  » Anna, just one picture !  » supplient les photographes. Sean Combs, le producteur de hip-hop et nouveau Gatsby, arrive, accompagné d’un minuscule chien, Sophie, vêtu d’un manteau frappé de ses armes. Il est suivi de Farnsworth, son fidèle valet, parapluie à la main. Le peintre Francesco Clemente est aussi là, à côté d’Ingrid Sischy, rédactrice en chef d' » Interview « , le magazine fondé par Andy Warhol. L’acteur Vincent Gallo, dont le film  » The Brown Bunny  » fait scandale, est seul, coiffé d’une casquette de cuir genre club sadomaso. Enfin, Paris Hilton, héritière de la chaîne d’hôtels, célèbre surtout pour être connue, fait son entrée. La horde de photographes menace d’étouffer la jeune femme dans une robe dos nu. Le défilé peut commencer.

A 23 ans tout juste, Zac Posen est la nouvelle star de la couture  » made in USA « . Il a présenté sa première collection en 2002 et, depuis, le milieu de la mode espère qu’avec lui il tient l’avenir de la couture américaine. Il est encore un peu tôt pour en être sûr û dans ce métier, le taux d’échecs est particulièrement élevé û mais, collection après collection, la réputation de Posen s’assoit. Signe : Naomi Campbell, la  » bad girl  » noire, a accepté de défiler pour lui et Cartier l’a choisi comme associé. Son show, qui emprunte ses couleurs aux Masai et au pop art, est un triomphe.  » Ce soir, nous avons assisté à l’envol d’un artiste « , prédit Ingrid Sischy devant les caméras de télévision. La mode américaine cherche en ce moment les nouveaux talents pour remplacer les trois grands û Calvin (Klein), Ralph (Lauren) et Donna (Karan). Les enjeux sont de taille. Le marché de la mode représente un chiffre d’affaires annuel de 166 milliards de dollars (130 milliards d’euros). Les acheteurs des grandes chaînes û Saks Fifth Avenue, Nieman Marcus, Bloomingdale’s û les magazines et tous ceux qui vivent de cette industrie ont suivi avec attention le marathon de 169 défilés pendant les huit jours de Fashion Week, scrutant la coupe d’une blouse, le drapé d’une robe, le tissu d’une veste.  » Nous sommes à un moment intéressant de la mode américaine, explique Andrew Bolton, conservateur adjoint au Costume Institute du Metropolitan Museum. Beaucoup de jeunes stylistes ont l’occasion de montrer leur travail. Il y a plus de collections qui brouillent la frontière entre la mode et l’art, mais qui également trouvent le point d’équilibre entre art et commerce.  » Surtout, affirme Tim Gunn, directeur de la Parsons School of Design, à New York,  » la notion de mode s’est considérablement élargie « , injectant soudain une énergie nouvelle dans ce business. Le rappeur Sean Combs, par exemple, est aussi le créateur d’une ligne de vêtements, Sean John, qui a réalisé près d’un demi-milliard de dollars (393 millions d’euros) de chiffre d’affaires l’année dernière. Il vient de prendre une participation de 50 % dans le business de Zac Posen.

Technologie et luxe

 » J’ai toujours voulu créer. Depuis l’âge de 3 ans, je réalise des vêtements sur des mannequins « , raconte Posen, qui compte Madonna et les actrices Gwyneth Paltrow et Julianne Moore parmi ses plus ferventes supportrices. Après un séjour au Central Saint Martins College of Art and Design, à Londres, ce fils d’un artiste peintre et d’une avocate d’affaires décroche son premier stage à 15 ans chez la styliste Nicole Miller. Les robes pour ses copines de jeu Lola et Stella Schnabel, filles du peintre Julian Schnabel, le font remarquer. Il est lancé lorsque, en 2000, le  » New York Times  » repère une robe qu’il a conçue pour l’actrice Paz de la Huerta.  » La robe de l’année « , clame le quotidien.  » Je ne veux pas seulement dessiner des  » beaux  » vêtements, explique Posen. J’essaie de construire une marque de luxe qui soit originale, non datée. Je veux allier technologie et luxe.  » Comme il le fait avec un bustier recouvert d’une pellicule de Teflon, intachable.

Zac Posen n’est pas la seule nouvelle étoile de la mode américaine. Le duo de Proenza Schouler û à peine 25 ans chacun û attire les superlatifs.  » The Economist « , peu enclin aux élans d’enthousiasme, affirmait récemment que les marques  » Posen et Proenza Schouler seront bientôt aussi connues que Galliano, Gaultier et McQueen « . Lazaro Hernandez, un jeune Cubain américain, qui s’apprêtait à devenir médecin, et Jack McCollough, qui voulait devenir souffleur de verre, se sont rencontrés à la Parsons School of Design. Pour leur diplôme, ils ont présenté une collection sous le label Proenza Schouler û les noms de jeune fille de leurs mères. La responsable du très chic Barneys, boutique culte des  » fashionistas  » new-yorkaises, a le coup de foudre et achète toute leur collection.  » Ils sont sublimes dans leur prise de risque, s’enthousiasme Tim Gunn. Si on tournait aujourd’hui « Breakfast at Tiffany’s », ce sont leurs vêtements que porterait Audrey Hepburn.  » Lors de son discours à la convention démocrate, Alexandra Kerry portait une robe conçue par le duo.

Juste après leur défilé, habillés en jeans et polos de tennis, les deux compères sont modestes.  » Nous faisons ce que nous aimons. Nous n’avons pas de buts grandioses. Nous voulons seulement dessiner des vêtements qui ont une certaine élégance moderne.  » Ces admirateurs de Cristobal Balenciaga, de Christian Dior et des photos de Richard Avedon des années 1950 tombent bien. La mode est en effet dopée par l’arrivée d’une nouvelle génération de jeunes femmes devenues de véritables icônes, exportant leur style à travers tout le pays : Sarah Jessica Parker, vedette de  » Sex and the City « , Uma Thurman, Nicole Kidman, Scarlett Johansson, vedette de  » Lost in Translation « , Liv Tyler, Cate Blanchett, Aerin Lauder, l’héritière des cosmétiques, ou encore Zoe Cassavetes et Sofia Coppola. Mais il faudra encore du temps pour que les jeunes turcs deviennent des noms reconnus dans le monde entier. A peine 1 % des stylistes arrivent à percer.  » Il faut vingt ans pour faire un couturier « , affirme Cathy Horyn, grande prêtresse de la mode au  » New York Times « . C’est exactement le temps qu’il a fallu à Marc Jacobs pour parvenir au sommet. Avant de devenir directeur artistique de Vuitton et de lancer sa propre marque, Jacobs a connu trois faillites. Aujourd’hui, il est tout au top de la mode américaine.  » Il a complètement capté le marché des jeunes femmes dans la trentaine, explique Tim Gunn. On n’a jamais vu un tel succès. Tout le monde veut du Marc Jacobs.  » Lorsque le site Internet Style.com organise, au moment des collections, le référendum sur les vêtements de tous les grands stylistes, Jacobs arrive largement en tête avec 1,38 millions de pages vues, devant Donna Karan et juste devant  » Marc « , l’autre collection qu’il réalise. Les produits Marc Jacobs ont généré 300 millions de dollars (236 millions d’euros) de chiffre d’affaires l’année dernière. Sa recette : le recyclage des vêtements rétro auxquels il donne un look contemporain. Le mélange du  » chic urbain cosmopolite et de l’excentrique « , comme il le définit lui-même.  » Il sent exactement ce que veulent les jeunes femmes, explique Andrew Bolton. Par son approche, c’est le nouveau Chanel.  » Lorsque ce New-Yorkais encore jeune û il n’a que 41 ans û a été fêté par son ancienne école, c’est Sofia Coppola qui a réalisé le documentaire retraçant son parcours.  » So chic « . Et son tee-shirt vendu pour lever des fonds pour Hillary Clinton, au printemps dernier, s’est vendu encore plus vite que les sacs Vuitton dessinés par Murakami. Même en période de crise, le  » fashion business  » continue.

Jean-Sébastien Stehli

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