des clics (et des claques)

Rien, ils ne se disent rien. Mais ils s’usent la pulpe des doigts sur leur écran tactile. Plein de jeunes qui ne se parlent pas. Je suis dans un coffee shop à Bangkok, dans une minuscule rue  » qui bouge  » me dit un article du Times Out thaïlandais. Escalier en fer forgé, bois brut, plantes, toit-terrasse et chats alanguis, jeunesse dorée. Et ils sont tous plongés dans leur smartphone. Ils mitraillent la tasse de café. Puis la même avec la plante en arrière-plan. Puis la plante mais avec les lunettes posées près de la tasse. Un serveur arrive, dépose une part de gâteau sur la table du couple à côté. Lui et elle en prennent des dizaines de clichés. Pendant une minute, elle fait semblant de planter sa fourchette dedans. Un trouble obsessionnel compulsif ? Non, une vidéo. La scène dure longtemps. Ils n’ont toujours pas mangé. Les photos sont postées sur Instagram. Deux amies posent, chacune à leur tour, sur les fauteuils en osier. Un groupe se filme : fausse hilarité. Une jeune fille demande au serveur de la photographier, rêveuse au milieu des cactus. Les images sont capturées, filtrées, exposées, mais le moment se vit visiblement seul. J’ai l’impression d’avoir été catapultée dans un épisode de Black Mirror, cette série futuriste sombre qui imagine un monde où – je résume – on aurait mal géré les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle. Je suis sûre que c’est un coup monté, ils sont tous en train de m’expliquer qu’un moment, ça se vit, ça se hume, ça se laisse fondre sous la langue. Ça ne peut pas être qu’un écrin en plastique pour l’image construite de soi, filtre qui adoucit la peau, regard pétillant, en plongée pour être plus joli. Ah, ils goûtent enfin leur gâteau. Ils ont l’air d’adorer. Mais deux bouchées et puis s’en vont. Dans ce monde merveilleux qu’on donne à voir aux autres, on se régale. Dans la vraie vie, un peu moins, apparemment. J’envoie un WhatsApp à ma pote Charlotte, une photo du café à mon beau-frère et une du chat à mon meilleur ami. Ils sont d’accord avec moi. Les jeunes, c’est devenu n’importe quoi.

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