Le diktat du style unique a vécu. Seule règle aujourd’hui ? Oser les mélanges ! Souple et transformiste, le canapé Freestyle de Ferruccio Laviani incarne cette tendance bohème. Décodée pour vous par ce créateur hors norme.

Qui oserait encore dire qu’il ne se passe jamais rien dans  » Sofaland  » ? Le bon vieux canapé, longtemps synonyme de conservatisme – on avait le choix entre la version deux ou trois places, point à la ligne – s’autorise aujourd’hui toutes les folies. Comme l’a révélé le 45e Salon international du meuble de Milan, en avril dernier, il s’agit de bien plus qu’un simple effet de housse. C’est véritablement la manière dont nous nous asseyons qui a changé. Quand on  » passe au salon « , c’est souvent pour y partager, sur le pouce, un repas informel, en famille ou entre amis. Le pouf ou le bras du divan se transforme en table d’appoint. Le développement du home cinéma nous amène aussi à préférer les volumes amples, les largeurs profondes, les mousses moelleuses et accueillantes. Le tout customisé par une avalanche de coussins, un tissu perso fourni directement par le futur propriétaire à l’éditeur ou des boutons de nacre et de bois tous différents pour donner à un produit industriel par excellence, un petit côté  » art and craft  » tellement tendance…

De tous les modèles présentés cette année au Salon, c’est sans nul doute le canapé Freestyle de Ferruccio Laviani qui répond le mieux aux besoins éclectiques de ces trentenaires aisés appartenant, comme le disent les bureaux de style, à la  » génération vautrée « . Une série d’assises, de dossiers et de coussins habillés de housses unies ou franchement seventies permettent de composer à sa guise un canapé transformiste et désinvolte. Une vraie révolution de salon chez le fabricant italien Molteni, réputé jusqu’ici pour son élégance et sa sobriété.  » C’est un sofa très simple, mais aussi très bien conçu. Design sans être too much, détaille Ferruccio Laviani. Il est totalement Molteni, avec un côté bourgeois, mais contemporain.  » Confortablement installé dans une combinaison XXL de son divan, l’exubérant créateur – le  » tu  » est très vite de rigueur – nous livre sa psychanalyse de nos intérieurs libérés.

Weekend Le Vif/L’Express : Comment êtes-vous arrivé à cette idée de canapés modulables, beaucoup plus bohèmes qu’un sofa traditionnel ?

Ferruccio Laviani : Pour Molteni, j’avais déjà dessiné un autre canapé, High Bridge, beaucoup plus  » sérieux « , plus rassurant et finalement à l’image de la marque. Freestyle a fait l’objet d’un inévitable débat avec l’éditeur, Carlo Molteni : nous avions chacun notre point de vue sur la chose et nous avons fait un mix des deux idées. Freestyle, c’est un ensemble de petits morceaux que l’on peut assembler comme on le souhaite. De façon linéaire, par exemple, avec beaucoup d’assises. Ou de façon plus déconstruite, en imaginant des vis-à-vis, moins formels.

Dans le choix des couleurs aussi, on a l’impression aujourd’hui que les éditeurs se lâchent plus qu’avant…

C’est surtout le goût des gens qui évolue. Quand je crée des meubles, je n’aime pas me cantonner au noir ou au bois foncé. Personnellement, j’aime beaucoup les couleurs. Elles sont importantes pour notre équilibre, elles dégagent des vibrations qui aident les gens à vivre. Dans le cas de Freestyle, tout est parti d’un jeu sur le vert. Je réfléchissais à une idée de couleur pour la cuisine que j’ai créée aussi pour Molteni cette année. Ce jour-là, je portais un pull en laine vert billard. J’ai eu envie de travailler avec cette couleur, je la trouve pleine d’énergie. Pour les imprimés, nous avons choisi des motifs au charme rétro, très 1970, inspirés de ceux que j’avais moi-même dessinés pour des meubles en plastique laminé chez Memphis lorsque je travaillais pour Michele De Lucchi. Il y a peu, on les aurait dit  » out of fashion « , et ils en sont aujourd’hui devenus d’autant plus fashion, dans un esprit très  » art and craft « . J’aime beaucoup ce jeu de mélanges. C’est charmant. J’aime donner un twist avec des petites choses.

C’est aussi une manière de customiser un produit standard, non ?

Exactement ! A sa demande, le client peut même demander son propre tissu. C’est souvent le cas quand il travaille avec un architecte qui a déjà choisi le revêtement mural. Il lui faut quelque chose qui soit en harmonie. Customiser, c’est dans l’air du temps.

Toutes les usines sont-elles assez flexibles pour permettre ça ?

C’est là qu’on se rend compte qu’on peut diviser le monde par deux. Il y a des industriels qui sont inspirés et ceux qui sont seulement des producteurs, qui regardent seulement le nombre d’unités qui sortent. Molteni met à la disposition du designer une haute technologie, un bon support technique et la possibilité de faire des choses peu ordinaires.

Quelles créations design avez-vous chez vous ?

Rien du tout ! Je suis un peu gitan, je vis dans une maison quelque temps et puis je m’en écarte ; là en ce moment, je vis dans mon bureau. J’ai un peu de tout. Des pièces d’autres confrères, les miennes aussi. Surtout des prototypes que j’achète en usine pour trois fois rien. C’est mon côté juif, sans doute (rires…). J’aime changer aussi. J’aime les mélanges, j’ai toutes sortes de choses. Je n’aime pas l’idée que ma maison ressemble à un showroom.

Qu’est-ce qui motive le lancement d’un nouveau sofa vu l’importance de l’offre déjà sur le marché ?

C’est invariablement quelque chose que je désire avoir à la maison ! Je présente mes nouveautés à mes proches pour savoir s’ils aiment, s’ils achèteraient cela. Je teste mes parents, mes amis et j’essaie d’imaginer mes produits dans des situations très différentes. Et il faut que cela fonctionne toujours. Si vous prenez la lampe que j’ai dessinée pour Kartell, tout le monde y voyait une référence néo-baroque et pourtant, ce n’est pas du tout le cas. Pour moi c’était juste un objet drôle, inspiré des lampions chinois, passe-partout.

Un produit qui ne se démoderait pas, est-ce un désastre pour un créateur ?

Au contraire, c’est merveilleux ! Certains produits changent plus que d’autres, par nécessité, comme les électroménagers, il faut suivre l’évolution de la technologie. Mais je pense que les meubles et les objets design sont à regarder comme l’étaient les meubles de nos parents, des  » meubles de style  » comme on les appelait. Ils ne se détruisaient pas.

Isabelle Willot

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