Les formes et la nature des métaux donnent aux boîtiers des montres des caractéristiques qui leur sont propres. Infinis dans l’absolu, les dessins de montres se classent habituellement en 3 grandes catégories génériques : les modèles ronds, les tonneaux et les rectangulaires.

Bien qu’étant la forme la plus rencontrée en horlogerie, le rond n’a pas toujours retenu l’attention des artistes. Le passé nous laisse le souvenir de belles mécaniques carrossées avec des boîtes inattendues. Entre des boîtiers aux formes de crâne décharné, de croix artistiquement ouvragées ou d’insectes émaillés, l’histoire relative à la plastique des montres est presque sans limites. A ce jeu, les plus imaginatifs furent nos ancêtres du XVIe siècle. Objets d’art avant tout, les mécanismes de montres étaient surtout un prétexte à de superbes mises en valeur… du propriétaire. A peine rentré dans le nouveau millénaire, force est de constater que rien n’a vraiment changé.

Le rond primordial

Comme la roue, la montre dérive du cercle, mais fut inventée beaucoup plus tard. Vrai paradigme, cette forme géométrique caractérise l’instrument horaire dès la plus tendre enfance. Allez demander à un enfant de 5 ans de vous dessiner une montre comme d’autres demandèrent un mouton et vous le verrez vous exécuter un cercle, plus ou moins parfait, avec une lanière comme bracelet et deux traits en guise d’aiguilles. Le rond désigne la montre, c’est évident pour la raison simple que la plupart des pièces constitutives sont circulaires et que les pointes des aiguilles fixées sur un axe décrivent un cercle parfait en 12 heures.

En suivant cette logique, il semblait évident que le cadran portant les chiffres indicateurs devait prendre la forme d’un disque. Ce faisant, la boîte de montre suivant au plus près cette surface en prenait aussi la géométrie, mais en volume cette fois. Avec la généralisation d’une étanchéité à donner aux montres, le rond s’imposa pour des raisons logiques. La dilatation des matériaux, du centre à la périphérie, est plus facile à gérer avec des pièces travaillées sur une base circulaire, les joints moins complexes à produire, les verres plus faciles à ajuster. Le boîtier rond devint le modèle par excellence des montres résistantes et étanches même si quelques tentatives furent tentées sur des montres de forme avant l’apparition des nouvelles technologies.

Le rond modèle

Ikepod fait la part belle au cercle. Le designer Marc Newson, grand consommateur de formes courbes, ne pouvait manquer de dessiner une montre parfaitement ronde. Avec les séries Hemipodes ou Megapodes, le cercle se veut parfait. Attaches de bracelet invisibles, aspect général s’inspirant des galets polis par l’eau… Ces montres, dans cette exécution simple d’apparence, s’approchent très fortement de celles dessinées par les enfants. L’instrument horaire, avec pareille esthétique, dépasse le cadre du général pour devenir singulier, se pare d’une aura d’objet d’art à l’état pur dont la signature sera reconnue. Pour le dire avec justesse, pareille montre au poignet sera un élément fonctionnel contemporain dans la mouvance de l’art cynétique. Comment dans ces conditions ne pas la remarquer?

La boîte à décor

Par la tranche, il est parfois possible d’identifier une montre ronde. Difficiles à distinguer les unes des autres tant elles ont de points communs, certains fabricants ont trouvé une solution au problème d’identité d’un produit trop normalisé. La maison Breguet utilise des frises à godrons sur la tranche de ses modèles pour les rendre immédiatement identifiables. Cet artifice esthétique donne un certain cachet aux pièces de la maison et indique de façon imparable ses origines. Ce type de décor déjà présent sur les modèles du XIXe siècle se retrouve jusque sur la carrure de la boîte du modèle Breguet Type XX Aéronavale actuelle, alors que le modèle original des années 1950 s’en passait. Identité délibérée, volonté de laisser une trace dans l’histoire, la maison historique joue la carte de l’implication visuelle, condition essentielle de la renommée avec ce détail inimitable.

L’anti-Diogène : la forme tonneau

Le porteur d’une montre de forme tonneau n’est en rien, un adepte du renoncement, mais à tous les coups quelqu’un d’attentif à l’originalité. Limite anticonformiste, cette forme a eu son heure de gloire dans les années folles avec le modèle Tortue de Cartier toujours réédité depuis. A cette époque charnière de l’horlogerie, porter un modèle Tonneau tendait à signifier le renoncement au rond habituel des montres de gousset, et permettait de fuir les trop communes attaches de bracelet soudées sur une carcasse souvent normalisée. Toutes les grandes maisons horlogères se sont adonnées avec délectation à la création de modèles Tonneau. Patek Philippe, Breguet ou Ulysse Nardin en proposèrent dans leur catalogue et les poursuivent depuis lors.

Tonneau des Danaïdes

L’histoire est sans fin, le tonneau revient depuis quelques années en force. Logique de la consommation, dès l’accoutumance à un certain produit, il faut en proposer de nouvelles interprétations. La montre tonneau devient alors un signe identitaire comme dans le passé. Certaines marques comme Van Der Bauwede en font le support de leur image. Pour cette maison, point d’autres formes que la Tonneau. Avec des boîtiers surdimensionnés, des couleurs franches, le souci pour cette jeune maison est de rester parfaitement identifiable. Visibles, ces montres font le bonheur des stars du show-business à travers le monde. David Hallyday, supporter de la marque est d’ailleurs à l’origine de la conception d’un superbe et original chronographe sportif. Cette Magnum GT automatique en acier retiendra l’attention par ses mensurations exceptionnelles. De toute évidence, portée au poignet,elle ne passera pas inaperçue… Son propriétaire non plus, mais c’est bien le but de la manoeuvre.

Dans le même esprit, Frank Muller a fondé une partie de sa renommée mondiale sur cette forme, qu’il fut l’un des premiers à réimposer. Ce sont dans les boîtiers des versions Casablanca ou Cintrées Curvex qu’il installe les complications horlogères qu’il conçoit chaque année pour les amateurs éclairés. Il n’y a rien d’autre à dire que cela : à voir une montre Tonneau, la première impulsion est de la prendre pour une Muller. Normal ! Pavée ou non de diamants, en or ou acier, une Frank Muller se doit d’être  » Tonneau  » : ce galbe fait partie de son patrimoine génétique.

La tendance Tonneau

Dubey & Schaldenbrand, marque qui se relance sur le marché français, doit également à la forme  » Tonneau  » sa nouvelle popularité. Née en 1946, dans la vallée de Neuchâtel, la marque du nom des deux fondateurs fut reprise en 1995, par Cinette Robert, horlogère passionnée par la belle mécanique et la fabrication de pièces d’exception. Volontaire, elle a fait de la ligne Aerodyn un modèle inspiré des montres de formes des années 1930, une des références de la montre  » Tonneau  » à grand nombre de complications. Quand l’horlogerie se met à produire des modèles à forte visibilité, les femmes se les approprient. Van der Bauwede fait un malheur avec ses modèles sertis ou non de la collection Legend, version adoucie et réduite, mais dérivée de l’imposante gamme Magnum. Plus accessible, la marque Frédérique Constant propose une délicieuse petite  » Tonneau  » qui conserve, avec un prix raisonnable, tous les signes du luxe. Dernier plaisir pour une femme : porter une grosse montre d’homme au poignet. En prenant une Hugo Boss de forme Tonneau taille homme, elle profitera d’une reconnaissance liée autant à la taille de la boîte, à sa forme qu’à sa  » griffe « . Pour le coup c’est du trois en une.

Art déco, l’art de l’angle droit

Adieu l’Art  » Nouille  » bienvenue au pays de la ligne droite. La période Art déco a largement influencé la création horlogère dans le domaine de l’esthétique des boîtes. Auparavant rondes ou galbées, les formes de la période s’orientent vers l’épure. Une montre de goût se devait d’être en adéquation avec la tendance de l’époque, en opposition directe avec ce qui se faisait avant. La forme rectangulaire, parfois carrée, devient presque la norme. Toutes les maisons y vont de leurs créations. Jaeger-LeCoultre propose en 1932 son interprétation de la Reverso sans se priver de fabriquer d’autres modèles non réversibles. Omega fait de même. Eterna propose, en 1935, son légendaire modèle rectangulaires que l’on trouve toujours dans la collection actuelle et Cartier sort la Tank dite  » Américaine « , la version Tank Basculante… En fait, toutes les maisons se sont essayées à cette forme qui disparaît progressivement durant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, cette forme reste marginale dans l’univers horloger. Avec des retours réguliers dans la tendance, cette forme agréable sied parfaitement au poignet avec un costume. Toujours raffinés, ces modèles ont leurs adeptes, en particulier les amateurs de montres fines.

Le rectangle réversible

Rectangle=Reverso=Jaeger-LeCoultre. Un boîtier composé de plus de 40 pièces assemblées à la main, 3 creusures longilignes sur la boîte au niveau du décrochement permettant le retournement et le tour est joué. Voilà une montre sobre, dépouillée à l’extrême, qui jouit de la meilleur des visibilités. La Reverso est un mythe dans le domaine horloger, le décodage du message est immédiat même chez ceux qui reconnaissent n’y rien connaître en horlogerie.

De surcroît, ce modèle aux formes simples plaît autant aux femmes qu’aux hommes et il n’est pas rare que ce soient les femmes qui succombent à l’esthétique ou à l’identité ravageuse de cette montre pour leur mari. Proportionnée en diable, tombant bien sur le poignet, cette montre androgyne fait le bonheur de ceux qui la portent et la subtilité du retournement, tout en étant un plus dans la reconnaissance, n’en est que rarement l’élément déterminant. Les concurrentes de cette montre sont dans l’ordre : le modèle Hampton de Baume et Mercier et les versions joaillerie de Gucci.

Simple et sobre, le modèle de Baume et Mercier, décliné en deux tailles, fait la joie de tous les amoureux de pièces horlogères de caractère. Très classiques avec un brin de fantaisie dans les cadrans, les nouveaux modèles de la collection savent retenir l’attention du public attiré par les belles matières, soucieux de ne pas trop paraître et attaché à une esthétique toujours un brin décalée. Dans ce monde du parallélépipède, les femmes retiendront que la maison Gucci leur propose un nombre presque illimité de montres ayant ces formes droites. Gucci en a fait d’ailleurs un de ses moyens les plus efficaces de reconnaissance. C’est plus drôle quand tout ne tourne pas rond. Et quand ça n’est pas rond, ça ne peut être que Gucci.

Vincent Daveau

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