En Anatolie centrale, cheminées de fée et petites églises byzantines creusées dans la roche tendre se découvrent aux détours de chemins fantasmagoriques. À recommander aussi, le survol de la région en montgolfière. avant de s’abandonner au raffinement de logis troglodytiques de luxe.

On dit de cette région isolée des steppes d’Anatolie qu’elle est peuplée de fées qui, de leur baguette magique, ont transformé la lave crachée par trois volcans surplombant la région en un paysage saisissant de colonnes naturelles de roches aux formes étranges. En réalité, ces cônes coiffés de chapeaux de basalte, en équilibre instable, sont le résultat de l’érosion de l’eau et du vent. Mais ici, on les surnomme  » cheminées de fée « à en leur octroyant des pouvoirs magiques.

Au VIe siècle avant Jésus-Christ, quand la région fut conquise par les Perses, elle fut nommée Katpatuka, le  » pays des plus beaux chevaux « . De nos jours, les équidés sont rares et les animaux sont plutôt sculptés dans le tuf. Là, on croit voir un chameau, ici, un dauphin ou, plus loin, un poisson. Dans la bien nommée Vallée de l’Amour, les formations volcaniques ont des formes plutôt suggestives. On y devine un téton caressé par le vent ou un pinacle phallique, l’imagination du randonneur jouant avec le décor fantasmagorique.

La Cappadoce s’étend sur 20 000 km2. Une petite superficie seulement – environ 130 km2 façonnés par l’érosion et le volcanisme – est classée au Patrimoine mondial de l’Unesco. Le reste consiste en une étendue de terre fertile et de plateaux verdoyants aux airs de Mongolie. Pour découvrir et surtout mériter ses canyons, rien de tel que la marche à pied. Erhan est notre guide autochtone. La trentaine, les yeux rieurs, le visage buriné par le soleil, il nous emmène au c£ur de ce décor fabuleux aux couleurs pastel variant du rose au brun, tirant parfois sur le vert bleu.

On s’accroche aux rochers pour ne pas glisser. Erhan, lui, file comme un lapin, imprimant son rythme au groupe. Il connaît chaque pierre de ces sentiers tantôt sablonneux, tantôt rocheux, quasi invisibles, peu fréquentés, dont lui seul retient le juste tracé.  » Je suis déjà passé par ici des centaines de fois, mais à chaque randonnée, c’est différent ! Sous la neige, la vallée prend une tout autre dimension « , confie-t-il, dans un français sans accent.

Ce matin, la température avoisine les 30 degrés mais une brise légère adoucit la sensation de chaleur. La marche est le seul moyen de pénétrer dans les églises creusées par les Byzantins dans la roche tendre pour y admirer les voûtes décorées de magnifiques fresques rupestres superbement préservées. A l’intérieur de ces niches, véritables trésors de la chrétienté d’Orient, qui servaient aussi à l’époque de pigeonniers, règnent calme et fraîcheur. Loin de la civilisation bruyante, il fait bon s’y recueillir.

Ce sont ces mêmes Byzantins qui ont conçu, au VIe siècle, des villes souterraines secrètes, superposées sur plusieurs étages, pour se protéger des attaques ennemies. Dans ces dédales surprenants, dont les entrées étaient camouflées par d’énormes meules, l’air, amené par une vaste cheminée d’aération naturelle, est raréfié et les galeries sont sombres et étroites. L’exploration souterraine est littéralement à couper le souffle.

Les claustrophobes, pour autant qu’ils ne souffrent pas du vertige, rejoindront rapidement la surface et préféreront certainement le survol de la Cappadoce en montgolfière, l’une des attractions touristiques les plus prisées. Abstraction faite de la nacelle bondée – une vingtaine de touristes par vol – l’expérience est unique. A l’aube, quelque trente ballons chamarés décollent un à un. Le tuf change de couleur au fur et à mesure que la montgolfière, au parcours aléatoire, prend de l’altitude ou redescend pour se lover au creux des canyons. Après une bonne heure dans les airs, la nacelle se pose comme sur du coton.

Des grottes de luxe

Les vallées de Cappadoce possèdent d’innombrables habitations troglodytiques et en particulier dans les villages d’ürgüp, de Göreme ou encore d’Uçhisar. La plupart de ces anciens refuges d’ermites sont actuellement à l’abandon : les dernières familles qui les occupaient les ont désertés dans les années 60 par crainte des éboulements.

Il y a une vingtaine d’années, un habitant a eu l’idée ingénieuse d’aménager un hôtel dans ces grottes effondrées, tout en préservant leur forme originelle. Depuis, ses voisins l’ont imité. Le business est florissant et les  » cave rooms « , dans la pure tendance boutik-hôtel, poussent comme des champignons, dont elles épousent d’ailleurs la forme. Certaines, dont l’atmosphère a été soigneusement préservée, sont adorables mais, prenez garde, d’autres sont sans âme, se révélant parfois un attrape-touriste.

Le soir, après une chaude journée de marche, ces auberges procurent confort et fraîcheur bienvenus. A l’auberge Esbelli Evi, dans le village d’ürgüp, Süha Ersöz, notre hôte pour la nuit, est un pionnier. Cet ancien avocat fut le premier, en 1984, à transformer ce qu’il destinait à être sa résidence de vacances – des ruines à flanc de collines achetées pour une bouchée de pain – en auberge à la fois chic et pleine de charme. Aujourd’hui, il accueille sans broncher les compliments de ses hôtes. Pour le même tarif qu’une chambre louée par ses voisins, le maître des lieux leur propose un véritable petit studio dont les différentes pièces sont reliées par des couloirs étroits, aux plafonds bas, à la lumière tamisée.

Il a fallu sept longues années pour ciseler ce véritable bijou dans le tuf. Le mobilier est taillé sur mesure pour la roche : dans les chambres, des recoins discrets servent de penderie. Les lits sont d’inspiration Art nouveau. Une baignoire style Art déco trône au milieu de la salle de bains en marbre. Avec ses formes arrondies, le frigo rétro de la cuisine, lui aussi, se marie harmonieusement aux courbes de la caverne. Sans oublier le luxuriant jardin privatif dont jouit chaque appartement. Cet hôtel, le plus raffiné de la région, est fermé en hiver. Dommage, car la Cappadoce sous la neige vaut aussi le détour.

Un peu plus loin, dans le petit hameau d’Uçhisar, Gomar affiche un look d’Indiana Jones tiré à quatre épingles. Il a reconverti d’anciens vestiges en un somptueux établissement embrassant toute la vallée, en le dotant aussi d’une piscine : un petit plus très apprécié après une journée de randonnée. Gomar a une âme de conservateur de musée. Volubile, il explique avec une fierté qui frise parfois l’arrogance, la manière dont il a sauvé les éléments d’origine de chaque logis troglodytique. Des objets d’archéologie rares, choisis avec expertise et amour de l’art, signent la déco de cet hôtel composé de suites à l’ambiance insolite et baptisé Museum. A juste titre, quand on songe aux allures de musée à ciel ouvert de la Cappadoce. n

Par Caroline Lallemand

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