Histoire de mieux séduire les foules, certaines firmes jouent la carte de l’e-customisation. En clair : la personnalisation de produits standards grâce à la magie d’Internet.

Douze minutes, montre en main. Sur www.bivolino.com, les allergiques au traditionnel shopping citadin ont de quoi se réjouir. Au programme : pas de stress, pas de foule, pas de vendeuses insistantes ni de pluie imprévisible, mais un atelier virtuel que l’on visite du bout des doigts. Assis sagement devant son ordinateur, l’internaute intéressé peut en effet choisir et commander, en quelques clics de souris, la chemise de ses rêves. Attention, il ne s’agit pas d’élire simplement un vêtement quelconque dans un épais catalogue digital. Non, la démarche de ce site 100 % belge est beaucoup plus subtile puisque chacun peut construire, en définitive, sa chemise personnalisée. Tissu, forme, couleur, col, manchettes, poches, inscription… tout est sujet à l’approbation du client, sans parler de la prise de mesures individuelle, bien évidemment. A la fin de la cyber-visite, une ultime confirmation place l’acheteur dans une attente raisonnable : une dizaine de jours pour un colis livré à domicile et dont le prix moyen oscille autour des 80 euros.

Pratique et auréolée d’un bon rapport qualité/prix, la formule suscite pourtant encore quelques réticences parmi une clientèle potentielle finalement peu rodée à l’achat  » on line « . Il est vrai que les freins psychologiques sont nombreux dans la population quand on évoque les commandes de vêtements sur Internet. Il y a d’abord la frustration de ne pouvoir palper le tissu avant de l’acheter, ensuite le doute quant au respect des mensurations prises de l’autre côté de l’écran et enfin la peur de livrer son numéro de carte de crédit sur la grande Toile mondiale. Face à ces inquiétudes, la firme Bivolino a toutefois trouvé la parade pour mieux vendre ses chemises sur le Web. Chaque client peut non seulement demander un échantillon des matières pour affiner son choix avant la commande définitive, mais il peut surtout renvoyer sa toute première  » création  » qui ne serait pas conforme aux mesures indiquées. Quant au paiement sécurisé, la firme se targue de posséder le label envié  » Web Trader « , un certificat européen qui garantit à l’internaute le sérieux des transactions en ligne.

Avec une petite dizaine de chemises commandées chaque jour sur son site (en majorité des clients du Benelux et des Etats-Unis), cette entreprise familiale fait partie des très rares firmes belges à oser un commerce exclusivement  » on line « . Même si la frilosité du grand public demeure pour l’instant toujours bien réelle, les avantages de cette formule sont nombreux pour le maître du site : gestion plus souple d’un stock moindre, adaptation plus rapide aux dernières exigences de la mode et, surtout, réponse appropriée à une demande croissante pour des produits personnalisés. Dans une économie de marché globalisée où le consommateur peut trouver le même soda aux quatre coins du monde, l’envie de se démarquer de la foule devient, en effet, de plus en plus pressante. Prises au piège, les grandes marques internationales ont déjà apprivoisé la tendance en proposant un service adéquat grâce au média Internet. On parle désormais de  » e-customisation  » pour évoquer ce phénomène de personnalisation de masse où l’internaute peut concrètement adapter une marchandise standard à ses propres goûts afin de mieux affirmer sa propre identité et d’émerger ainsi de la mondialisation ambiante.

Des géants comme Nike et Adidas ont bien appréhendé ce courant puisque les deux concurrents affichent chacun, sur leur site respectif, un espace interactif où le cyber-client peut créer facilement sa propre paire de baskets. A l’adresse www.nikeid.com/europe, le surfeur peut par exemple choisir entre huit modèles de base existants et ensuite opter pour une couleur précise à chaque étape de la  » construction  » de sa chaussure idéale (couleur de fond, couleur de contraste, couleur des lacets, etc.), sans oublier bien sûr la touche hyperpersonnelle : une inscription (pourquoi pas son nom ?) à l’arrière du talon. Le tout pour une somme qui varie entre 130 et 200 euros selon les desiderata de l’internaute. Même topo sur www.adidas.com où chacun peut, à sa guise, customiser ses chaussures de football, de tennis ou de course en quelques clics de souris bien sentis. L’idée consiste, en définitive, à renforcer le consommateur dans le schéma suivant :  » D’accord, on trouve les mêmes Nike et les mêmes Adidas sur tous les continents. Ce n’est pas très original, mais le produit est intéressant. Alors pourquoi ne pas créer les Nike ou les Adidas uniques que personne d’autre n’aura ? » Simple, évident, efficace.

Bien présentes dans le secteur des chaussures (à ce propos, il est aussi utile d’aller faire un petit tour sur www.my-eshoes.com ou encore sur le site belge de www.kickers.be), l’e-customisation s’inscrit donc dans une tendance émergente qui vise à glorifier l’individu au sein d’une masse anodine. L’Américaine Faith Popcorn, grande prêtresse des modes en gestation, a d’ailleurs illustré ce courant consumériste avec le néologisme  » egonomie « , un mot valise qui emboîte joliment les notions d’ego et d’économie. En clair : la personnalisation des produits de masse permet à chacun d’avoir l’illusion d’émerger de la foule. On porte des baskets avec un logo que tout le monde connaît, mais dans une combinaison de couleurs et avec un nom (ou un slogan) originaux. Sur le Net, la prolifération d’articles  » customisables  » est révélatrice de cet état d’esprit. Les sites se multiplient allègrement, proposant aux consommateurs de créer des sacs branchés avec leurs propres photos ( www.beabag.com), voire même des poupées à leur effigie ( www.minimebaby.com)! Rayon jouets, la célèbre firme Barbie a d’ailleurs pris le train en marche avec un espace  » Fashion fun  » sur son site Internet ( www.barbie.com) où les petites filles peuvent jouer facilement aux apprenties stylistes. D’une manière tout à fait ludique, elles peuvent ainsi créer virtuellement la poupée de leurs rêves en sélectionnant la couleur des yeux, le teint, la coiffure et le maquillage, mais aussi le style vestimentaire, la gamme d’accessoires et même la personnalité de la belle !

Séduisante, cette nouvelle dimension du  » sur mesure  » adapté au xxie siècle permet non seulement aux internautes de s’approprier des produits adaptables à leurs envies, mais aussi d’offrir facilement des cadeaux personnalisés à la famille et aux amis. Par exemple, sur le site littéraire www.citationsdumonde.com, une fenêtre  » idées cadeaux  » incite les visiteurs à concevoir des présents personnalisés : un livre de citations choisies par l’internaute qu’il peut ensuite dédicacer (19,90 euros), un tee-shirt avec un aphorisme à choisir parmi les milliers de références du site (19,90 euros) ou encore une montre avec une maxime ou un adage inscrit sur le cadran (à partir de 30 euros). Ces deux dernières variantes se font d’ailleurs en étroite collaboration avec le site www.oozoo.com, spécialisé dans les cadeaux customisés, à l’instar d’une autre adresse italienne www.e-shirt.it également consacrée à la personnalisation de tee-shirts  » on line « .

Un peu moins prévisibles, d’autres initiatives dédiées à l’e-customisation fleurissent aussi sur le Net, offrant au consommateur l’opportunité de jouer au designer en herbe. La mode est évidemment un secteur de choix (comme sur www.bivolino.com), mais l’horlogerie se positionne désormais dans cette volonté de personnalisation tous azimuts. Qu’il s’agisse de tocantes bas de gamme ( www.lesmontresperso.com) ou de montres beaucoup plus raffinées estampillées  » swiss made  » ( www.factory121.com), l’idée consiste à proposer, in fine, la construction d’un objet unique comme dans un jeu de Meccano. Cadran, boîtier, bracelet, couleur… Tout se décline dans un éventail de propositions élargies où chaque internaute peut assurément trouver son bonheur.

Véritable tendance de fond dans la société actuelle, l’e-customisation n’en est qu’à ses balbutiements. Il est d’ailleurs probable que ce souhait de personnaliser les marchandises à tout prix débouche d’ailleurs sur d’autres applications beaucoup plus inattendues. Dans le secteur des loisirs audiovisuels, le téléspectateur a déjà l’illusion de pouvoir zapper, par son vote, les protagonistes d’une émission de télé-réalité. Mais il y a plus fort encore. Ainsi, aux Etats-Unis, une firme américaine propose d’ores et déjà la commercialisation de séries ou de films (visibles sur Internet et en DVD) où le spectateur décide réellement du cours de l’histoire et de l’avenir des personnages visibles à l’écran ( www.mvmax.com). Grâce à une technologie pointue et à des supports qui permettent de tirer pleinement partie de l’arborescence d’un scénario multiple, le consommateur d’images peut désormais jouer au réalisateur en orientant réellement le scénario proposé. A chaque moment clé du film, il est invité à formuler son choix entre différentes options  » customisables  » à souhait. Une responsabilité divine, en quelque sorte…

Frédéric Brébant

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