Il crée des robes sorties tout droit des contes des Mille et Une NuitS. Le couturier libanais est la nouvelle coqueluche des princesses d’Orient et des stars de Hollywood. Rencontre.

Pour la cinquième fois, Elie Saab présente un défilé de haute couture à Paris. Sur le podium souffle un vent d’une féminité venue d’ailleurs. Tout n’est qu’effer-vescence, légèreté et éblouissement. Des mousselines impalpables, des dentelles arachnéennes, des crêpes soyeux, d’une finesse et d’une fluidité extraordinaire ondoient et flottent dans l’espace, virevoltent autour des mannequins (tous très beaux), s’enroulent autour des mollets, voilent les hanches. Des volants finement plissés battent les cuisses, des fentes audacieuses dévoilent les jambes fuselées. Les bustes sont menus. Les tops moulent le corps, subliment les gorges, les décolletés, les épaules, les tailles fines. Parfois, des découpes rondes et sinueuses jouent à cache-cache avec la peau. Les couleurs sont somptueuses. Les roses, les ivoires, les beiges, les cuivres, les bronzes, les mauves, tantôt poudrés et hésitants, tantôt plus vifs et plus francs, se mêlent et se confondent dans un halo raffiné, très impressionniste. Les silhouettes rutilent et scintillent. Elie Saab adore paillettes, sequins, strass, perles et cristaux et les utilise généreusement. Il y a aussi des contrastes chromatiques plus aigus, quand, par exemple, des fleurs exotiques rouge sang envahissent une mousseline beige très claire ou quand des bouquets brodés de fleurs rose pâle, jetés sur une soie transparente noire, tracent un message secret.

Le spectacle est féerique. L’assis-tance, composée en grande partie de Libanaises, est comblée. Nazed Hariri, la très élégante épouse du Premier ministre libanais, cliente fidèle du couturier, affiche un sourire radieux. Il n’y a pas de doute. Elie Saab a rejoint la cour des grands. Le lendemain, le créateur reçoit Weekend Le Vif/L’Express dans son showroom parisien pour un entretien exclusif. Son visage reflète cette lassitude qui suit une période chargée et intense, les traits sont légèrement tirés, mais l’accueil oriental reprend vite le dessus.

La mode est pour Elie Saab une passion viscérale, sa véritable raison de vivre depuis sa plus tendre enfance. Il a grandi, avec trois frères et deux s£urs, auprès d’un père marchand de bois et d’une mère qui…  » détestait la mode « . Sourd aux recommandations parentales, au choix d’un métier  » sérieux « , Elie présente son premier défilé de haute couture au Casino de Beyrouth en 1982, en pleine guerre. Ce self-made-man n’a fréquenté aucune école de stylisme. A quoi bon ?  » La haute couture, c’est une passion, insiste-t-il. Je suis né pour être couturier. J’ai tout en moi et donc pas besoin de formation. Cela dit, j’ai un modèle et un maître que j’admire beaucoup : le couturier Valentino, car il respecte la femme et la rend toujours belle.  »

Lors de son premier défilé, Elie Saab présente 40 modèles. Le succès est colossal, car l’esprit de la collection est tout nouveau. A première vue, ce succès, alors que la guerre fait rage, peut paraître paradoxal. Mais le rêve de la beauté et de l’insouciance n’est-il pas le meilleur antidote à la peur et à la tristesse ? Sans oublier que pour la majorité des Libanaises l’apparence, le paraître, la féminité et la séduction revêtent une importance capitale. Le ton est donné dès le début. Elie Saab imagine des robes rivalisant de sophistication et de somptuosité,  » riches  » et luxueuses qui transforment la femme en princesse d’un conte de fées moderne.  » J’aime la femme qui bouge, alors j’utilise depuis toujours les tissus français, légers, souples et fluides, explique-t-il. Les soies asiatiques, indiennes, par exemple, sont plus épaisses et plus raides. Mes dentelles, je les achète dans le nord de la France et le fil d’or à Lyon. C’est le meilleur.  »

Bientôt un parfum

Au début, la clientèle est essentiellement arabe. Au fil des ans, les Américaines et les Italiennes fortunées s’emballent pour ces créations oniriques, entourées d’un parfum d’exotisme. Elie Saab crée alors deux collections  » sur mesure  » : l’une pour l’Orient, l’autre pour l’Occident. Mais la mondialisation, déjà en marche, uniformise petit à petit les goûts.  » Le phénomène a démarré il y a environ sept ans, explique Elie Saab. Les femmes arabes de la nouvelle génération voyagent, font leurs études ou leur carrière professionnelle en Eu-rope et aux Etats-Unis. Leurs aspirations et leurs attentes se rapprochent de celles des femmes occidentales. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un seul type de femme : une femme éduquée, dotée d’une forte personnalité, très attentive à sa séduction et à sa féminité. Désormais, je ne crée plus qu’une seule collection.  » Parmi ses clientes, il y a des célébrités. Elie Saab se fait très discret dès qu’on évoque ce sujet, mais il est de notoriété publique qu’il a confectionné la superbe robe de couronnement pour Rania de Jordanie ou encore qu’il a habillé Halle Berry pour la cérémonie des oscars, le 24 mars dernier. Pour recevoir la récompense suprême de la meilleure actrice pour son interprétation magistrale dans  » Monster’s Ball « , la jeune femme portait une somptueuse tenue, composée d’un top transparent chocolat brodé de grandes fleurs exotiques et d’une jupe de taffetas rouge sombre.

Robes de princesse, robes de reine et… robes-bijoux. Le couturier libanais est le seul au monde à créer des robes serties de pierres précieuses, de rubis ou d’émeraudes, notamment. Leurs prix donnent le vertige : entre 2 500 000 et 3 millions de dollars. Une fois de plus, discret et peu disert, Elie Saab n’entre pas dans les détails.  » Depuis le début de ma carrière, j’ai réalisé sept robes-bijoux, précise-t-il toutefois. Dans le monde, il y a encore de très grosses fortunes. Et il y a des femmes qui vivent parfois des occasions exceptionnelles et veulent être, à ces moments-là, exceptionnelles. L’argent n’entre pas en ligne de compte. Et je trouve cela tout à fait naturel et normal.  »

Pour les occasions, disons plus quotidiennes, Elie Saab dessine aussi une ligne de prêt-à-porter, diffusée principalement en Italie. Largement inspirée de la haute couture, elle se distingue par le même côté précieux, glamour et festif. Même les tailleurs ont une touche d’apparat.  » Tous mes vêtements sont parfaitement portables, ils rendent la femme belle, souligne le créateur. Cela dit, j’aime le grand luxe et je ne ferai jamais de choses faciles à porter tous les jours. D’ailleurs, c’est un créneau complètement saturé, il n’y a aucun manque. Je vais poursuivre mes collections de robes pour princesses. De toute façon, je préfère la femme la nuit que le jour.  »

La fidélité à sa vision de la couture n’empêche pas Elie Saab de se tourner vers d’autres domaines. Il vient, en effet, d' » habiller  » (sièges et tableau de bord) la série 7 de la jeep BMW X Five. Editée en 100 exemplaires, elle sera présentée en mars prochain. Ce  » fou  » de voitures y a mis autant de passion et d’enthousiasme que dans sa mode. Un autre projet est prêt à voir le jour : le premier parfum Elie Saab sera lancé au mois d’avril.  » C’est un oriental très léger, légèrement poivré, avec une présence de bois de santal, confie-t-il. Il sera de qualité exceptionnelle.  »

Barbara Witkowska n

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