Barbara Witkowska Journaliste

Omniprésent et surabondant, le parfum s’est démocratisé et banalisé. Et le rare, l’exceptionnel, le cher, synonyme de vrai luxe ? Il existe toujours… procurant de riches émotions.

Parfois nous écrasons une larme en songeant au temps où les parfums étaient de  » vrais  » parfums, des chefs-d’oeuvre  » riches  » et précieux, susceptibles de faire vibrer notre mémoire. Nous nous trompons de nostalgie, car ces parfums-là n’ont pas disparu.  » Un parfum de luxe ne se définit pas en termes de temps, mais en termes de matières premières utilisées « , souligne Jean-Marie Martin-Hattemberg, expert indépendant  » Art et Patrimoine  » de la parfumerie, à Paris.

Rappelons qu’au début du XXe siècle la parfumerie, d’origine familiale, avait le souci du travail bien fait, privilégiant le savoir-faire de l’industrie et de l’artisanat. Le basculement des marques de parfums dans l’univers des grandes multinationales et de groupes lessiviers a complètement modifié le métier de parfumeur.  » Prêt-à-porter de luxe olfactif « , le parfum est devenu l’instrument d’images. Quand une marque lance une nouvelle note olfactive, accompagnée d’un flacon original et soutenue par la publicité (il faut savoir que le budget publicitaire est parfois trois fois plus grand que celui consacré à la qualité du jus), il y a beaucoup de chances que le produit obtienne un succès. Les autres marques suivent et on assiste à une standardisation, au sein d’une nouvelle  » tendance « .

Poèmes olfactifs

 » A l’opposé, explique Jean-Marie Martin-Hattemberg, quelques marques confidentielles ont préféré suivre une exigence de qualité pour créer des parfums de grand luxe. Elles essaient de protéger l’identité d’un parfum dont l’objectif principal est l’exacerbation de la personnalité. Donc, les parfums de luxe existent toujours, sur le plan olfactif et sur le plan de la présentation. Ils s’adressent à une clientèle éduquée, cultivée et très fidèle. « 

Au top du hit-parade des parfums de luxe, Jean-Marie Martin-Hattemberg place, sans hésiter, les créations Caron, disponibles dans trois boutiques exclusives, à Paris.  » Caron totalise aujourd’hui 34 jus, les 12 classiques sont servis en fontaines Baccarat et on ne les trouve nulle part ailleurs, explique Chantal Evrard, responsable du développement luxe chez Caron. Il s’agit de parfums d’époque, créés dans la première moitié du XXe siècle. Les formules, riches en matières premières naturelles, sont restées inchangées.  » Parmi les best-sellers, il y a Poivre, le parfum préféré de Madonna, En avion, qui fait craquer Isabelle Adjani ou encore Tabac Blond, un chypré oriental cuiré plein de caractère. Sans oublier le masculin Pour un Homme. Ce lavande-vanille, rehaussé par une pointe de rose, est plébiscité par Johnny Hallyday, Patrick Bruel, Patrick Poivre d’Arvor et… Tom Ford, directeur de création chez Gucci et Yves Saint Laurent.

Chaque année, fin décembre, Caron propose une édition limitée de Nuit de Noël, dans une version luxueuse de 300 exemplaires. Le flacon d’origine de cet oriental fleuri, créé en 1922, était en cristal noir de Baccarat, cerclé d’un bandeau doré. En 2001, le flacon est doré, posé sur un piédestal en porcelaine blanche de Limoges, parsemé de picots et surmonté par un dôme, irisé comme une bulle de savon. Cette boîte à musique diffuse la mélodie  » Sous le ciel de Paris.  » Karl Lagerfeld, directeur artistique de la mode Chanel, achète chaque année, le 23 décembre, un flacon de Nuit de Noël et porte ce parfum un seul jour par an, le 25 décembre. C’est un rite « , note Chantal Evrard. Caron propose également une bougie d’intérieur très luxueuse. Le décor du pot en biscuit de Limoges reprend les fontaines de la boutique. La fragrance interprète celle d’une boutique de fleuriste : un mélange de fleurs et de verdure dans une ambiance fraîche et humide.

Les parfums de Serge Lutens, édités pour les Salons du Palais Royal Shiseido, à Paris, sont le reflet des goûts olfactifs de cet artiste singulier, passionné par le Maroc et l’Orient. Riches, opulents et somptueux, ils sont souvent construits sur une note dominante unique, pour rendre hommage à la rose, à la fleur d’oranger, à la myrrhe, au lis ou à l’iris. Pour les présenter: un seul flacon, empreint d’une simplicité élégante et intemporelle. Chergui, le dernier-né, interprète magistralement le vent d’Orient sec et brûlant qui souffle dans le Sud marocain. Ample, rond et vibrant, ce somptueux ambré résineux tresse des notes sensuelles de santal de Mysore, de cyste de labdanum, de miel blanc et de cuir de Russie. Pour Noël 2001, un serpent sans fin, gravé, émaillé noir à chaud, s’enroule autour du flacon de Chergui en édition limitée.

Baccarat et Lalique, deux noms évoquant l’art de la table et le raffinement à la française, ont également leurs parfums de luxe, de véritables créations d’art.  » Les contes d’ailleurs  » de Baccarat (il y en a trois) évoquent des aventures lointaines et des émotions exotiques. Les flacons, des mini-sculptures en cristal, ont été dessinés par Federico Restrepo, un jeune poète créateur. Une Nuit étoilée au Bengale est un fleuri oriental ambré. Dans son sillage, on devine des épices de Ceylan, le gingembre et la cannelle. Lyrique et baroque, Un certain été à Livadia est un musc oriental. Il interprète sur le mode odorant les fastes de l’éternelle Russie et les passions de l’âme slave. Les Larmes Sacrées de Thèbes raconte ce paysage mystérieux des rives lentes du Nil, baigné d’ombres secrètes et de lumières transparentes.

Luxueux et prestigieux, le parfum Lalique a été créé en 1992. Chaque année, la maison édite un nouveau flacon collection en série limitée, reflétant le savoir-faire des maîtres verriers : il est soufflé à la bouche, satiné et repoussé à la main et son bouchon est émerisé à l’ancienne. En 2002, le flacon Les Elfes est double et comprend un volume transparent, inséré à chaud dans les ailes satinées des génies des airs. La fragrance de ce floral musqué subtil a été légèrement modernisée. Désormais, il y a plus de transparence dans les notes de tête et plus de pétillance dans les notes de coeur.

Installé dans une boutique raffinée, située boulevard Saint-Germain,à Paris, Diptyque s’est fait connaître, dès 1963, par ses extraordinaires bougies parfumées pour la maison : Cèdre, Héliotrope, Mimosa, Pomander, Tilleul, Safran ou Giroflier. Née en 1968, la première Eau de toilette, baptisée simplement L’Eau et composée sur la base d’une recette de pot-pourri du XVIe siècle, s’accompagne désormais de plusieurs créations singulières et élitistes. Citons Ofrésia, une brassée de freesias blancs, poivrée, adoucie par des notes boisées, qui évoque la fraîcheur matinale d’un jardin fleuri. Ou encore Oyédo, un délicieux cocktail d’agrumes et de thym sur fond boisé.

Les parfums des joailliers s’inscrivent également dans le créneau du luxe. De par leurs sillages raffinés et leurs écrins-bijoux, ils sont de véritables joyaux. Van Cleef & Arpels a ouvert la voie en 1976 avec First. Dans son coeur floral palpitent le jasmin et le narcisse. Pour Noël 2001, l’eau de toilette s’accompagne d’un mini-vaporisateur de sac doré. Boucheron interprète admirablement un bracelet du Rajasthan et le remplit de Jaïpur, un parfum chatoyant où se déploient la prune, la rose, l’acacia, l’ambre et le santal. Quant à Must de Cartier, ce grand classique oriental, il se pare d’un nouvel habit, un fourreau tout simple rouge rubis. A l’intérieur, des fruits frais, réchauffés par la rose et le jasmin, répondent à la sensualité de vétiver, de vanille et de musc.

Arthus Bertrand, le plus célèbre orfèvre de Paris, créateur du fameux bâton de Maréchal (orné, historiquement, du lis, de l’abeille puis des étoiles) vient de créer son parfum, baptisé 1803, en souvenir de la date de la création de la Maison. Le flacon  » joyau « , lourd et précieux, est inspiré du bâton de Maréchal. Or ou argent, il est proposé aux hommes ou aux femmes. Le jus, composé par Loïc Delteil (créateur d’Opium de Yves Saint Laurent), est un bel oriental, très racé, qui laisse s’épanouir la bergamote, le néroli, l’ylang-ylang, l’iris, l’oeillet. Le tout enrobé par la sensibilité de la vanille, de la cardamome et de la noix de muscade.

Pour les collectionneurs et les amateurs de luxe, Le Gardénia signé Isabey, est enfermé dans un flacon perle soufflé à la bouche. Son sillage vibrant et velouté, empreint d’une sensualité intense est un magnifique gardénia, enrichi de notes d’agrumes, de rose bulgare et d’absolu d’iris, sur fond de musc et d’ambre gris.  » C’est un parfum de corsage et de décolleté, très vamp, souligne Jean-Marie Martin-Hattemberg. On pense à Ava Gardner qui enlève ses gants et ouvre son manteau. On est en plein Hollywood ! »

Pour terminer ce tour d’horizon, un mot sur les concrètes, ces parfums solides, symboles, il y a un siècle, de raffinement. Leur usage s’est un peu perdu au fil des ans pour disparaître définitivement. Curieusement, la tradition est perpétuée uniquement aux Etats-Unis, par Estée Lauder. Chaque année, cette marque édite des concrètes-joaillerie, de ravissants objets, très recherchés par les collectionneurs. A l’intérieur, les grands classiques : Youth Dew, un oriental ambré créé en 1953, White Linen, un floral aldéhydé de 1978 ou encore Knowing, un chypre-floral de 1988.

Carnet d’adresses en page 107.

Barbara Witkowska

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