Que l’on soit jeune ou moins jeune, célibataire ou en couple, avec ou sans enfants, nous sommes de plus en plus nombreux à nous échapper le temps de vacances en solitaire, jusqu’au bout du monde.

« Que vous soyez un baroudeur de l’extrême, une personne en quête d’introspection ou à une étape charnière de votre vie, l’escapade en solo a une particularité : on ne peut plus mettre ses émotions en sourdine lorsque l’on se retrouve face à soi-même dans un pays étranger. Si on croit pouvoir les fuir, on est cuit. Il n’y a plus qu’une chose à faire : s’écouter « , prévient Adeline Gressin, consultante en e-tourisme et auteur du blog Voyages etc… Après avoir travaillé dans la pub pendant douze ans, elle quitte son emploi en 2009, avec une idée : faire le tour du monde. Certains saluent sa démarche mais d’autres l’accablent de questions. Ne craint-elle pas les coups de blues ? Ne pense-t-elle pas à sa sécurité ? N’a-t-elle pas peur d’interrompre sa carrière ?  » Au début, les gens me prenaient pour une inconsciente, confie-t-elle. Partir seule, ce n’est pas dans l’ordre des choses, surtout quand on est une femme. La société nous impose un schéma de vie linéaire, « université-emploi-mariage-enfant ». Si l’on déroge à cette règle, cela suscite plus de méfiance que de respect.  »

Pourtant, à en croire la presse anglo-saxonne, la tendance du  » solo travelling  » est en plein essor. Entre la mobilité géographique de la génération Erasmus, l’explosion du nombre de célibataires et le développement du tourisme low cost, on fait ses valises avec plus de facilité. L’élément déclencheur ? Une rupture amoureuse, la perte d’un emploi, la fin des études, l’envie de renouveau…  » Pour certains, c’est l’occasion de passer à l’action après avoir tant rêvé. Pour d’autres, c’est simplement une façon de tuer le temps avant de décider quelle sera la prochaine étape de leur vie, explique Marie-Julie Gagnon (1), journaliste québécoise et co-auteur avec Ariane Arpin-Delorme du livre Le Voyage pour les filles qui ont peur de tout (éditions Michel Lafon). Je vis cela comme une pulsion. Le désir surgit et s’intensifie, jusqu’à ce que je cède et prenne la route.  » D’après une étude sur les intentions d’escapade réalisée dans vingt-cinq pays par Visa, et publiée en mai dernier dans le New York Times, 24 % des vacanciers sont partis seuls en 2014 (9 % en 2013).

A l’évidence, le  » solo traveller  » ne correspond plus au stéréotype du célibataire endurci qui part esseulé par dépit. Désormais, l’aventure non-accompagnée est choisie, et non subie.  » Il y a dix ans, il n’y avait aucune infrastructure pour les personnes seules « , rappelle Nicolas Nahmias, fondateur de l’agence Partirseul.com et l’un des pionniers de ce secteur de niche en France. Si la majorité de ses clients – âgés de 30 à 60 ans – sont célibataires ou divorcés, 20 % d’entre eux sont en couple ou mariés.  » Obligés de partir dans des clubs, condamnés à payer des suppléments « single », ce type de globe-trotteur était une anomalie à l’époque, ajoute-t-il. Mais les choses ont changé : le voyage en solo est plus décomplexé. Et c’est du pain bénit pour l’industrie du tourisme !  »

RÉÉCRIRE SA VIE

Popularisée par le cinéma – de Mange, prie, aime (2010), à Wild (2014) -, la tendance est désormais ancrée dans la culture anglo-saxonne. A la fin du lycée ou de l’université, il est de coutume de s’octroyer une  » gap year  » (année de césure) pour explorer le monde.  » Après avoir passé un an en Asie pendant mes études, il m’arrive de repartir seule, même si je suis en couple depuis deux ans, raconte Clélia, une consultante de 29 ans basée à Londres. C’est une sorte de rituel : on laisse des choses derrière soi pour mieux se reconstruire, on vit davantage dans le moment. En côtoyant des personnes qui ne vous connaissent pas, on a le sentiment de pouvoir réécrire sa vie, le temps de quelques semaines.  » Les moments les plus forts ? Les rencontres,  » plus intenses que dans la « vraie vie », parce que l’on sait que le temps passé ensemble a une durée limitée « , répond Marie-Julie Gagnon.  » On ne s’embarrasse pas de banalités d’usage, on entre directement dans le vif du sujet.  » Pour Aude Mermilliod (2), graphiste et coauteur de l’e-book L’Art de voyager seule quand on est une femme, l’expédition sans partenaire rime aussi avec anonymat.  » J’ai grandi dans un quartier de Bruxelles où tout le monde se connaît, se souvient-elle. Un jour, je me suis retrouvée dans les rues de Katmandou et j’ai goûté au bonheur d’être « étrangère ». Cela offre une vraie perméabilité aux rencontres. Car, pour les locaux, on est mystérieux.  »

Si ce type de trips se banalise, pourquoi suscite-t-il encore de la méfiance ? D’après le psychiatre Gérard Macqueron, auteur de l’essai Psychologie de la solitude (Odile Jacob), il est emblématique de la schizophrénie de nos sociétés occidentales. Malgré l’individualisme du système, celui qui jouit pleinement de sa solitude paraît étrange. Le  » savoir être seul  » a pourtant de nombreuses vertus.  » C’est un défi que l’on se lance, un réveil des sens, un retour à l’animalité originelle et un ressourcement, analyse le psychiatre. La solitude, quoique souvent vécue douloureusement, est structurante. Elle favorise la découverte de soi, mais aussi l’acceptation de ses limites, et conduit à agir en êtres matures. Elle nous force à inscrire nos désirs dans le champ du réalisable et non dans celui de l’imaginaire. Pouvoir vivre pleinement les moments de solitude : c’est à cela qu’il faut parvenir pour être libre d’être soi.  »

S’il y a autant de manières d’envisager le solo travelling qu’il y a de candidats à l’évasion, Ariane Arpin-Delorme (3) a observé deux tendances principales. Les hommes seraient plutôt tentés par la réalisation d’une prouesse sportive. Quant aux femmes, elles préféreraient mener à bien un projet : rencontrer un maître spirituel, s’engager auprès d’une association humanitaire, fêter ses 25, ses 40 ou ses 50 ans… Selon une enquête réalisée par HostelBookers.fr et WeGoSolo en 2013, 28 % des 1 000 femmes interrogées partent seules par amour de la liberté, 17 % par esprit d’aventure et 15 % pour mieux se connaître. Ce départ serait-il dès lors une fuite… ou une quête ?  » Il n’y a pas de réponse universelle, réplique Marie-Julie Gagnon. On a besoin parfois de mettre des kilomètres entre sa vie et soi pour arriver à mieux cerner une situation, à prendre de la hauteur. Au retour, les réponses viennent d’elles-mêmes. Est-ce une fuite ? Je le vois plutôt comme un « zoom out », une prise de recul. Le voyage est le meilleur prof, le meilleur psy et le meilleur déclencheur d’inspiration.  »

(1) Taxibrousse.ca

(2) Artdevoyagerseule.com et Lafillevoyage.com

(3) Fondatrice de l’agence de voyages Esprit d’aventure, www.esprit-daventure.com

 » Je vis cela comme une pulsion. Le désir surgit et s’intensifie, jusqu’à ce que je cède et prenne la route.  »

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