Au XVIIe et XVIIIe siècles, toutes les richesses des colonies à destination de la couronne d’Espagne transitaient par Guayaquil. De cette époque faste et troublée, la ville équatorienne a gardé sa fougue et sa fierté.

Parti de Quito, la capitale de l’Equateur, le visiteur qui arrive – après une demi-heure d’avion – à Guayaquil se rend vite à l’évidence. Ici, en effet, il se trouve rapidement immergé dans un univers tropical où la chaleur et l’humidité, même en dehors de la saison des pluies, sont impressionnantes. Ainsi, le brouhaha qui s’élève des rues dépasse de loin celui des autres villes andines. Ici, rien ne semble raisonnable. La ville ne se découvre que si l’on adopte son rythme, un rythme aquatique, affairé, entêtant…

A Guayaquil, l’eau est omniprésente. La ville fut construite au fond d’un golfe sur la plaine côtière dans l’estuaire du Guayas. Francisco de Orellana, compagnon du conquérant Pizarro et qui sera aussi le premier à descendre le fleuve Amazone, choisit minutieusement ce site en 1538. La raison : il estimait l’endroit bien à l’abri au fond du golfe et donc bien loin de la convoitise des pirates. C’était sous-estimer leur esprit de lucre. Ravitaillés en eau et en tortues géantes aux Galapagos, îles volcaniques alors inhabitées et situées au large de l’Audiencia de Quito (nom de l’Equateur au XVIe siècle), ils étaient extrêmement motivés pour lancer des assauts sur la ville portuaire. Ville qui voyait transiter toutes les richesses à destination de la couronne d’Espagne. Or et draps y étaient embarqués sur des galions construits sur place. Guayaquil étant aussi, à l’époque coloniale, le chantier naval le plus important de l’océan Pacifique grâce aux importantes forêts de l’arrière-pays. Corsaires anglais, hollandais et français purent ainsi s’en donner à coeur joie…

Aujourd’hui, ce n’est plus uniquement l’activité portuaire qui agite Guayaquil. Les plantations de bananes, de palmiers à huile, de fruits, de ricin, de coton, et aussi de riz, de soja ou d’arachide ont proliféré dans l’arrière-pays. La colonisation agricole a commencé à la fin du siècle dernier avec le cacao, dont l’essor spectaculaire éleva l’Equateur au premier rang mondial des exportateurs de cette fève. Durant ce siècle et jusqu’à il y a une trentaine d’années, cacao, café, sucre et banane ont constitué les principales productions. Parmi elles, seule la banane continue à jouer un rôle de premier plan dans l’économie nationale. Elle est considérée comme  » l’or vert  » de l’Equateur, qui est l’un des premiers pays bananiers au monde. Il y a quelques années, le pays a découvert également l’or rose : les crevettes. Même si le boom de la crevette est passé, l’aquaculture de ces crustacés dans le delta du Guayas et à l’arrière du littoral, dans des lagunes artificielles, constitue une importante source de revenu au niveau national.

La capitale du Sud

Forte d’une population sans cesse croissante, Guayaquil approche les deux millions d’habitants, la capitale du Sud rivalise avec Quito pour ravir la place de ville phare du pays. Son centre reflète d’ailleurs toute son énergie. La spéculation l’anime, et d’immenses immeubles aux façades souvent luxueuses dominent les ruelles commerçantes en perpétuelle effervescence. Au centre-ville, il ne subsiste aujourd’hui de l’époque coloniale que le tracé des rues. Maintes fois incendiée par les pirates, la cité a perdu la majeure partie de ses édifices en bois. Elle n’a cependant rien perdu de sa vivacité. La chaleur aidant, le promeneur se laisse envoûter, aux alentours de l’avenue centrale  » 9 de Octubre « , par le mouvement de la foule affairée, le trafic ininterrompu de véhicules en tout genre, luxueux ou chancelants, la profusion d’odeurs et de couleurs. La cathédrale, de style néogothique, fut reconstruite sur ses fondations du XVIe siècle. Elle constitue, avec le parc Bolivar, une oasis de calme. A l’une des extrémités de la  » 9 de Octubre « , le Parque Centenario, où se dresse une colonne dédiée à la liberté, est également un lieu de repos apprécié. A l’autre extrémité,  » le Malecon  » est la  » promenade des Anglais  » de Guayaquil. Des péniches-restaurants amarrées au quai accueillent les marcheurs lorsque le soleil se fait trop insistant. Si le Malecon était encore bordé d’entrepôts de bois il y a trente ans, ce sont aujourd’hui les tours de verre qui constituent le front du fleuve. Quelques silhouettes du passé s’intercalent dans ce théâtre de la modernité : celle de la Torre Morisca (Tour mauresque), reconstruite plusieurs fois depuis 1770 et située sur le quai ; celle de la Rotonda, monument élevé en l’honneur de la rencontre historique à Guayaquil entre Simon Bolivar et San Martin, tous deux grands acteurs des indépendances latino-américaines; celles enfin, très imposantes, de la Municipalité et du Palais du gouverneur, deux architectures datant de 1920. Les vieilles maisons coloniales de bois de Guayaquil, aux persiennes typiques et conçues pour fournir de l’ombre – tout en laissant passer les souffles d’air si désirables – se font désormais rares. Il n’en reste que quelques-unes dans les quartiers Las Penas et Santa-Anna. Ce dernier surplombe le premier et il est agrippé à la colline où même les habitants de la ville déconseillent de s’aventurer… Pour s’imprégner du passé historique, les musées représentent certainement un point de départ idéal. Ainsi, le musée municipal, le musée de la  » Casa de la Cultura  » et le Musée anthropologique de la Banque centrale présentent des collections archéologiques fort importantes consacrées aux civilisations précolombiennes côtières. Le musée Nahim Isaias expose, quant à lui, des pièces d’art colonial et moderne.

Week-end au bord de l’eau

Le développement de la ville est tel que celui-ci empiète de plus en plus sur les mangroves qui ont toujours constitué l’environnement naturel du delta… Une balade en bateau permet d’observer le spectacle magique constitué par les racines aériennes des palétuviers. Des compagnies maritimes proposent – le dimanche – des excursions autour de l’Isla Santay, sur le rio Guays, à l’attention des familles guayaquiléniennes. Les petites embarcations, ancrées au bord du Malecon, attendent les clients. Aux environs du quartier périphérique du Puerto-Azul, une zone récréative a été installée sur les rives d’un bras aquatique, en plein coeur de la mangrove. La Fundacion Natura (Fondation Nature, organisme national équatorien) y organise des balades naturalistes en barque à moteur. Si la région côtière située immédiatement au sud-est de Guayaquil, jusqu’à Machala, est le paradis des plantations de bananes, la péninsule de Santa-Elena, au nord-ouest, est celle des vacanciers. Le paysage aquatique du delta du Guayas se transforme rapidement près de la côte en une steppe de broussailles sèches, où se dressent les silhouettes singulières et dénudées des kapokiers. Ce territoire un peu fantasmagorique n’est que le lieu de passage des Guayaquiléniens aisés qui se rendent dans la station balnéaire moderne de Salinas. Des hôtels et centres de vacances, souvent luxueux, sont également disséminés sur la côte au nord de Santa-Elena… Ils s’intercalent entre des petits villages de pêcheurs, auxquels des maisonnettes à moitié en dur et à moitié en bois donnent une image un peu hétéroclite. Les boutiques et les petits restaurants y sont de simples auvents couverts de palmes. La pêche artisanale y est encore pratiquée par tous, même si la pêche industrielle ne cesse de se développer dans les grands ports. Au matin, les barques multicolores en bois rentrent les unes après les autres débordant de poissons scintillants : corvina, robolo, lissa (mulet), bonito (petit thon)… Les négociants les achètent directement sur la plage avant de les conduire à Guayaquil.

Fabienne Tisserand Photos: Frédéric Hermann

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