Les fabuleux méandres de l’Ourthe, les chemins forestiers de toute beauté, l’ambiance paisible de l’abbaye de Brialmont… Autant d’endroits qui invitent à la pause. Le 27 août, notre dernier Samedi Vif de l’été 2005 vous insufflera une formidable énergie avant la rentrée.

Sa majesté l’Arbre est à l’honneur à Esneux. Ici et là, on en croise des spécimens remarquables. Tout autour de la ville, l’arboretum  » La Tessenire « , des bois et parcs communaux, la superbe drève de l’abbaye de Brialmont dessinent le paysage, découpent la lumière, créent l’ombre, abritent et reposent le promeneur. Une merveille ! Esneux peut se vanter de posséder, après l’arboretum de Mariemont (dans le Hainaut) et l’arboretum de Bardonwez (dans la province de Luxembourg), un patrimoine arboré parmi les plus riches de Wallonie. C’est d’ailleurs ici, le 21 mai 1905 que la Fête des Arbres est organisée pour la première fois en Belgique.

A l’époque, la Wallonie a le vent en poupe. L’industrie, florissante, est à son apogée. Elle continue à se développer à toute vitesse, souvent, au détriment de la nature. Les premiers cris d’alarme s’élèvent. Ils sont poussés par Jean d’Ardenne, journaliste et écrivain ainsi que Léon Souguenet, alors directeur du  » Journal de Liège  » et l’un des futurs fondateurs du magazine  » Pourquoi Pas ? ». Remuants, frondeurs, les deux hommes commencent à mobiliser les consciences pour la défense de la nature. Des écrivains et peintres connus, tels Camille Lemonnier, Maurice des Ombiaux, Edmond Picard, Auguste Emile Berchmans et Richard Heintz rejoignent les deux écolos avant la lettre. Pari gagné. La première Fête des Arbres draine foule. Il y a du beau monde. L’élite bourgeoise un peu bohème sur les bords (les  » bobos « , comme on dirait d’aujourd’hui) et les plus grands industriels soutiennent l’opération. On plante des arbres, on les chante, on prononce des discours et on termine par un bon gueuleton… L’idée devient vite contagieuse. D’autres communes, Spa, Verviers, Liège, Huy, Boitsfort et Anvers suivent l’exemple d’Esneux et organisent  » leur  » Fête des Arbres. Les années passent, certains s’en lassent. Esneux, en revanche, persévère.

Après la Première Guerre mondiale, l’industriel liégeois Louis Gavage reprend le flambeau. Infatigable, il ne cesse de lutter, pendant quarante ans, en faveur de la protection des arbres et des paysages de la région. Son obstination réussira à éloigner carrières et fours à chaux des collines bordant la splendide boucle de l’Ourthe. Sous son impulsion, les Fêtes des Arbres renaissent et seront célébrées tous les cinq ans. Cette année, le centenaire est fêté en grande pompe, à coups de conférences, concerts, promenades guidées et expositions artistiques. Le clou du programme ? Benjamin Stassen, photographe et écrivain passionné par le patrimoine arboré wallon, fondateur de l’ASBL Le Marronnier sortira, fin octobre prochain, un luxueux album qui retrace, à travers les Fêtes des Arbres, l’histoire de la conservation des sites en Wallonie.

Dans le centre historique, la superbe place Jean d’Ardenne surplombe une colline schisteuse. On y accède en voiture ou… en montant les 156 marches. C’est la partie la plus ancienne de la ville. Jadis, elle grouillait de monde. Il y a un siècle, Esneux était, en effet, un centre de villégiature très chic et les nombreux hôtels ne désemplissaient pas. Aujourd’hui, ils ont cédé la place à des habitations. Dans le quartier règne un calme olympien. Sur la place, on admire des tilleuls centenaires et, surtout, le majestueux marronnier dédié à Jean d’Ardenne. L’église, construite vers 1900, est immense. Juste à côté, Edouard Van Parys a fait construire son château Le Fy. Il voulait être le seul à dominer le paysage et a donc demandé au curé de l’époque (une coquette somme d’argent à l’appui) de construire son église ailleurs. Devant le  » niet  » catégorique, Van Parys a rehaussé la silhouette de son château pour qu’il domine l’église.

L’architecte Paul Saintenoy (le même qui a dessiné le magasin Old England, place Royale, à Bruxelles, transformé aujourd’hui en Musée des Instruments de Musique) a carrément lâché les brides de son imagination. L’architecture du château, complexe et compliquée, pleine de fantaisie, agrémentée de plusieurs tourelles, est d’une originalité indéniable. Briques rouges, pierres et briques vernissées habillent les façades de mosaïques éclectiques. Selon la légende, cette bâtisse étonnante aurait inspiré à Walt Disney son château de la Belle au Bois dormant. On n’a, certes, aucune preuve  » scientifique « , mais l’histoire est jolie et on se permet d’y croire. Abandonnée au début des années 1970, la propriété a été rachetée par l’administration communale qui comptait y installer l’Hôtel de ville. Un jour, des gosses ont investi les lieux et ont eu la mauvaise idée d’y faire cuire des patates. La demeure a pris feu. Le toit, fraîchement refait, s’est écroulé et, dans sa chute, entraîna les beaux projets communaux. Définitivement abandonné, il vient d’être racheté par un richissime Néerlandais qui se lance dans un immense chantier de rénovation. Le parc est magnifique. Il surplombe toute la région. A nos pieds, l’Ourthe serpente paresseusement, bordée par une nature foisonnante.

En empruntant les petites rues voisines, on passe devant le très beau presbytère et sa façade de style Renaissance mosane. Derrière, il y a un bijou de jardin, aménagé autour d’un grand tilleul. Tout autour, des pelouses épilées à la pince, des massifs peignés, des fleurs bichonnées… Ce look impeccable, on le doit à Emile, employé communal à la retraite qui entretient avec amour le jardin de monsieur le curé. Passionné de jardinage, il expose aussi quelques anciens outils de jardin et a même construit un cadran solaire, à l’aide d’une roue de charrette et de quelques morceaux de ferraille ! L’objet fonctionne parfaitement, avec une heure de retard car il n’est pas concerné par l’heure d’été.

On quitte le bourg pour grimper sur les hauteurs et admirer la boucle presque parfaite de l’Ourthe (classée Patrimoine Exceptionnel de Wallonie, en 1981), sertie dans un écrin de prairies et de forêts qui, en cette saison, se colorent de camaïeux de verts exceptionnels. Le plus beau point de vue, on le trouve au sommet de la Roche-aux-Faucons, un rocher calcaire haut de 120 mètres. Le dernier couple de faucons y a été aperçu en 1953. Depuis lors, la pollution, les insecticides et… les touristes ont définitivement éloigné cet oiseau royal. Puis, on pénètre à l’intérieur de la boucle, sur la presqu’île entourée par l’Ourthe. Le plateau de Beaumont est l’un des tout premiers sites classés en Belgique. Le promoteur de ce classement, survenu en 1936, n’est autre que Louis Gavage, cité plus haut. Les arbres y sont superbes. En vedette, un tilleul planté en 1932, est dédié à Léon Souguenet. A côté, une stèle commémorative rend hommage au journaliste, l’un des initiateurs de la Fête des Arbres et infatigable défenseur de la nature contre les  » vandales  » irrespectueux.

Le hameau de Ham, dont les origines se perdent dans la nuit des temps, est l’autre chef-d’£uvre au c£ur de la boucle. Plus près de nous, ce hameau agricole a offert l’hospitalité aux travailleurs saisonniers qui venaient donner un coup de main aux fermiers. Son charme est demeuré intact. Aux coins des rues, de nombreuses fontaines rappellent que l’eau courante est un luxe relativement récent. Les maisons en pierre sont ravissantes, admirablement entretenues et abondamment fleuries. Dans  » la maison des artistes  » se réunissaient les écrivains, journalistes et peintres. Ici, ils ont mis au point le programme de leur audacieuse croisade pour la préservation de la nature. Aujourd’hui, les autorités communales mettent tout en £uvre pour restaurer et mettre en valeur les sites exceptionnels de la région.  » Le Centenaire de la Fête des Arbres est le coup d’envoi d’un programme ambitieux dans le domaine de la nature, réalisé avec l’aide de la Région wallonne », explique Philippe Lamalle, échevin du tourisme d’Esneux. « Il implique une amélioration des infrastructures forestières avec, notamment, la restauration des chemins, la mise en place des bancs et la création des mares didactiques. L’un des projets concerne les ruines du château sur le plateau de Beaumont. Tout autour, la nature a repris le dessus. Nous allons dégager les points de vue pour mieux en profiter.  »

Au début du xxe siècle, rappelons-le, Esneux était un centre de villégiature très réputé et très bien coté. Avec les congés payés et, surtout, après la Seconde Guerre mondiale, les touristes se sont raréfiés. Tous les hôtels ont été fermés. En revanche, les campings ont poussé comme des champignons sauvages. Il y a dix ans, ils étaient partout, souvent ne répondant pas aux normes. La commune a pris les choses en main et a resserré les boulons. Aujourd’hui, l’ordre règne partout. En collaboration avec des fermiers, on tente d’ouvrir des gîtes et des chambres d’hôtes. Les autorités communales ambitionnent de promouvoir ici un tourisme de qualité de un ou de deux jours, un  » tourisme doux « , tellement cher à Jean d’Ardenne et à ses complices.

Le charmant village de Tilff fait partie intégrante de la commune d’Esneux. Une brève halte à la place du Roi Albert s’impose. Les terrasses des restaurants, des brasseries et des cafés débordent d’une foule joyeuse, colorée et pleine de joie de vivre. Le château Brunsode est à deux pas d’ici. Racheté par la commune dans les années 1980, il a été soigneusement restauré. On y organise des expositions et des concerts. La bibliothèque communale s’y installera bientôt. Dans une dépendance du château, on visite un insolite musée de l’abeille. On se régale en découvrant une collection de ruches, anciennes et modernes, provenant du monde entier, puis en observant le travail fébrile des abeilles vivantes dans une ruche vitrée.

Pour terminer, une escale spirituelle. La splendide perspective de la drève qui mène au château de Brialmont incite d’emblée à la méditation. Le château, construit au début du xxe siècle, appartenait à la famille d’Otreppe de Bouvette. Une moniale, membre de la famille, a donné le château à la congrégation des s£urs trappistes ou  » trappistines « , en 1961. Depuis lors, l’ensemble est devenu l’abbaye cistercienne de Brialmont. L’église, très simple, s’est élevée à côté du château, au début des années 1960. Les vitraux sont l’£uvre de Yoop Nicolas, maître verrier néerlandais. Seize moniales y vivent en paix, tout en travaillant très activement, pour respecter la règle de saint Benoît. L’agriculture a été abandonnée récemment. Aujourd’hui, les s£urs se partagent trois types d’activités qui s’inscrivent mieux dans l’air du temps. Des locaux ont été aménagés pour la culture de champignons de Paris bruns, donc plus goûteux. A l’intérieur, tout est  » nickel « , on dirait un vrai laboratoire. La boutique librairie, deuxième pôle d’activités, est très bien achalandée. On y trouve… des champignons, bien sûr, mais aussi des herbes, des aromates, du miel, des produits d’hygiène, tous fabriqués dans des monastères en France et en Belgique. Le dernier pôle d’activité ? L’hôtellerie. Treize chambres d’accueil, très agréables et confortables (chaque chambre est équipée d’une salle d’eau) sont à la disposition des amateurs de retraite ou des étudiants en examen.  » Nous accueillons ceux et celles qui sont en quête et en soif de silence voire à la recherche de Dieu », explique s£ur Colette. « Les retraitants peuvent fréquenter notre réfectoire où on mange en silence. Nous suggérons aussi la participation à un office de Dieu.  » Savez-vous que le pape Jean-Paul II, lors de sa visite en Belgique en 1985, a logé ici. L’abbaye de Brialmont ? Un havre de paix où tout se livre avec douceur, lenteur et patience.

Barbara Witkowska

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