Arômes et saveurs, souvenirs d’enfance … Christine Nagel, Christophe Renaud et Thierry Wasser, auteurs de grands succès parfumés, passent aux aveux. Classiques ou atypiques, ils racontent tous des histoires de passion.

La création de parfums fut, pendant longtemps, la chasse gardée des hommes. Or, depuis trois ans, ce sont les femmes-parfumeurs qui ont la vedette. Née à Genève de père suisse et de mère italienne, Christine Nagel séduit d’emblée par sa gentillesse, sa joie de vivre et son professionnalisme. « Je suis un moteur Ferrari dans une Swatch », se définit-elle, en riant. A l’école, elle a le coup de foudre pour la chimie et, surtout, pour l’atmosphère « fascinante » des laboratoires. Son diplôme de chimie organique en poche, elle entre chez Firmenich (société de parfumerie fine et de matières premières, fleuron de l’industrie genevoise) et choisit la recherche, la facette la plus « glamour », selon elle, du métier. Puis, pendant plusieurs années, elle se spécialise dans la chromatographie: « discipline scientifique qui consiste à retrouver la formule chimique exacte de n’importe quelle odeur ». Petit à petit, Christine découvre la création des parfums, le métier de nez. L’apprentissage se fera chez Créations Aromatiques, un concurrent, toujours à Genève. Michel Almairac est son « maître charismatique ». « Il m’a appris à aller à l’essentiel dans une formule. Si on fait un parallèle avec la couture, on pourrait dire qu’il m’a inculqué comment réaliser une coupe parfaite. Les décors, les détails baroques s’enchaînent, ensuite, très naturellement. Ses leçons me permettent aujourd’hui de composer des bases extrêmement solides. »

A ses débuts, Christine traduit olfactivement le style des grandes maisons, telles Krizia ou Fendi. Ses créations s’inscrivent pile-poil dans la sensibilité italienne et rencontrent un énorme succès. Paris, la capitale du parfum, est séduite. « Je ne vous engage pas pour ce que vous avez fait, je vous engage pour ce que vous allez faire », lui déclare alors le patron de Quest (autre célèbre société de parfumerie fine et de matières premières). La jeune femme relève le défi et s’installe, avec mari et enfants, dans la Ville lumière.

Christine démarre sur les chapeaux de roue et crée trois merveilleux parfums pour Baccarat. Le cristallier a trouvé en elle la meilleure interprète d’une partition olfactive digne d’un conte des Mille et Une Nuits. Les Larmes Sacrées de Thèbes, Un Certain Eté à Livadia et Une Nuit Etoilée au Bengale nous emmènent pour une balade nostalgique dans les contrées lointaines et les mondes perdus. Pour le joaillier Mauboussin, la créatrice imagine une fragrance, taillée comme une gemme dont les facettes renvoient à l’infini des éclats de mandarine russe, de bergamote de Calabre et de prune dorée. Tout récemment, elle s’est distinguée avec deux jus masculins. Pour capter la personnalité de Lagerfeld Man, signé Karl Lagerfeld, elle a choisi, en notes de tête, le yuzu et la lavande dont la première impression olfactive perçue est celle d’une « chemise blanche fraîchement repassée ». Dans le fond, on retrouve beaucoup de suavité et de sensualité, avec des bois clairs, l’ambre et le vétiver. Le très élégant Mémoire d’Homme de Nina Ricci est un magnifique bouquet de bois et d’épices. Ses parfums texturés, moelleux et riches en matières lui ont fait la réputation de « spécialiste de la matière ». La définition ne lui déplaît pas. « Cela dit, j’aime bien me dépasser, apporter un regard neuf. Ainsi, je peux aussi très bien composer un floral ou une Eau ». CQFD. L’esprit racé et pétillant de son Eau de Cartier est remarquable. Dans le domaine de la création olfactive, Christine Nagel compte désormais parmi les leaders. « On est bon parfumeur, quand on a beaucoup pleuré, confie-t-elle. Quand, sur dix projets on en gagne que deux et quand on se rend compte de tout ce temps et de travail perdus. »

Les belles harmonies

Enfant, il hume, il sent et il se noie dans les parfums. Christophe Renaud les aime tous. « A l’époque, je croyais que tous les grands noms, comme Yves Saint Laurent, par exemple, créaient leurs parfums eux-mêmes. Plus tard, quand j’ai appris l’existence des nez, je n’ai pas hésité une seconde, ma voie professionnelle était tout tracée. » Direction, donc, la faculté de chimie à Strasbourg, puis l’Institut supérieur et international des parfums, de la cosmétique et des arômes alimentaires, à Versailles, le temple des futurs parfumeurs. Ses premiers jobs, Christophe les décroche chez Créations Aromatiques en Suisse, puis chez Drom Fragrances Internationales à Paris. De ses débuts date Ode à la joie pour Yves Rocher, une composition pétillante et optimiste qui plaît beaucoup. Il y a deux ans et demi, la division parisienne de Créations Aromatiques fait appel à ses talents. Il inscrit à son palmarès Marc O’Polo pour Homme, une pluie d’herbes et d’épices, sur un fond ensorcelant de bois des tropiques.

Suit un grand challenge: composer le premier parfum de Chantal Thomass, la reine de la lingerie hyperféminine. « J’ai été très excité par ce projet, souligne Christophe. J’avais un souvenir très précis de sa boutique bonbonnière au Palais-Royal que j’adorais et qui n’existe plus. » Pour évoquer l’univers vaporeux, sexy et intimiste de la créatrice de mode, Christophe travaille surtout la framboise et la violette. Le résultat est superbe. La fragrance est pleine de personnalité, tout en étant facile d’accès, affichant des notes bien équilibrées. En phase totale avec l’esprit de rêve de Chantal Thomass, mais aussi avec la philosophie de Christophe. En effet, quand on lui demande la définition d’un parfum de qualité, il répond que ce n’est pas forcément un parfum original, mais plutôt un parfum qui sent bon, harmonieux et créatif. Bref, un parfum qui fait rêver.

A découvrir: la toute dernière création de Christophe, composée pour Michael Kors (le créateur de Céline). Baptisé Kors, il vient d’être lancé sur le marché américain, mais n’arrivera en Europe qu’en février prochain. Déjà encensé par les spécialistes comme un parfum « somptueux », il combine subtilement les arômes de cognac et de vin de Porto aux notes pourpres de baies roses et de pétales de roses, dans un champ enivrant de fleurs blanches et roses (jasmin et freesia). Les notes de fond consacrent l’union charnelle et humide de l’ambre, du baume tolu, de l’encens rouge et des bois blonds.

Les énergies olfactives

Le parfum le plus tendance du moment? Dior Addict, avec son jus qui joue les caresses orientales sur la peau, son flacon ludique et sa communication tonique. Dior Addict, c’est le dernier « enfant » de Thierry Wasser, parfumeur né à Lausanne et dont la vie ressemble à un roman. Issu de l’immigration italienne, après le divorce de ses parents, il vit une enfance modeste auprès de sa grand-mère à Genève. Quand il a 10 ans, sa mère se remarie avec un homme d’affaires. Sa vie bascule. C’est Noël tous les jours…

Le changement est tellement perturbant que la greffe scolaire ne prend pas. Thierry décide donc de vivre sa vie. Au sein d’une nature belle à couper le souffle, dans les environs de Montreux, il commence à s’intéresser aux plantes, même aux vénéneuses. Pour structurer ses connaissances, il retourne à l’école (professionnelle) et décroche, à 20 ans, son premier diplôme d’herboriste. « Cela dit, je ne me voyais pas ouvrir une boutique d’herbes … » Dans un article paru dans « l’Hebdo » ( NDLR: l’équivalent suisse du Vif/L’Express), il découvre, par hasard, l’existence de Firmenich et de Givaudan, sociétés de parfumerie, ainsi que le métier de nez. Sa voie est alors toute tracée. Il rencontre Jean Hadorn, directeur de l’école de parfumerie chez Givaudan et, au bout de six mois passés à Londres pour apprendre l’anglais, commence une formation à la-dite école. « Je me suis glissé là-dedans comme dans un lit chaud. C’était absolument génial, on était trois élèves, on apprenait, on rigolait … »

Thierry démarre sa vie professionnelle à Paris où l’appelle le président de Givaudan France. « J’avais un accent suiiisse, sourit-il. Heureusement, grâce à mon oreille musicale, j’ai pu m’en débarrasser assez vite. » Il crée le premier Salvador Dali pour Homme, un grand succès de l’époque, puis s’expatrie pendant neuf ans à New York. Au sein de Givaudan toujours, il compose, en collaboration, Poême de Lancôme et Truth de Calvin Klein, notamment. L’année dernière il réintègre Paris. Ce retour aux sources libère en lui des énergies insoupçonnées. C’est dans cet état d’esprit euphorique et enthousiaste qu’il imagine Dior Addict, une fragrance sexy et pleine d’énergie. Thierry exulte: « Un parfum, c’est un fragment de ma vie, déclenché par une rencontre. C’est donc mon fantasme, très personnel, transcrit après cette rencontre. Si je sens ce parfum dans la rue, je me dis que mon histoire est belle, car même si les gens ne la connaissent pas, ils se la sont appropriée. »

Barbara Witkowska [{ssquf}]

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