Face à l’incertitude du monde, à nos petits (et grands) soucis, on oublie trop souvent que la consolation est un formidable remède. Un antidépresseur naturel qui apaise la souffrance et nous aide à rebondir. Explications.

En septembre dernier, avec les premières feuilles d’automne, paraissait Le livre qui console chez Flammarion. Ce joli petit ouvrage trop modeste méritait bien un coup de projecteur. Illuminé par les croquis exquis de Joann Sfar, ce titre prometteur révèle une promenade graphique au pays des larmes  » pour mieux apprendre à les sécher « , assure l’auteure, la journaliste Marie Salomé Peyronnel. Un vaste programme, en réalité, aux profondeurs aussi multiples que les méandres de l’âme et les turbulences de la vie. Très certainement un pari salutaire, alors que la grisaille hivernale est bien installée, avec son cortège d’états d’âme saisonniers. Et si la consolation était un antidote à la déprime, une manière de mettre la barre du bonheur à hauteur humaine ? Et surtout, une étape réparatrice vers la guérison ?

L’idée n’est pas nouvelle, certes. Elle serait même aussi vieille que l’humanité, si l’on en croit la fameuse citation biblique  » Heureux les affligés, car ils seront consolés  » (sermon sur la montagne). Ou, à la même époque, ces fameux préceptes stoïciens qui n’ont pas pris une ride. Dans Consolation à Marcia, Sénèque écrit à une mère qui ne se remet pas de la mort de son fils :  » Si nos sanglots ne ressuscitent pas les morts, si toute notre détresse ne change pas un sort immuable et fixé pour l’éternité, trêve à cette douleur inutile. Partant de là, gouvernons-nous et ne nous laissons pas entraîner par des sentiments dont la violence nous égare.  » Suivent de revigorantes réflexions sur le fait que rien ne dure. Au même moment mais à quelques milliers de kilomètres de là, les bouddhistes inventent d’autres remèdes, comme le détachement et la bienveillance, qui eux aussi continuent de nous inspirer. Deux mille ans plus tard, le duo souffrance-consolation reste d’une brûlante actualité. Aux stoïciens de l’antiquité grecque ont succédé d’autres penseurs, comme l’indémodable Camus ( » La consolation de ce monde, c’est qu’il n’y a pas de souffrances continues. Une douleur disparaît, une joie apparaît « ) ou encore Stig Dagerman. Célébrissime dans sa Suède natale, ce nihiliste eut le temps, avant de tirer sa révérence en 1954, d’écrire un texte culte qui continue d’inspirer la scène musicale rock :  » Notre besoin de consolation est impossible à rassasier « .

Quant à la pensée bouddhiste, elle chaperonne de plus en plus d’Occidentaux, qui cherchent un réconfort zen dans la méditation ou les retraites himalayennes. Notre besoin de consolation traverse les époques et ne change pas. C’est lui que tous les drames de l’existence, du plus grand au plus petit, réclament à grands cris. De la dispute avec la copine d’école au chagrin d’amour, des avanies professionnelles aux maladies, de la solitude du berceau, où l’on appelle les bras de maman, à celle du lit de mort, cet appel jalonne la vie.

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Qui s’en étonnera ? Notre capacité à trouver consolation dépend grandement de notre enfance. Un nourrisson mal cajolé devient un adulte difficilement consolable. Cette vérité, partagée par tous les grands pédopsychiatres du XXe siècle, de Fitzhugh Dodson à Catherine Dolto, reste indéboulonnable au XXIe siècle. Et les consolations d’enfance ont tendance à venir à notre rescousse tout au long de la vie. Il y a ces aliments  » doudous « , madeleines, compotes et autres douceurs qui rassurent et dorlotent, comme la peluche de nos jeunes années.  » On attend d’eux qu’ils comblent un vide affectif. Manger offre une gamme de câlins, d’amour et de réconfort qui stimule l’illusion de ne pas dépendre de l’affection d’autrui. Voilà pourquoi on a tendance à abuser du chocolat pour surmonter un chagrin d’amour !  » estime Florence Pujol, diététicienne (1). Pourquoi la nourriture ? Parce qu’elle a été notre première consolation, mais aussi parce que les émotions  » creusent « , ajoute le pédopsychiatre Stéphane Clerget (2) :  » Les personnes qui ont tendance à se consoler en mangeant ont du mal à repérer ce qui les trouble, ce tourbillon émotionnel qui les aspire. Elles évoquent un sentiment de vide, de manque, qu’elles confondent avec la faim.  » Tout aussi régressifs et très tendance sont les vrais doudous – peluches ou animaux vivants, le plus célèbre étant Cecil, le petit lapin de la mannequin chouchou du moment, Cara Delevingne. Impossible de dresser l’inventaire complet des mille et une avanies du quotidien capables de vous faire fondre en larmes illico – oublier ses clés au bureau, se tordre la cheville en descendant du bus, renoncer à ses vacances à cause d’une grève aérienne – face auxquelles chacun déploie ses stratégies : paquet de chamallows, coup de fil aux copines, achats compulsifs… Mais il y a aussi les douleurs sournoises. Par exemple la mélancolie, ce joli nom que donnent les artistes à la dépression. Les médecins la consolent avec des antidépresseurs, mais on peut aussi tenter la  » mithridatisation « , méthode préconisée par Martin Hirsch, l’actuel président de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.  » J’ai tendance à traiter la mélancolie par la mélancolie. A en « prendre » un peu matin, midi et soir. La tristesse se métabolise, se dompte, il faut en faire une compagne « , confiait-il dans l’émission de France Inter Remède à la mélancolie, avant de recommander sa liste de films et de livres  » tristes à mourir « , seuls capables de soigner le mal par le mal. Une méthode que pratiquent aussi les dompteurs de chagrin d’amour, réputé l’un des plus violents, comme le raconte un autre joli livre – Le jour où tu m’as quittée, de Vanessa Schneider (Stock). Après les larmes, l’épaule apaisante de sa nounou venue à la rescousse, les filatures dignes d’une série B, la seule et vraie consolation vient du temps qui passe – on retrouve là l’inusable principe stoïcien. Soit une ou deux années de patience. Dans l’intervalle, on ne boudera pas le recours aux oeuvres d’art – comme le Requiem de Mozart, le tire-larmes revigorant du musicien Eric Serra, interviewé dans Le livre qui console, ou le déluge lacrymal que déclenchent certains grands films, les comédies de Frank Capra en tête. Rien de tel que des émotions collectives pour se sentir moins seul, et donc moins malheureux.

AU-DELÀ DE L’EMPATHIE

Certaines douleurs paraissent pourtant a priori inconsolables. Par exemple celles dictées par les guerres et la misère du monde, comme en connaissent ces enfants échoués en France après des années d’errance. Le professeur Marie-Rose Moro (3), qui dirige la Maison des adolescents de l’hôpital parisien Cochin, considère l’idée de consolation  » dérisoire  » par rapport à ce que certains ont traversé.  » Je pense par exemple à ce garçon qui vivait en Iran dans un camp avec sa mère et a vu mourir ses camarades durant l’odyssée qui l’a mené jusqu’en France. Entre 3 000 et 5 000 enfants sont dans ce cas-là actuellement, victimes des troubles que connaissent des pays comme l’Afghanistan, la Syrie, la Libye. Ils ont quitté leur famille avec une pression énorme, celle de réussir en France, patrie des Droits de l’homme et de l’école pour tous. Pour les consoler et réparer, il faut reconnaître ce qu’ils ont traversé, soigner la tristesse et les effets des traumatismes ; certains n’arrivent plus à dormir, à manger correctement ou sont minés par la peur. La clé n’est pas l’empathie, car celle-ci s’épuise et fluctue, mais réside dans une politique d’accueil et de soins particulière, dans le maintien d’un rêve qui doit porter vers l’avenir. Et parfois aussi dans des gestes très simples : une carte de téléphone qui permet de renouer un lien avec un proche peut avoir un grand effet consolateur.  »

Et pour tout un chacun, l’époque et ses peines, des menaces djihadistes aux souffrances écologiques, pèsent aussi sur le moral. Pour se consoler, on a le choix entre la virée iodée sur l’île d’Ouessant en plein hiver, une certaine dose de déni, la lamentation. On peut aussi prendre de la hauteur et s’inspirer de la pensée de Pierre Rabhi, cet utopiste qui crée depuis vingt-cinq ans des projets de villages associant écologie et humanisme :  » Je ne cherche pas à être consolé, mais à être cohérent avec moi-même. A penser le monde tel qu’il est, tout en agissant de la manière la plus juste possible. Je suis un peu comme le colibri de cette légende amérindienne, qui parvient à éteindre le feu d’une forêt en transportant de l’eau dans son petit bec. Nous pouvons tous choisir de devenir des colibris. « .

(1) Auteure de Je mange et je suis bien (PUF), best-seller sur le sujet, qui vient d’être réédité.

(2) Co-auteur de L’Amour et les kilos, (Albin Michel).

(3) Pédopsychiatre, le professeur Marie-Rose Moro est notamment l’auteure de Nos enfants demain, (Odile Jacob).

PAR NATHALIE CHAHINE ET LOUISE PROTHERY

 » Dans mon lit, je m’offre l’intégrale des films de Woody Allen ou je revois La vie est belle, de Frank Capra. Ces films me repulpent mentalement ! »

 » Si j’ai passé un mauvais moment, je me contente d’un déjeuner avec une amie. Pour un problème plus profond, j’appelle ma mère.  »

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