Leurs noms fleurent bon la chimie et laissent à peine deviner l’odeur qu’elles dégagent. Pourtant, les molécules de synthèse sont devenues des ingrédients aussi indispensables que la rose, l’iris ou le patchouli à la fabrication des parfums. Démonstration commentée.

Lorsqu’il s’agit de faire découvrir une nouvelle fragrance, rares sont les parfumeurs qui osent inscrire dans leur pyramide olfactive le nom des molécules de synthèse qui entrent dans sa composition. Pourtant, les jus modernes en sont truffés, depuis 1889 exactement, date de création de Jicky de Guerlain, premier parfum  » abstrait  » construit autour de notes chimiques dont plus d’un nez ne pourrait se passer aujourd’hui.  » Il est impensable d’envisager une parfumerie sans synthèse, affirme Dimitri Weber, consultant dans le secteur. Tout d’abord parce que ces molécules permettent de recréer l’odeur de matières premières naturelles interdites par l’IFRA (International Fragrance Association), soit parce qu’elles sont jugées allergènes, soit parce qu’elles proviennent d’espèces animales ou végétales menacées. Mais la chimie permet aussi de mettre sur le marché de nouvelles senteurs impossibles à synthétiser de manière naturelle. Toutes les odeurs de fruits rouges par exemple, le parfum de certaines fleurs comme le lys ou le freesia. Dans la tête des gens, synthèse rime encore souvent avec bon marché. Mais c’est loin d’être toujours le cas. Imaginer et fabriquer de nouvelles molécules coûte cher.  »

Un investissement que les grands laboratoires comme IFF, Firmenich ou Givaudan entendent bien rentabiliser, avec la complicité de leurs parfumeurs  » maison « , qui auront pour mission de les faire entrer le plus possible dans leurs compositions. Si ces pratiques aident à expliquer en partie pourquoi la plupart des parfums lancés ces dernières années courent tous derrière le même accord oriental-gourmand, la synthèse n’est pas plus à blâmer que le recours aux tests ou l’absence d’audace des marques.  » Grâce à la synthèse, les possibilités sont devenues infinies, insiste Dimitri Weber. Certaines notes ne sont là que pour donner du corps au parfum, de la fraîcheur, de la douceur, de la rondeur. Elles sont pour ainsi dire indétectables. Et pourtant, c’est grâce à elles que se crée l’addiction.  » Il est donc légitime finalement de se demander ce que sentent ces molécules aux noms étranges auxquelles nous serions attachés sans le savoir et qui squattent à notre insu de plus en plus de formules, sous leur forme d’origine ou sous une forme dérivée de la molécule protégée par un brevet. Questions de flair à notre expert.

PAR ISABELLE WILLOT

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