Beauté énigmatique plébiscitée par les plus grandes griffes, Sasha Pivovarova trace son destin d’un geste assuré, entre podiums et atelier d’artiste. Plongée dans un monde où les princesses ont le regard pastel et les ballerines l’accent russe.

Dans les coulisses des défilés, l’attente est longue. Et, au fil des heures, la tension va crescendo. Entre le souffle hurlant des sèche-cheveux, la frénésie des dernières retouches make-up et l’hystérie de l’habillage, l’ambiance se fait inévitablement électrique. Alors, pour garder un semblant de zénitude, chaque top développe sa méthode perso. Il y a celles qui fument clope sur clope – Agyness Deyn est devenue malgré elle leur porte-parole. La plupart d’entre elles se contentent de tapoter fiévreusement sur les touches de leur BlackBerry – c’est plus politiquement correct.

Assise en tailleur entre deux cabines, Sasha Pivovarova, elle, croque d’un geste sûr les princesses en tous genres qui nourrissent son univers pictural.  » Ce n’est pas seulement une manière de tuer le temps, confirme celle qui a désormais intégré le cercle très fermé des dix mannequins les plus demandées. C’est aussi ma façon de me relaxer. J’assimile le dessin à une forme de méditation, dans le sens où je ne fais plus du tout attention à tout ce qui se passe autour de moi.  » A tel point que, lors de son baptême du feu sur les podiums, elle se souvient avoir répondu qu’elle était occupée au moment où on la pressait d’entrer en scène ! C’était en 2005. La Moscovite faisait une percée fracassante dans la mode en ouvrant le show de Prada, dont elle est devenue la même année, et pour six saisons d’affilée, l’égérie officielle.

Ce printemps, elle pose aussi aux côtés de Kate Moss pour la nouvelle campagne de Longchamp et fait ses premiers pas en tant qu’égérie beauté pour la gamme Aquasource de Biotherm.  » Un univers très différent de la mode, concède-t-elle. Ici, l’accent est mis sur mon visage et sans doute aussi sur mon image de fille authentique et naturelle. On est dans un registre où les émotions peuvent plus facilement transparaître que pendant les défilés. Or, pour moi, rester à l’écoute du moment présent est primordial. Parce qu’être heureuse est la première condition pour être belle. « 

De Moscou à Brooklyn

Deux semaines seulement avant l’essai transformé du défilé Prada, et presque par hasard, Sasha avait intégré IMG. C’est son amoureux, Igor Vishnyakov, alors jeune photographe, qui avait joué les entremetteurs en faisant parvenir des photos d’elle à la prestigieuse agence de mannequins new-yorkaise. Par la suite, elle enchaîne défilés et campagnes de pub, tout en prenant le temps de poser pour Vogue ou L’Officiel, dont elle a fait la cover. Sous l’objectif des plus grands, parmi lesquels Steven Meisel ou Peter Lindbergh, elle brille au firmament de la modeà tout en gardant les pieds sur terre. A 23 ans, la jeune femme rêve tout simplement d’entendre son appartement new-yorkais raisonner de rires d’enfants. Réaliste, elle envisage déjà sa vie d’après les podiums :  » J’ai déjà pensé à ouvrir une galerie. Rien n’est sûr, mais ce dont je suis par contre certaine, c’est que je dessinerai. Je le fais depuis que je sais tenir un crayon, et je ne pourrais pas m’en passer. Je ne me considère pas comme une artiste, ce serait un peu présomptueux. Mais j’espère le devenir un jour.  »

Son goût pour l’art remonte à l’enfance. Elle se souvient que, petite fille, sa mère la traînait dans les musées de Moscou. Sous le charme des courants expressionnistes et symbolistes, elle décidera par la suite de s’inscrire aux Beaux-Arts. C’est là qu’elle rencontre Igor Vishnyakov – entre-temps devenu son mari – et que son destin prend le tournant que l’on sait. Le couple vit aujourd’hui à Brooklyn, dans un grand appartement où la top a aussi son atelier.  » C’est  » the place to be  » pour toute personne qui a envie de développer son côté artistique, s’enthousiasme-t-elle. Il se dégage de ce quartier une énergie très positive. « 

New-Yorkaise au quotidien, Parisienne ou Milanaise plusieurs semaines par an, Sasha reste malgré tout très attachée à ses origines. L’univers du ballet russe, notamment, a longtemps nourri ses dessins – certaines séries ont déjà été publiées.  » Pour le moment, je suis plutôt inspirée par les sirènes « , s’amuse-t-elle. Et quand on lui fait remarquer sa propre ressemblance avec les jeunes filles graciles au regard félin qu’elle couche sur le papier, son sourire s’élargit encore.  » Pour moi, c’est vraiment un monde imaginaire, s’approchant de la  » fairy fantasy « , dans lequel tout tourne autour du rêve. Mais à force qu’on me demande si je fais des autoportraits, j’ai dû me résoudre à admettre qu’il y a une part de moi dans mes personnages. « 

Il y a malgré tout quelque chose du journal intime dans ces carnets de croquis accumulés au fil des ans  » parce qu’ils laissent transparaître mes émotions du moment. J’aime par exemple jouer avec le collage, et ajouter l’une ou l’autre image à mes pastels, ou changer de support « . On l’a déjà vue s’emparer d’un morceau de papier kraft traînant en backstage ou d’une serviette quand le besoin de dessiner se fait impératif.  » Etre à l’écoute de ses émotions et du moment présent.  » Sasha persiste et signe, d’un trait de pastel gras.

Delphine Kindermans

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