Tiffany et Bertrand Tavernier partagent une belle complicité, mais par pudeur, ils s’épanchent rarement. Alors que sa fille publie un récit intimiste, le cinéaste accepte une rencontre, en exclusivité pour Le Vif Weekend. Que la magie commence !

Avec ses vieux canapés en cuir noir dans lesquels on se love avec bonheur, le bar Normandie, à deux pas du Louvre, dégage une ambiance d’un autre temps. C’est ici que Bertrand Tavernier aime se réfugier. Charmant, il ressemble à un ours qui se laisse apprivoiser. Sa fille Tiffany, elle, tout en tignasse blonde et yeux qui pétillent, possède une belle énergie. Volubile, cette scénariste et romancière publie une perle, Comme une image (Les Busclats). Elle y raconte comment sa bulle de bonheur éclate lorsque son grand amour la quitte. La femme blessée demeure avec sa douleur et son enfant. Une plaie qui lui rappelle le départ de sa mère, lorsqu’elle était petite. Passé et présent se succèdent pour saisir ses fêlures et ses ravissements. Qu’est-ce qui nous construit ?  » Ma vie est spéciale, c’est vrai.  » En effet, tout le monde ne grandit pas sur les plateaux de cinéma, aux côtés de stars comme Romy Schneider. Habité par le septième art, Bertrand Tavernier initie sa descendance à sa passion et à la magie de la vie.  » Je l’aime tellement mon père…  »

Votre livre lui est dédié. Pourquoi ?

Tiffany : Tout le livre lui rend hommage, parce qu’il remue l’espace du paternel, du monde et de sa magie. Fondamentale, l’écriture de ce texte remonte à mon enfance miraculeuse. Il s’agit d’une trace, à l’attention de mon papa et de ma fille, qui va au-delà de l’émotion.

Bertrand : C’est énorme, énorme !

Tiffany : On parle souvent de la jeunesse ratée des écrivains, or le bonheur et l’émerveillement constituent également un élément fondateur. J’avoue avoir éprouvé une crainte en donnant  » mes petites images  » à lire à mon père.

Qu’avez-vous ressenti en les découvrant ?

Bertrand : Une grande émotion, mais aussi beaucoup de plaisir à voir resurgir des souvenirs, comme la présence de mes bambins lors des tournages. Cela s’est fait par la force des choses puisque, séparé de leur mère, j’ai dû m’occuper d’eux seul. Mais les pages de Tiffany m’ont révélé son ressenti lors de sa rupture amoureuse. Les mots donnent du poids aux sentiments.

Tiffany, quand avez-vous saisi que vous étiez  » une enfant différente, dont la vie était un film qui n’en finissait pas  » ?

Sur les plateaux, j’étais consciente de vivre quelque chose d’extraordinaire. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que mon enfance était vraiment hors normes. Ces moments de grâce, offerts par mon papa, m’aident à tenir debout en période morose. Mon livre pose d’ailleurs la question de comment prolonger la magie de l’enfance.

Alors que vous, Bertrand, vous étiez un môme solitaire, timide et craintif ; en quoi l’imaginaire vous a-t-il ouvert au monde et à vous-même ?

L’imagination m’a aidé à construire un univers à côté de la vraie vie, celle du pensionnat. Il m’a permis de m’en extraire et de tenir le coup dans les moments durs. Le cinéma m’a fait découvrir le monde, en m’amenant vers des pans d’histoire méconnus. Etre metteur en scène vous oblige à apprendre la vie. J’associe les autres à mes films, parce que j’aime être dans le don d’une énergie inspirante. On dit que mes films expriment de la colère, alors qu’ils parlent de partage et d’admiration envers ceux qui luttent et qui résistent.

Petite, vous décrivez votre père comme  » un immense sorcier « . Quand comprenez-vous que ce n’est qu’un homme ?

Tiffany : Je le voyais comme un magicien ou un sorcier effrayant. N’est-ce pas génial de voir un parent capable de faire taire 200 personnes d’un coup ? Son pouvoir me semblait énorme. Mais il y avait un tel écart entre le metteur en scène et l’homme, pleurant sa peine après le départ de ma mère. C’est dans ce paradoxe que naît l’écrivain que je suis devenue.

Bertrand : Tant le cinéaste que l’écrivain sont des éponges. Comme on se comprend, on se lit mutuellement.

Son livre s’intitule Comme une image. Laquelle gardez-vous de la fillette qu’elle était ?

Des masses d’images (rires). Je revois une gamine passionnée et rieuse, désireuse de découvrir le monde. Peut-être ce côté explorateur est-il lié à la façon dont je l’ai élevée. La femme qu’elle est a d’ailleurs gardé ce désir d’émerveillement. Anxieux de lui transmettre mon goût du cinéma, je veux que mes films lui plaisent car ils constituent ma colonne vertébrale.

Tiffany : C’est formidable d’être face à quelqu’un d’aussi enthousiaste.

Bertrand : Cette jubilation se poursuit pour nous deux. A l’heure où ma progéniture examine des bouts d’enfance dans ce livre, je travaille à un projet sur les films qui ont touché ma jeunesse ou ma vie.

Tiffany, votre récit nous permet de vous voir devenir adulte. Que signifie grandir ?

Il y a plusieurs morts dans la vie d’une femme. Les séparations nous font murir, parce qu’elles marquent la fin d’un règne. Soit on laisse de côté la magie et la grâce, soit on prend le pari de les prolonger. Accepter de renoncer à mon grand amour m’a aidée à grandir.

Bertrand : C’est essentiel. Nullement nostalgique, ce livre est ludique et tendre.

Tiffany : Quel cadeau de réussir à traverser le désert absolu, sans béquilles et sans la voix du père, parce que je n’étais plus une enfant. Je devais marcher seule, d’autant que j’avais ma fille. Cet espoir m’a permis de me remplir à nouveau. Il faut prendre le risque de tout perdre et de continuer à aimer, sans fermer la porte au passé.

Bertrand, qu’admirez-vous chez la femme qu’elle est devenue ?

Son côté aventurier. Un jour, Tiffany est partie vivre en Inde. J’avais du mal à admettre qu’elle puisse quitter le nid, mais pour elle, ça a été formidable de rejoindre Mère Teresa.

Tiffany : Passer un an dans les mouroirs de Calcutta a déchiré une part de magie en moi. Mais cela m’a appris que les ténèbres et la lumière résident en l’être humain.

Qu’en est-il de la maternité, en quoi vous a-t-elle changée ?

L’arrivée de mon bébé a constitué un gouffre sidéral. Ce moment-clé, où un autre être sort de soi, m’a fait basculer dans le vertige. Tout à coup, on donne naissance à une nouvelle génération. Ainsi, tout ce qui a été reçu doit être donné. Cela induit l’obligation de se tenir droit.

En quoi vous ressemblez-vous ?

Bertrand : Tiffany et moi sommes capables de vibrer dans un environnement si morose. Parfois, elle fait preuve d’excès, elle était d’ailleurs légendaire auprès de mes équipes (rires). Il faut dire qu’elle a une tendance à dramatiser, tant elle désire bousculer le monde. Comme en témoigne ce livre, elle est aussi susceptible de rebondir dans les moments pénibles. Je me retrouve en elle lorsqu’il s’agit de s’investir dans une cause.

Tiffany soutient que ses parents font partie d’une  » race libre « . Est-ce aussi cette liberté qui vous unit ?

Bertrand : Comme on m’a collé en pension quand j’étais petit, j’ai dû prendre ma liberté à contre-courant. Les enfants n’ont toutefois pas droit à la liberté totale, ils ont besoin de règles pour évoluer dans la collectivité. Les parents passent leur temps à se tromper, mais leurs mômes grandissent lorsqu’ils apprennent à leur pardonner.

Tiffany : J’ai toujours su que j’étais privilégiée. Je m’émerveille sans cesse des coups de coeur et de colère que je partage avec mon père.

Bertrand : Vivement que ça continue !

Comme une image, par Tiffany Tavernier, Editions des Busclats, 119 pages.

PAR KERENN ELKAÏM

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