Si, aujourd’hui, elle respire la féminité et l’amour de la vie, elle a mis du temps à se trouver. Un parcours étonnant relaté dans un livre mosaïque. Présidente et directrice artistique de la maison de mode qui porte le nom de sa mère, Nathalie Rykiel possède pourtant une aura bien à elle. Rencontre.

La boutique phare de Sonia Rykiel a pris place sur le célèbre boulevard Saint-Germain, à Paris, carrefour de la mode et de la littérature. Tu seras une femme, ma fille, l’ouvrage de Nathalie Rykiel, la fille de la célèbre créatrice, tout à la fois présidente et directrice artistique de la maison de mode, trône d’ailleurs en vitrine. À l’étage, un espace élégant et vivifiant, dans lequel l’ébène se marie à des touches de couleur. Les croquis de Sonia côtoient quelques photos de famille. Nathalie, qui nous accueille dans ses bureaux avec le sourire, en petite robe noire à jabot, le regard souligné de khôl, dégage une sensualité digne des actrices d’antan. Elle est à l’image de son livre, une mosaïque. Sa liberté, son audace, ses fragilités, son humour aussi, sont effeuillés au fil des chapitres, relatant comment  » la fille deà  » a finalement trouvé sa place de mère, puis de femme.

Qu’est-ce qui vous a façonnée ?

Comme toute femme, il s’agit de mon rapport à la vie, à l’autre, à la filiation, la maternité, la sexualité, le travail. Loin de tricher, je suis dans l’authentique. Ce qui m’intéresse, c’est une certaine forme de vérité. Pour se façonner, il faut avancer sans rester figée. J’aime réaliser quelque chose, dont je ne me pensais pas capable.

Comment vous inscrivez-vous dans cette lignée de femmes : celle dont vous êtes issue unie à celle que vous avez créée ?

Je me sens à la fois trait d’union et chef de clan. Mais attention, ce matriarcat se nourrit de l’amour des hommes ! Sans eux, les femmes de ma famille ne seraient pas dans la féminité. Mes origines slaves sont une question de flamme. Je suis une femme, habitée par la passion du métier et de l’amour. Les quatre s£urs de ma mère m’ont inspirée, mais je me suis aussi construite avec le regard de mon père. Il m’aimait, même si je n’étais pas son premier souci. Je pense qu’il est enfin fier de moi. C’était l’un des challenges de ma vie.

Quelle mère est Sonia Rykiel ?

Une mère protectrice, aimante, généreuse. Ce n’est pas toujours simple d’être une créatrice. Aussi n’est-elle pas sûre d’elle. Ce livre renvoie le portrait  » d’une reine du monde, pourtant fragile « . C’est ça qui est beau ! Quelqu’un qui n’aurait pas de failles serait monstrueux. La vulnérabilité ne lui enlève rien, au contraire. Notre lien est compliqué à exprimerà Il s’agit d’une relation réciproque, composée d’amour, de respect, de complicité et de proximité. Peut-être avons-nous aujourd’hui une relation moins fusionnelle et étouffante qu’avant.

 » Ma meilleure amie était ma mère « , écrivez-vousà

C’était très vrai dans l’enfance. Solitaire et réservée, je n’avais que peu d’amis. Dans la famille, tout tournait autour de mon frère ( NDLR : le musicien Jean-Philippe Rykiel, né non-voyant). Je n’étais ni heureuse ni malheureuseà Longtemps, je suis restée fille, avant de devenir mère, puis femme. Ces différentes étapes étaient nécessaires à ma construction. Ma mère n’est plus mon amie, elle est parfois ma fille, tant j’ai tendance à la protéger. Elle n’a pas une image sereine du vieillissement. C’est triste à voirà Quand on a eu une vie si riche, on pourrait s’étonner de sa réaction. Or le renoncement du corps est d’autant plus dur, que c’est une femme libre, indépendante et séductrice.

 » Il est impossible de lui ressembler et douloureux d’être son contraire « , dites-vousà

Comment les filles se situent-elles par rapport à leur mère ? Comment faire sa place de femme quand sa mère est très affirmée ? Ces questions valent tant pour moi que pour mes filles ( NDLR : Nathalie Rykiel a trois filles, Tatiana, Salomé et Lola). Il m’est compliqué de ressembler à ma mère, puisque je suis forcément moins bien. Mais c’est douloureux d’être son contraire car elle me fascine. En voyant vivre une femme libre, j’en suis devenue une à ma façon. Nous partageons une vision proche des choses de la vie, surtout concernant l’esthétique. Côté physique et caractère, nous sommes opposées. Ma mère privilégie le mensonge ( NDLR : Sonia Rykiel ne s’en cache d’ailleurs pas), alors que je ne suis pas prête à sacrifier une forme de vérité par rapport à moi-même.

Pourquoi êtes-vous  » devenue mère avant de devenir femme  » ?

J’étais dans un lien très fort avec ma mère et avec mon mari. Cette intensité dans la filiation et le couple a créé un sentiment diffus. Devenir mère m’a tant comblée, que je faisais passer mes enfants avant tout. Il est alors difficile de s’occuper de soi et d’être dans la séduction. C’est dans le rapport à l’homme, que j’ai pu devenir femme. Je possède, désormais, les trois dimensions en moi : la fille, la femme et la mère. Aucune ne prend le pas sur l’autre.

Est-ce l’amour qui vous a rendu femme ?

Oui, parce qu’on se sent belle dans le regard d’un homme. L’idée de la liberté de la femme est dominante en moi, mais les hommes et l’amour me sont essentiels. J’ai hésité à aborder la jouissance, dans ce livre. Or sa découverte est très constructive pour la vie d’une femme. Quelque chose change irrémédiablement en soi. J’avais envie de dire aux femmes que la jouissance existe et qu’elle est importante dans la connaissance d’elles-mêmes.

Qu’avez-vous ressenti en devenant mère ?

Sortir un être vivant de soi nous renvoie à la magie de la vie. Ce basculement est d’autant plus inouï, qu’on devient l’égale de sa mère. Même si je l’ai découverte grand-mère, elle reste ma mère. Le rôle maternel consiste à aider ses enfants à trouver ce qui est juste pour eux. Mère juive, j’ai un côté inquiet et protecteur.

Quelle leçon avez-vous transmise à vos trois filles ?

Que tout est possible. Il ne faut renoncer à rien, même si ce n’est pas simple. Ma mère m’a appris à tracer ma route, sans trop me soucier du regard des autres. Moi, j’invente ma vie en essayant de ne pas les blesser. Ma mère m’a toujours laissée apprendre les choses seule. Bien qu’étant imprégnée de sa vision, je me suis inventée mon propre goût pour les mélanges prononcés. Quant à mes filles, je suis fascinée par leur personnalité, leur force, leur intelligence et leurs différences. Réaliser qu’elles seront les femmes de demain est un enchantement magnifique.

Comment avez-vous vécu la reprise des rênes de la maison Rykiel ?

Bien avant de devenir présidente, j’ai apporté beaucoup de choses à cette maison, que j’incarne. C’est le regard des autres qui a changé. Du coup, je me suis sentie plus responsable. Je n’ai pas pris la place de Sonia Rykiel ! Elle reste la fondatrice, alors que je cumule la direction artistique et la gestion, dont elle ne s’occupait jamais. Ma fille Lola s’apprête à suivre ma voie et celle de sa grand-mère : elle rejoint la maison. J’en suis si heureuse.

Tu seras une femme, ma fille, par Nathalie Rykiel, Calmann-Lévy, 218 pages.

Par Kerenn Elkaïm

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content