La ville du cour de l’Écosse traite royalement ses musiciens, peintres, designers… qui se regroupent dans l’immensité de ses nombreuses anciennes usines victoriennes. Autour d’un riche patrimoine architectural s’agrègent aussi de toutes nouvelles réalisations de haut vol signées Zaha Hadid ou Norman Foster. Une visite s’impose !

En arrivant dans la plus grande ville d’Écosse, on n’a d’yeux que pour les maisons patriciennes en grès rose ; pour le palais de verre qu’est Central Station ; pour les clochers moussus en dentelle de pierre. Avec trois millions de touristes qui découvrent son potentiel bluffant, Glasgow crée le buzz. Car malgré cet héritage historique imposant, elle n’est pas un musée à ciel ouvert. Les Écossais ont le sens de la fête. Dans les rues aussi pentues que des toboggans, la foule s’agglutine devant les restaurants, bars, clubs, ouverts tous les jours. Les habitants sont aussi très accueillants et vous parlent facilement, avec ce délicieux accent chuintant qui perturbe l’anglais d’Oxford.

De la fin de son apogée industrielle en 1938 jusqu’en 1988, la cité respirait pourtant à peine. Dans un énorme sursaut, elle a retroussé ses manches pour devenir le centre mondial des conférences et le QG des  » call centers « . Et surtout, elle a misé sur l’art. En 1990, la voici  » cité européenne de la culture « . En 2008, l’Unesco la propulse  » ville de la musique « . Juste retour des choses pour celle qui a vu naître Tears for Fears, Franz Ferdinand et Belle and Sebastian. Le meilleur de la scène rock locale s’y épanouit avec une énergie qui attire des pointures internationales au Sub Club ou à The Arches. La ville, fine stratège, offre des festivals toute l’année : cinéma en février, arts visuels en avril, danse et musique en juillet. Grâce aux subsides de l’Europe et du gouvernement, Glasgow a aussi pu procéder à un grand nettoyage de son bâti. Adieu les haillons à la Dickens. Restaurés, les immeubles victoriens ont miraculeusement retrouvé leur splendeur. Cette mise en beauté a aussi remis au goût du jour Charles Rennie Mackintosh, architecte et designer écossais du début du XXe siècle.

MACKINTOSH SORTI DU PURGATOIRE

La réhabilitation de cet artiste maudit, précurseur du modernisme, date d’une vingtaine d’années. Peu connu à son époque, décrié pour ses partis pris esthétiques – des salons blancs que les gentlemen de l’Empire ont carrément boudés -, passé de mode puis oublié, Mackintosh meurt dans la misère en 1938 à Londres. Aujourd’hui, les visiteurs se rendent religieusement à la Mackintosh House, sa maison reconstituée aussi fidèlement que possible, et à la Hunterian Art Gallery pour ses dessins, photos, correspondances. L’architecte a aussi laissé des bâtiments mémorables comme celui de l’ancien journal Herald Glasgow, construit en 1895, la fameuse Lighthouse. Devenue Scotland Center for Architecture Design, la Lighthouse est un must pour son architecture, avec sa tour d’où l’on surplombe la ville. La galerie retrace sa vie et les étapes des Willow Tea Rooms, salons de thé construits en 1903 pour la propriétaire Kate Cramson (un seul subsiste, en piteux état, mais il donne une idée du concept au 217, Sauchiehall Street). Charles Rennie Mackintosh a aussi créé du mobilier avec son épouse Margaret. De nombreuses pièces ont été sauvées de la destruction et sont disséminées dans les musées, ainsi qu’à l’école d’art de Glasgow, l’une de ses plus belles réalisations. Quant à The House for an Art Lover, c’est un manifeste. Cette maison, rêvée par l’architecte, fut édifiée bien après sa mort.

DU NOUVEAU SUR LA CLYDE

Dès le Moyen Âge, la ville s’enroule en escargot sur sa rivière, à partir de la cathédrale et de l’université dont les tours dominent le quartier de Kelvingrove. La rivière Clyde est la veine qui irrigue la ville fondée par saint Mungo au VIe siècle. Vous franchirez souvent ses nombreux ponts, dont le Squiggly Bridge, passerelle piétonne ultra- moderne en forme de vague surlignée de blanc. Dans un passé pas si lointain, la Clyde a été le berceau de l’industrie navale. Elle est un poumon, un espace vierge où il est facile de concevoir de méga projets. Aujourd’hui, le Riverside Museum a remplacé les anciens docks. Conçue par Zaha Hadid, sa coque plissée en S majuscule, couleur anis à l’intérieur, expose avec pas mal d’humour et d’humanité l’histoire des transports. Un peu plus loin se trouve l’Armadillo, auditorium de 3 000 places en forme de tatou en référence modeste à l’Opéra de Sydney, élevé par Sir Norman Foster. Il dirige également le chantier du Scottish Hydro Arena de 12 000 places. Livré au printemps prochain, destiné à produire la crème de la musique internationale et des événements sportifs, The Hydro dispose d’un budget de 2 millions d’euros par an, espère attirer 1 million de spectateurs et devrait rapporter 140 millions d’euros par an à la ville.

Le grand projet urbanistique est de reconquérir les chantiers navals désaffectés ainsi que les berges de la Clyde. Le Squiggly Bridge sera l’épicentre des loisirs et les piétons pourront enfin rallier les trois bâtiments stars. Gerry Barnes, architecte en chef de la ville, détaille :  » Glasgow compte 650 000 habitants. C’est la plus grande ville d’Écosse avec un patrimoine industriel important. Elle explose aujourd’hui : 44 millions de personnes empruntent le train par an et la ville dispose de 59 stations. Nous avons dépensé près de 3,95 milliards de livres (4,92 milliards d’euros) en investissements en 2009 avec en vue nos jeux du Commonwealth en 2014.  » Il ajoute :  » Nous avons notamment reconnecté des quartiers séparés par l’autoroute M8 qui coupe la ville en deux et avons éclairé nos bâtiments.  » En effet, certains sont filetés de lumière. Des dais de loupiotes transforment les venelles obscures en lieux branchés.

Des appartements de luxe sont construits, les fontaines refaites, les parcs remodelés. La ville invite marchés et artisans à réinvestir son centre. Message reçu. Autour de la salle de concert iconique, Barrowland Ballroom, le marché bat son plein tout le week-end. Dans le centre historique, Merchant est le quadrilatère chic, piétonnier, élégant. Les boutiques de luxe y foisonnent autour du point central, le GoMA (musée d’art contemporain). Autrefois banque ostentatoire, le bâtiment néo-classique offre une salle d’exposition sous un dôme de verre et des galeries en étages. Glasgow s’étire ensuite entre East End et West End. Nous avons succombé à ce dernier, à ses enfilades de maisons disposées en arc ; à ses jardins et à ses parcs ; à ses porches soutenus de colonnes blanches cannelées ; aux bow-windows bosselées dévoilant d’exquis intérieurs. C’est le coin des bobos, des grands bourgeois, des boutiques où chiner des objets improbables. Dans l’East End, les anciennes industries offrent volumes et espaces confortables aux artistes. Glasgow accumule d’ailleurs les prestigieux Prix Turner. Cette renommée séduit les étrangers.

COCONS CRÉATIFS

D’autres nids douillets accueillent des artistes en résidence pour 110 euros par mois. Au Trongate 103, une bâtisse édouardienne, travaillent trente-cinq créateurs. Ils ont à disposition une imprimerie, une galerie, des cuisines communes, un accès sécurisé. Emma Waine, étudiante en peinture, nous confie :  » La ville est généreuse et très organisée. Les disciplines sont interconnectées avec des studios pour les musiciens aussi. On expose sur place ou pendant les festivals. La dynamique est positive.  » Même son de cloche à Briggait, une magnifique halle de style Eiffel, où quarante-quatre studios recoupent toutes les disciplines. Artisans et artistes confirmés y reçoivent leurs acheteurs. Katherine crée des bijoux et assure :  » Briggait nous fait de la pub gratuite, offre une page sur son site Web et des expositions. « 

Ces cocons sont une bénédiction mais n’incitent pas les bénéficiaires à se frotter aux mégapoles. Au nord de l’Écosse, chacun se sent unique. Il y a un autre revers : l’absence de projets privés, d’opportunités commerciales donc de production des créations afin de les rendre visibles. Chacun £uvre plutôt à la commande ou à l’unité. Mais, dans une ville à échelle humaine, on se serre les coudes. On se donne du travail, on échange les plans. La créativité de Glasgow, connue des aficionados, est encore ignorée du grand public. Pourtant, centres culturels et galeries se font un plaisir de vous recommander des ateliers ou de vous glisser une invitation pour un vernissage. Il suffit de pousser leur porte. Glasgow est devenu un énorme vivier artistique qui a su, intelligemment, reconnecter toutes les disciplines. S’amuser à y dénicher des talents avant tout le monde est franchement grisant.

PAR ÉLISA MORÈRE / PHOTOS : GAËL ARNAUD

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