Il a grandi dans la capitale grecque. Après avoir étudié à Berlin et Salzbourg, il a aujourd’hui des ateliers à Londres et New York. Il a aussi vécu les belles heures du nightclubbing dans l’Athènes des nineties. Le créateur de mode Marios Schwab nous parle de sa Grèce : des Grecs schizophrènes, de l’ombre du passé et. de la mater familias.

Petite présentation express, au cas où son nom vous serait totalement inconnu : Marios –  » non, ce n’est pas une variante de l’italien Mario !  » – Schwab est un styliste de 33 ans, fils d’une mère grecque topographe et d’un père autrichien qui travaillait dans l’industrie du sous-vêtement. Aujourd’hui installé dans l’East End londonien, il possède sa propre marque depuis 2005, a remporté le British Fashion Award du meilleur nouveau créateur en 2006 – depuis, Kate Moss, Kylie Minogue et Hilary Duff portent ses vêtements – et est devenu, en 2009, le directeur artistique de la griffe new-yorkaise Halston. Dans les années 70, elle habillait des stars comme Bianca Jagger et demeure toujours fortement associée au glamour façon déesses grecquesà

Marios a grandi à Athènes. Si la xénophilie est une invention grecque (de xenos, étranger et philia, amour, attrait), Schwab est un parfait xénophile, curieux d’autres cultures, d’autres villes, d’autres traditions.  » D’après ma mère et ma tante, j’étais l’enfant le plus secret qui soit, toujours à fouiner dans les tiroirs et à observer tout le monde « , nous confie-t-il devant un cappuccino à Shoreditch House, l’une des places to be les plus branchées de Londres. Ce don de la curiosité, il l’a sans doute acquis au biberon.  » Enfant, un corps de femme nu n’avait pour moi rien d’étrange. Des clientes de mon père venaient à la maison essayer ses créations, c’était parfaitement naturel. Et un peu sexuel, peut-être. « 

Marios Schwab n’est pourtant pas simplement attiré par le corps humain en lui-même, mais plutôt par la manière dont il est tour à tour voilé et dévoilé, un jeu de cache-cache omniprésent dans la culture grecque.  » Nous avons tous des secrets à cacher. Enfiler un vêtement, c’est littéralement dissimuler quelque chose que l’on a en soi. Et j’aime ce mysticisme méditerranéen qui se retrouve également en Sicile et en Sardaigne, ces veuves villageoises qui portent encore du noir en signe de deuilà Pour moi, un vêtement est toujours une fenêtre ouverte sur le corps. « 

Famille et clubbing

À l’âge de 15 ans, Marios Schwab quitte Athènes pour terminer l’école secondaire en Autriche. Et malgré son jeune âge, il laisse déjà derrière lui bien des rêves d’adolescent.  » Je voulais devenir danseur étoile. Petit garçon, j’avais une camarade de classe qui venait chez moi après les cours, pour danser sur Tchaïkovski dans le salon de mes parents – nous exécutions une représentation très kitsch du Lac des Cygnes. J’ai demandé à mon père de m’inscrire à l’école de ballet, mais le professeur de danse m’a jugé trop petit, trop frêleà ou peut-être que papa lui a glissé à l’oreille de ne pas m’accepter (rires).  »

Avant le départ pour l’Autriche, ses frères aînés l’initient au clubbing.  » Nous avons eu une jeunesse fantastique. D’un côté, nous étions le stéréotype de la famille grecque, où cohabitent trois ou quatre générations. En Grèce, les traditions et les liens familiaux sont essentiels. Ce n’est pas un pays individualiste, et la culture du  » nous  » y est omniprésente. Notre grand-mère était une femme formidableà Nous passions des étés entiers à la mer avec toute la famille. D’un autre côté, mes frères, eux, m’ont fait découvrir la vie nocturne de la capitale. Dans les années 90, les clubs ont connu un boom dans notre pays. Athènes attirait une foule de DJ londoniens et les groupes grecs étaient très populaires sur MTV. Ce fut une période tout à fait à part, qui a duré jusqu’aux scandales de la drogueà La police est intervenue et les clubs ont fermé leurs portes. La fin des nineties a marqué du même coup celle de l’ère des clubs. « 

À ce moment-là, Marios Schwab, animé d’une passion pour la mode, était déjà parti pour Salzbourg.  » À force de voir mes parents à l’£uvre, de feuilleter des magazines et de gribouiller sans cesse moi-même, j’ai très vite voulu poursuivre dans la voie de la mode. Mais trouver, en Grèce, une école appropriée ? No wayà Je n’avais pas d’autre choix que d’aller continuer mes études secondaires en Autriche, où il était déjà possible, à 15 ans, de s’orienter vers cette filière. Nous y apprenions surtout les techniques artisanales traditionnelles qui font le renom du pays de La Mélodie du bonheurà J’y ai étudié quatre ans, avant de gagner Berlin, où l’ambiance était certes bien différente de celle de l’Autriche conservatrice : retour au monde des boîtes de nuit, des sorties et de la découverte de soi, dans une ville rendue unique par sa vie culturelle et musicale. Moi, j’étudiais toujours la mode et, incroyable mais vrai, entre les sorties, je suis même parvenu à décrocher une distinction.  »

Mémoire et humour

De Berlin, Marios Schwab se rend à Londres, où il suit un master en mode féminine au Central Saint Martins College of Art and Design, avant de lancer sa propre marque en 2005 et de prendre ses quartiers dans l’East End. Quel regard porte-t-il, de là, sur la Grèce qui l’a vu naître ?  » Chez les Grecs, la perception du passé est surdéveloppée. Leur mémoire remonte très loin et ils sont profondément conscients de leur histoire. Aujourd’hui encore, ils vivent pratiquement dans l’ombre de ces temps révolus. Les allusions aux personnages ou événements de la Grèce antique sont omniprésentes dans la vie quotidienne, au point que l’on a parfois l’impression que les Grecs possèdent chacun des connaissances dignes d’un professeur d’histoire. Mais cette mémoire d’éléphant a aussi ses désavantages. Le défi, c’est de réinventer le passé, de donner aux valeurs d’autrefois une signification nouvelle et une place dans le futur. C’est actuellement trop peu le cas en Grèce. Nul doute que le pays compte des artistes et des intellectuels qui pourraient le remettre en mouvement, mais ceux-ci sont trop peu soutenus. « 

Marios Schwab pense que nous sommes finalement tous un peu Grecsà  » Notre droit, nos arts, notre langue ont tous des racines dans la Grèce antique. Combien de termes grecs ne se cachent-ils pas dans les langues européennes d’aujourd’hui ? Sans les Grecs, il n’y aurait ni démocrates, ni nostalgie, personne ne serait patriotique ou même glamour. Nul n’élaborerait de stratégies, il n’y aurait ni écoles, ni poètesà Pas étonnant que les Grecs modernes se sentent parfois un peu étouffés par tant d’histoire ! On dit parfois d’eux qu’ils sont schizophrènes ( rires). Mais c’est vrai, tant de réalités qui ont changé le monde trouvent leur origine dans la Grèce antique, et les Grecs d’aujourd’hui sont souvent des personnages tout en contradictions, chez qui il n’est pas rare que la mesquinerie le dispute à l’ouverture d’esprità Ils sont également curieux de tout ce qui vient de l’étranger même si le Grec typique a du mal à voir les choses sous un angle nouveau, ou à les nuancer – il a une opinion très affirmée !  »

Et d’enchaîner sur une anecdote.  » Les Grecs ont un sens de l’humour très particulier – sans une once de sarcasme et très différent de l’humour anglais – qui me fait parfois bien rire. Tous les hommes s’apostrophent par exemple par le terme de maláka, littéralement  » branleur « à certains ne se souviennent probablement même plus de leurs noms respectifs. Ce trait illustre parfaitement la nature des Grecs : ce n’est pas la motivation qui leur manque pour exploiter leur créativité, mais ils relativiseront aussi très vite, parce qu’il est très difficile, dans leur pays, de trouver le soutien nécessaire. Cela dit, je suis toujours surpris, lorsque mes neveux et nièces parlent de l’avenir, d’entendre à quel point leur discours est captivantà Je suis certain que les problèmes économiques auxquels le pays est actuellement confronté vont se résoudre, mais il est important que la jeunesse reprenne espoir et que les secteurs qui font notre force puissent être soutenus : l’agriculture, l’art, les cosmétiques biologiques, la danse, le théâtre, et j’en passe – sans oublier notre merveilleux patrimoine naturel, évidemment. La Grèce demeure toutefois un pays où les grandes décisions sont prises par l’Église et le monde politique, ce qui risque de nuire à cet État finalement encore très jeune – il n’existe que depuis la fin de la domination ottomane, en 1829, et ne compte qu’onze millions d’habitants, soit à peine autant que certaines grandes villes du monde. « 

Création et fête

Nous sommes interrompus par la sonnerie de son GSMà Encore un round de questions-réponses, en vitesse ! Le meilleur resto grec de Londres ?  » Limani, sur Regents Park Road.  » Un must quand on visite la Grèce ?  » Découvrir une île après l’autre pendant une semaine, puis une semaine de repos sur l’archipel du Dodécanèse, mon préféré. Partagez des moments de fête avec les habitants, le temps d’une soirée : les Grecs ont du tempérament, ils aiment danser, s’amuser et vivent pleinement le moment présent.  » Et enfin, ce qui lui manque le plus à Londres ?  » Mes parents. Nous nous téléphonons tous les deux jours. Ils me soutiennent énormément, sont présents à tous mes défilés, nous parlons des affaires ou de New York. Leur ouverture d’esprit est formidable : ils m’ont laissé voler de mes propres ailes dès l’âge de 15 ans, faire le tour du monde et ont accepté sans problème que je ramène un homme à la maison. Il faut savoir – et toutes les femmes qui ont une belle-mère grecque vous le confirmeront – que les Grecques sont de vraies mères poules, qui voient leurs fils comme des demi-dieux. La mater familias peut vraiment mettre certaines relations sous pressionà « 

Carnet d’adresses en page 40.

Par Elke Lahousse

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