Un print, ça fait toute la différence. Les créateurs de mode le savent. Dans son atelier bruxellois, Jessie Lecomte peint, teste, digitalise des imprimés qui ne ressemblent qu’à elle. Avant-première.

Il suffit parfois d’un seul print – et de ses déclinaisons – pour donner une identité à une collection, à une saison. Car il est des imprimés que l’on n’oublie pas, grâce à cette petite musique graphique particulière qui fait la différence. Avec ses mélanges de fleurs et de carreaux, dans un esprit  » grunge couture  » et avec son talent d’assembleur, Dries Van Noten vient de renouveler le genre et l’été 2013 qui s’annonce. De sa part, on ne s’en étonne guère. Pourtant, tous les créateurs n’y succombent pas : si chez certains, c’est une marque de fabrique, chez d’autres, il n’en est jamais question. Mais les jeunes l’ont compris, c’est grâce aux prints, les leurs, qu’ils peuvent désormais faire forte impression – à l’instar d’une Mary Katrantzou, d’un Erdem, d’un Peter Pilotto, d’une Jessie Lecomte. Le verbe  » imprimer  » ne signifie-t-il pas aussi  » faire pénétrer profondément (dans le coeur, l’esprit de quelqu’un) en laissant une marque, une empreinte durable  » ? Peu importe que ce soit la copie hyperréaliste et warholienne d’une boîte de soupe Campbell’s par Jean-Charles de Castelbajac, c’était en 1984 mais tout le monde s’en souvient. Ou que ce soit pour ce printemps-été-ci, la jungle stylisée chez Kenzo, les rayures chahutées d’Issey Miyake, la ribambelle de dinosaures de Julien David, le message presque subliminal d’Isabel Marant ( » Hawaii Aloha « ) ou les traits très libres et forcément abstraits peints par Cédric Charlier.

Sans crainte de se tromper, on peut dès lors ranger les prints sur tissus dans le rang, dans le clan des enluminures d’une collection. Pour s’en convaincre, remonter à la source. Et assister dans le studio de Jessie Lecomte, jeune créatrice belge diplômée de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers (1996), à la découverte de son imprimé peaufiné pour l’hiver prochain, une nouveauté,  » un extra « . Le rouleau de tissu vient tout juste de lui être livré par son fournisseur néerlandais, elle craignait qu’il n’arrive trop tard pour y couper et coudre ses robes, elle a attendu deux mois, pensez si elle était impatiente, elle a vraiment cru que c’était foutu, qu’il ne serait jamais là à temps, qu’elle devrait s’en faire une raison, oublier ses prints. C’est que les petits créateurs sont toujours servis après les grandes maisons, pour cause de volume, d’importance, de notoriété moindres. Elle l’a déjà vécu : elle avait dessiné un oiseau, avec des fleurs, elle avait reçu sa commande après la présentation à Paris. Et elle avait reconnu son imprimé sur les silhouettes d’une maison italienne qui avait le même fabricant. Les risques du métier…

Mais aujourd’hui, elle l’a, son tissu et son print. Jessie Lecomte peut terminer sa collection, elle la présentera début mars, à Paris, durant la Fashion Week, à la galerie Jean Marc Patras, rue Sainte Anastase. Que ce soit un automne-hiver a finalement peu d’importance, car, pour elle, les dates n’en ont aucune, c’est pour cela qu’elle ne les retient pas, c’est pour cela aussi qu’elle ne lie pas ses collections aux saisons, de toute façon, le vrai luxe, c’est créer sur mesure, des petites quantités, à la demande. Une démarche haute couture, créative et singulière. Avec ses moyens financiers limités, et sa volonté d’airain, Jessie Lecomte n’en fait qu’à sa tête, qu’elle a bien remplie. Elle s’était promis qu’elle travaillerait sans tenir compte des pressions, des autres, des cahiers de tendances, des impératifs fashion. Elle voulait prendre le temps de développer un imprimé qui la satisfasse, patiemment, amoureusement. Elle découvre maintenant le résultat, sur un Néoprène polyester de soie,  » un peu rigide mais pas trop pour rester confortable  » ; du coup, sur ce tissu-là, le print est vraiment  » net « , ainsi qu’elle le désirait, elle est émue, ne s’en cache pas, la joie et la fierté, cela se partage. On devine le clocher d’une église, elle lui a ajouté des fleurs,  » je voulais un imprimé pas trop hard, plus moderne « , elle trouve que  » c’est bien  » mais quand et comment est-on sûre que ça l’est ?  » Quand la balance des couleurs est bonne, quand tous les effets sont visibles, quand tout ce que je veux y voir s’y trouve. Ce détail, issu d’une chasuble, que l’on devine seulement, je voulais qu’il aille en diminuant, qu’il soit un peu flou…  » Elle est contente, elle l’utilisera sur une robe noire, le print sera positionné sur le côté gauche, et sur la manche, ce sera joli, avec un fondu d’une subtilité qui lui plaît, et qui correspond à ses normes à elle, l’exigence du parfait. Si elle avait le temps, elle aurait préféré le peindre, ce dégradé, plutôt que de choisir la voie digitale,  » mais on ne peut pas tout faire « .

Jessie Lecomte l’a toujours su,  » un imprimé donne une ambiance, une atmosphère et assoit les bases de la gamme de couleurs autour de laquelle on peut ensuite bâtir pour le reste de la collection…  » Pourtant, elle n’y est pas venue immédiatement, quand elle a lancé sa griffe en 2007, elle a d’abord fait un détour par la broderie, les plissés, les origamis et ensuite seulement, elle a voulu ajouter le print. Sur son mood board qu’elle a posé là, dans la grande salle de réunion immaculée qui sert d’entrée à son loft-bureau, à Forest, on regarde à l’aise ses inspirations visuelles. Jessie Lecomte ne s’interdit rien, surtout pas dans les couleurs. Ne jamais résister à ces chromatismes qui la font vibrer. Elle a jeté quelques phrases sur papier, un texte qui résume les prémices de sa collection. Histoire d’y voir plus clair, elle a examiné son pêle-mêle d’images, reculé de quelques mètres, vérifié  » comment tout peut coller ensemble  » – les influences de la religion, de l’art, de la vidéo, un titre lui a sauté aux yeux,  » Structured chaos « ,  » parce que la vie l’est aussi pour l’instant et que dans ce chaos, il faut des choses très structurées, sinon on ne s’en sort pas « . Jessie est une sage. Ces illuminations-là, ces sentiments-là se sont d’abord transformés en imprimé puis en broderies et enfin en une vingtaine de silhouettes, lente gestation, sans douleur, mais avec concentration. Et si ses couleurs sont chaotiques,  » elles s’harmonisent quand elles fusionnent « .

Cette harmonie, on la retrouve au fil de ses collections, qui se superposent pour ne former qu’un tout cohérent. Jessie Lecomte s’offre le luxe de ne rien renier, chez elle, on peut toujours commander une robe d’il y a deux saisons, pas de raison qu’elle soit obsolète. Pourquoi dater ce chemisier avec print qu’elle porte aujourd’hui ? Oui, Jessie Lecomte crée pour elle, comme souvent les femmes qui font ce métier. L’origine de cet imprimé qui lui va terriblement bien ? Elle a dessiné des ailes de papillons, s’est imprégnée des toiles et des couleurs du peintre allemand Gerhard Richter, a  » mélangé les deux ensemble « ,  » fait plein de tests à la main, sur papier, dans une version bleu-rouge, vert-jaune, kaki-brun gris… « . Et voilà le travail. Déclinée sur une robe longue, la beauté prend son envol.?

www.jessielecomte.com

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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