Flânerie automnale dans des ruelles où un parfum d’histoire se mêle aux effluves d’aujourd’hui. Les canaux envoûtants rythment les pas et la poésie architecturale transporte le regard, tandis que la scène artistique underground brasse les cultures à grands coups de pinceaux.

Curieux mélange d’élans bourgeois et d’impulsions rebelles, Amsterdam fascine par l’atmosphère que lui confère l’intimité de ses ruelles pavées, la taille humaine de ses édifices, le ruissellement de ses canaux et l’agitation de ses places. Si tout semble serein au premier abord, la scénographie tourbillonnante de la ville emporte rapidement le visiteur. Voitures, taxis, tramways et vélos sillonnent les rues dans un grand chaos coordonné. Côté décor, c’est l’histoire qui a travaillé, et bien travaillé. Née d’un village de pêcheurs installé le long des rives marécageuses du fleuve Amstel, la cité a conservé des traces architecturales de toutes les époques qu’elle a traversées. Ainsi, le plus ancien bâtiment, l’Oude Kerk, est debout depuis 1306. Les façades des maisons, elles, témoignent de structures gothique, Renaissance, baroque et néo-gothique qui ont poussé entre les XVIe et XVIIIe siècles, avant de laisser un peu de place à l’Art nouveau au XIXe siècle, puis à l’École d’Amsterdam – variante locale de l’Art déco – au siècle suivant. Un foisonnement stylistique aussi étourdissant que remarquable. On en oublierait presque la contrainte naturelle imposée aux constructeurs tout au long des siècles : comme une bonne partie du territoire – canaux compris – se trouve sous le niveau de la mer, beaucoup de constructions ont dû être posées sur des pilotis, qui s’appuient eux-mêmes sur des couches sablonneuses plus ou moins profondes. L’immense gare centrale, à elle seule, est soutenue par quelque 8 687 colonnes de bois enfouies dans le sable !

ARCHI VARIÉE

Autres témoins de cet art de bâtir pluriel : des habitations aux proportions étranges. L’une des plus célèbres se trouve sur le Singel 7. A peine plus étendue que sa porte d’entrée, elle ne mesure pas plus d’un mètre de largeur, faisant d’elle la maison à la façade la plus étroite… du monde, même si elle cache des dimensions plus normales à l’intérieur. Sa  » cousine « , logée au numéro 22 de l’Oude Hoogstraat, entre la Digue et le Nieuwmarkt, n’est pas beaucoup plus généreuse envers ses habitants, qui se partagent 2,02 mètres de largeur pour 6 mètres de profondeur. Mais elle possède un grand atout : on y vend des thés frais de haute qualité…

Au-delà de ces curiosités dont raffolent surtout les touristes, la  » Venise du nord  » est considérée comme une référence européenne en matière d’urbanisme, en raison de sa croissance harmonieuse et continument planifiée depuis le XVIIe, siècle d’or néerlandais. Développée entre les ouvrages historiques, l’architecture contemporaine résulte d’un mélange étonnant de constructions immémoriales et de projets nouveaux au design souvent élégant, voire surprenant. Exemple éloquent : le Musée scientifique NEMO, réalisé par l’Italien Renzo Piano (qui a notamment oeuvré sur le Centre Pompidou parisien) et qui a ouvert ses portes en 2000 dans le quartier est. Couvert de plaques de cuivre pré-patiné, le complexe ressemble à un navire en dérive d’où l’on profite d’une vue époustouflante sur les alentours. Autre bâtiment récent, devenu nouvelle icône de la ville, le Eye Film Institute, musée du cinéma inauguré en 2012 et lové en face de la gare, sur la rive nord du lac IJ, évoque un oiseau à peine posé au bord de l’eau grâce à la légèreté de ses lignes, un brin futuristes. Le cadre idéal pour (re)découvrir les plus grandes oeuvres du septième art, du muet à nos jours…

QUARTIERS CHOISIS

A côté de ses musées – dont les inévitables emblèmes locaux nommés Rijksmuseum, Van Gogh ou Stedelijk -, Amsterdam révèle aussi sa personnalité multi-facettes et sa pétillance à travers ses quartiers. Le très fréquenté Red Light District, avec ses néons rouges allumés nuit et jour, n’est plus à présenter. Il ne constitue pourtant qu’une fraction du tableau. Pour s’en rendre compte, direction China Town et son temple bouddhiste, ou le quartier du Miroir avec ses galeries d’art contemporain et ses antiquaires spécialisés. Arty et plus pittoresque, le Jordaan, lui, s’apprivoise au fil de ses innombrables ruelles, dont les 9 Straatjes ( » les 9 rues « ) qui abritent boutiques de créateurs et traditionnels cafés bruns à la déco savoureusement vieillotte. Quoi de mieux que de se poser dans l’atmosphère d’un autre âge offerte par le bistrot Doelen, au bord de l’Amstel, après une après-midi de shopping trendy ? L’occasion de noter que les Amstellodamois adorent leur café : leur demander où se trouve le Starbucks le plus proche n’est pas toujours bien vu… Après la pause, il faut encore se rendre au centre névralgique du quartier De Pijp, qui n’est autre que le plus grand marché en plein air d’Europe : l’Albert Cuyp. Enfin, pourquoi ne pas se laisser tenter par un petit dîner-croisière pour voguer à travers les canaux – classés au patrimoine mondial de l’Unesco – dont l’aura magique se ressent particulièrement à la nuit tombée ?

LIBERTÉ CRÉATIVE

Son passé colonial et son statut de noyau commercial des Pays-Bas font d’Amsterdam une ville ouverte. Et l’antre d’une pluralité impressionnante de cultures. Près de la moitié de la population serait allochtone et représenterait quelque 170 nationalités. Ce cosmopolitisme provoque un mouvement incessant de modes et de tendances, dont les extravagances s’observent à chaque coin de rue. Il a aussi permis à cette cité de se forger une identité tolérante et progressiste. Si certains s’en plaignent parfois, les touristes s’en régalent. Car cette largesse d’esprit a notamment mené à la prolifération des fameux coffee shops – où le cannabis est réglementé par l’Etat – et des centaines de cabines à plaisirs. Drogues récréatives et promiscuité sexuelle sont apparues à la fin des années 60 dans un night-club local bien connu des jeunes du monde entier, le Paradiso, fréquenté jadis par les hippies, puis par les rockers.

Bien sûr, on aurait tort de résumer la ville à ces petits commerces  » exotiques « . Derrière ses apparences parfois trompeuses, Amsterdam entretient le terreau fertile d’idées ou d’arts de vivre qui se mesurent en discutant avec ses habitants. Et dont Jacques Brel lui-même n’a chanté que des possibles parmi d’autres en évoquant son port, sa vie quotidienne agitée ou ses maisons closes. Après ses débuts initiés par une société bourgeoise aux moeurs strictes, le petit village hollandais est devenu une cité en perpétuel questionnement, où la contre-culture a été brandie successivement par les adeptes du rockabilly, les beatniks ou même les punks. Aujourd’hui, certains Amstellodamois affirment que ce mouvement alternatif serait en recul et que le consensus bourgeois reprendrait le dessus. On évoque même l’effacement progressif des quartiers  » chauds  » et une nette diminution du nombre de coffee shops dans les années à venir. Mais dans les faits, ce n’est pas si simple… D’abord parce que la réputation touristique du lieu y perdrait des plumes. Ensuite parce que la population, l’air de rien, s’accroche férocement à ses libertés et à toutes ces pulsions créatives qui l’ont façonnée.

Capitale branchée et ville bohème par excellence, les galeries d’art et les boutiques design fusent de tous les côtés à Amsterdam-Zuid. Moins conventionnel, le crochet dans la banlieue industrielle nord s’avère tout aussi instructif. Sur place, le site industriel NDSM se veut la friche artistique de la ville. Cet ex-chantier naval a été converti en un espace de travail géant, multidisciplinaire, qui fait la part belle à l’art et l’expression expérimentale. Issus du théâtre, du spectacle de rue, du design, du multimédia ou de la sculpture, les artistes s’y délectent. Plus loin, le bateau-concert Stubnitz accueille des soirées alter-punk-électro, tandis qu’un skatepark couvert attire une jeunesse qui troque volontiers ses vélos contre quelques frissons. Quand la journée s’éteint, les terrasses de cafés se remplissent et l’atmosphère se fait plus électrique. Amsterdam dévoile alors un visage plus pop et même empreint d’une certaine poésie. La nuit constitue sans doute sa plus belle oeuvre d’art, s’ajustant sans cesse aux nouvelles circonstances, à ceux qui y viennent et, surtout, qui finissent toujours par y revenir…

PAR ANNA MELLONE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content