A 72 ans, l’ancien avocat d’Asti traverse l’époque, sourd aux modes, fidèle à sa mélancolie burinée comme à sa moustache broussailleuse. Rencontre à Amsterdam en prélude à ses deux concerts belges.

Il n’a toujours pas de téléphone portable. Ecrit encore ses chansons au crayon. N’allume jamais la télévision –  » sauf pour le foot et puis basta « . La nuit, dans la campagne piémontaise, qu’il n’a jamais abandonnée, il réveille son piano ou s’emmitoufle dans le son chaud de vieux 78-tours de Louis Armstrong. Si Paolo Conte est là, assis juste là, dans cet hôtel tout en parquet et feu ouvert, patiné comme les plis de son visage ; s’il est là, flegmatique, à répondre à nos questions, le corps baigné par la lumière laiteuse d’Amsterdam, c’est pour une bonne raison. La seule qui l’arrache depuis trente ans aux vignes d’Asti : la musica.

Négligemment chic, pantalon à pinces et barbe de la veille, l’Italien goûte un jour de repos entre deux dates de la tournée Psyche, du nom de son dernier opus, sorti à l’automne dernier. Un album sombre, traversé d’atmosphères plus radicalement mélancoliques encore que dans son précédent disque, le très beau Elegia (2004). D’exquises mélodies nocturnes, relevées çà et là d’une douce folie, entre éruption balkanique, ode swinguée à la bicyclette et chanson d’amour fou en français dans le texte. Un nouveau coup de maître pour le cantautore diplômé en droit, qui a longtemps navigué entre les salles d’audience et celles de spectacles. Et a pris, piano piano, tout son temps avant de poser sa voix travaillée au tabac blond sur ses propres compositions. Passionné par le jazz des Années folles, qu’il découvre grâce à un père mélomane, le jeune Paolo vivra ses premiers succès par procuration. Toutes les filles de la Dolce Vita fondent devant le bel Adriano Celentano alignant les paroles de La coppia più bella del mondo et du fringant Azzuro, hits transalpins des années 1960, troussés dans l’ombre par l’avocat de la note bleue. A près de 40 ans, enfin, Paolo déverrouille sa réserve, Conte peut se mettre à chanter. Un premier album plus ou moins inaperçu, puis c’est Gelato al Limon (1979), et à partir de là, le haut de l’affiche. Les  » tidoum tiboum tibouboum  » de Via Con Me et autres  » Tialatia tadadiaaam  » de Sparring Partners font fredonner une Europe séduite par ce gentleman-farmer italien gentiment bougon. Et les Etats-Unis : en 1998 son best of est consacré disque de l’année par le magazine américain Rolling Stone.

En réponse au succès, il choisit la discrétion. Inadapté au bruit médiatique, Paolo Conte. Pas très à l’aise dans le siècle. Il dit, elliptique, dans un sourire désabusé que  » notre époque [l’] ennuie un peu, parce qu’on raisonne beaucoup trop en chiffres. On standardise l’humain « . Rien ne l’enthousiasme de nos jours au niveau créatif. Vraiment ?  » La musique d’aujourd’hui manque de courage, le recours à l’ordinateur enlève une part de création.  » Contre l’air du temps, voire un brin réac, le crooner fantasme un monde où la poésie aurait gagné. Un monde en noir et blanc. Comme le cinéma qu’il a un jour aimé.

Aujourd’hui il préfère s’abandonner dans la contemplation de livres d’art,  » j’adore toutes les avant-gardes du début du xxe siècle « . Ou dessiner lui-même, sa deuxième passion,  » un vice encore plus vieux que la musique, que j’ai gardé secret jusqu’il y a peu « . Dans le livret de Psyche, entre ses vers énigmatiques on croise une composition kandinskienne, un vélo fougueux tracé à la manière des futuristes, et quelques esquisses de visages taillés à la serpe. D’un trait vigoureux comme une poignée de main, Paolo Conte peint un univers qui n’existe plus. Une esthétique délicieusement vintage. Relayée dans les ambiances feutrées de ses promenades, aussi désuètes qu’indispensables.

Paolo Conte sera en concert ce 28 avril à Anvers (Salle Reine Elisabeth) et à Bruxelles ce 29 avril (Bozar). Il se produit également ce 26 avril à Esch-sur-Alzette (Rockhal) au grand-duché de Luxembourg.

Baudouin Galler

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