Cette belle et naturelle présence, dans votre roman, de l’emploi du conditionnel passé et de l’imparfait du subjonctif est-il un devoir ou un plaisir ?

Un plaisir et non une volonté délibérée. La langue nous offre ces possibilités et ces nuances autour desquelles la phrase se moule. La langue française a pourtant ses limites. Le mot enceinte peut indifféremment qualifier une femme ou exprimer une fortification. Pour désigner la future mère, l’anglais  » pregnant  » me paraît supérieur, dans la mesure où il suggère une fusion. Chaque langue a ses faiblesses et ses richesses, ses libertés et ses contraintes.

La maternité est prise ici comme la pierre angulaire du livre. Elle suscite de votre part cette réflexion:  » Un Steinway a la même beauté qu’une femme enceinte ou prête à accoucher. « 

Ce qui me frappe dans le piano Steinway, qui a toujours été construit de manière artisanale, c’est la démesure des formes et la connivence qu’il suscite chez les musiciens. Pour s’en persuader, il suffit de l’avoir vu entre les mains de Rubinstein, Horowitz ou Glenn Gould: ils sont en fusion avec leur instrument. De même, à la fin de sa grossesse, la femme est en état fusionnel et auréolée de démesure.

Vous n’étiez pas un futur père distrait ?

Au contraire. J’ai vécu les grossesses de mon épouse avec beaucoup d’émotion, de joie et de désarroi. Le rapport à la naissance s’accompagne d’une relation à la mort, parce que mettre au monde c’est déjà défier la mort. La naissance ne peut survenir qu’au prix d’une mort; le bébé enterre un peu la génération précédente. Dans ce roman, je raconte le vrai accouchement d’un de mes enfants, en m’épargnant toutefois ce qui m’est réellement arrivé: à chaque naissance je suis tombé dans les pommes et j’ai dû être évacué.

Nous parlons des pères. Dans quel rôle le vôtre aurait-il le plus de plaisir à vous retrouver: en laquais du Verbe (pour reprendre l’épitaphe de l’écrivain français Alain Bosquet) ou en commis de l’Etat ?

En laquais. Dans mon roman précédent, il vivait dans et pour la langue. La culture se confondait avec la langue, laquelle définissait le rapport au monde et le sens des choses. A l’époque, je n’éprouvais pas la moindre sensibilité pour cela. C’est en écrivant que j’ai pris conscience de l’importance de la langue française. Aussi de sa relativité: notre langue française est incomprise des 9/10 de la planète.

Valère, l’un de vos protagonistes principaux, est  » un monument de perplexité « . Ressemble-t-il en celà à vous ?

Tous les personnages principaux de mes romans sont un peu mes porte-parole. Ici, Valère et Maxime sont les deux faces d’un même personnage. Ils incarnent le positif et le négatif d’une même réalité. Moi, un Janus ? Non. Plutôt Plume, Charlot ou la version contemporaine du Buster Keaton dans  » Les Fiancées en folie « .

Ecrire, selon Jules Renard, c’est une façon de parler sans être interrompu. Est-ce aussi votre cas ?

Moi, je suis souvent interrompu, puisque l’écriture n’est pas mon activité principale. Je prends l’écriture comme une traversée du désert, puisqu’on ne sait jamais si l’on arrivera de l’autre côté. Il faut tenir la distance coûte que coûte et parvenir au déclic, au moment où le roman se noue. C’est un incomparable mélange de joie et de douleur. Dans mon cas, c’est un besoin presque thérapeutique.

Propos recueillis par Marc Emile Baronheid

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