C’était au départ une simple fête de quartier. Quatre décennies plus tard, la manifestation attire 130 000 visiteurs ! La recette de ce succès ? Une armée de bénévoles, de la bonne musique et… une montagne de saucisses de cheval. Découverte.

Au milieu des années 70, trois maisons de jeunes de la région de Lokeren ont l’idée de doubler la traditionnelle kermesse du début du mois d’août d’une série de concerts – dans l’esprit des Gentse Feesten, mais en mieux ! Dès leur première édition, les organisateurs parviennent à s’assurer la participation de Toots Thielemans, posant d’emblée les bases d’une solide réputation musicale. Au début des années 90, la popularité de l’événement est telle que le public frôle l’hystérie, notamment lorsque le groupe pop flamand Clouseau monte sur scène. La place du Oude Vismijn est pleine à craquer, les serveurs ne parviennent plus à se frayer un chemin dans la foule, les ventes de boissons s’effondrent. Une question se pose alors : faut-il continuer à drainer davantage de spectateurs, avec des affiches de plus en plus attrayantes, ou rester dans l’esprit bon enfant d’un café en plein air ? En 1994, la nouvelle tombe : l’année suivante, les podiums déménageront vers le Grote Kaai, un vaste terrain au bord de la Durme qui peut accueillir jusqu’à 15 000 personnes.

 » GRATUIT « , LE MOT MAGIQUE

Au milieu des années 90, les visiteurs pouvaient encore assister aux prestations de stars comme Clouseau, Soulsister, Axelle Red, John Cale et bien d’autres sans débourser un centime. Pas étonnant que les Lokerse Feestensoient souvent considérées comme le festival le plus démocratique du pays ! Ce n’est qu’en 1998 qu’un droit d’entrée de 20 francs belges est instauré, au grand dam des Lokerois, qui  » trichent  » même en se passant des bracelets d’entrée à travers les grilles ! Le prix d’un ticket pour une journée s’élève aujourd’hui à 25 euros ou davantage, mais l’abonnement reste incroyablement bon marché : 140 euros pour dix jours de spectacles, y compris celui d’une star internationale.

UNE FIERTÉ LOCALE

Tous les Lokerois sont fiers de  » leurs  » fêtes, qui occupent la 5e place dans le top 10 des plus grands festivals belges – d’autant plus que, vu l’ampleur du bataillon de volontaires impliqués dans l’organisation, tout le monde a bien un ami ou un voisin qui tient la caisse, sert au bar ou cuit des saucisses à tour de bras.  » Nées des entrailles de la ville, les Lokerse Feestenont complètement gagné son coeur « , résume Jan Cools, président du festival. La preuve : même si le site est de plus en plus encerclé d’immeubles à appartements, personne dans le quartier ne songerait à se plaindre des nuisances. Et si la possibilité de déplacer à l’extérieur de la ville un événement de plus en plus à l’étroit sur le terrain du Grote Kaaiest régulièrement évoquée, suggérer une délocalisation dans l’entité voisine de Zele serait considéré comme une gifle par les habitants du fief !

UNE HISTOIRE DE BÉNÉVOLES

Les volontaires qui s’occupent de cette manifestation sont aujourd’hui au nombre de 800, des vendeurs de frites aux  » madames pipi  » en passant par les gardiens de parking, les agents de sécurité, les  » chouchouteurs  » de VIP, les colleurs d’affiches… et même le comptable et le responsable de la programmation. L’ASBL Lokerse Feestendispose en tout et pour tout d’un seul employé rémunéré et le festival dépend entièrement de toutes ces âmes dévouées. Jan Cools occupe un poste de collaborateur de cabinet à la province, et le responsable de la programmation, Peter Daeninck, est vendeur à temps plein dans une entreprise de peinture.  » Notre richesse est là « , conclut Jan Cools, dont la compagne cuisine pour les artistes tandis que le fils assure le service au bar. L’association n’a même pas de bureaux : toutes les réunions se tiennent à l’hôtel Biznis de Lokeren, et Peter Daeninck assure les négociations avec les agents et les managers depuis sa voiture ou son ordinateur privé.  » Le festival fait aujourd’hui partie de nos gènes ! Certains bénévoles cèdent même la main à leurs enfants et beaux-enfants « , raconte le président.

Les volontaires ont aussi longtemps apporté une bonne dose de folklore. Le lancer de saucisses et les jeux au stand d’information – cinq tickets-boissons à celui qui ramène un soutien-gorge – n’ont malheureusement pas résisté à une certaine professionnalisation. Le baptême des aidants – traditionnellement aspergés de sauce et ficelés à un poteau, avec ou sans pantalon – a également été supprimé. Reste le  » buikschuiven « , la glissade à plat ventre sur une piste en plastique enduite de savon noir, qui se tient à 3 h 30 dans la nuit du jeudi au vendredi. Les curieux trouveront un certain nombre de séquences de l’événement sur YouTube…

SNOBISME, NON MERCI

Dès 2008, le programmateur ose des artistes pointus comme le groupe de techno belge Milk Inc. Werchter suivra leur exemple un an plus tard. En 2009, Peter Daeninck décide d’inviter Regi, l’un des membres de Milk Inc., en clôture du festival, après le chanteur néerlandais Marco Borsato.  » Cela nous a valu une déferlante de critiques et de plaintes « , se souvient l’intéressé. Tout le monde le déclare fou, mais cette dernière soirée est finalement la seule à faire salle comble. C’est que, pour ne pas se perdre dans la masse des festivals estivaux, il faut un vrai visage, une vraie personnalité !  » Celle des Lokerse Feesten, c’est un mélange de styles pour tous les âges, de talents belges et de groupes internationaux célèbres, mais pas trop, résume Peter Daeninck. La techno de Milk Inc. et la punk attitude des Sex Pistols sur une même affiche, finalement pourquoi pas ?  » L’idée n’est toutefois pas de faire connaître de nouveaux talents : avec des prix aussi démocratiques, attirer du monde est un must, sans compter que Lokeren ne fait pas le poids face à la concurrence de Pukkelpop, qui se tient traditionnellement quelques semaines plus tard… Par contre, tout le gratin belge y passe, côtoyant des artistes venus de partout tels que Kosheen, Anouk, Nile Rodgers, Snoop Dogg, Alanis Morissette, The Beach Boys, Pink, The Cure, Simple Minds, Massive Attack ou les Sex Pistols. Cette année, on annonce notamment Blink182, Motörhead, Within Temptation, Jessie J et Neil Young.

UNE SEMAINE DE FOLIE

Les festivités s’étalent aujourd’hui sur une durée record de dix jours.  » En 1975, les concerts étaient répartis sur deux week-ends. Au fil des années, ils se sont ensuite étendus à la semaine qui les sépare « , explique Jan Cools. D’abord au mercredi, jour du marché hebdomadaire, puis au lundi, et enfin les mardi, jeudi et vendredi également.  » Cela contribue au succès de la manifestation, parce que ça nous permet de répartir les coûts des installations sonores et des podiums.  »

AUCUNE AIDE EXTÉRIEURE

Alors qu’un festival de ce type représente pour l’entité qui l’accueille un indéniable atout marketing, l’ASBL ne touche actuellement pas un centime de subsides de la ville ou de la Région. Tout au plus a-t-elle bénéficié jusqu’à la fin des années 90 d’un soutien de la Communauté flamande, qui lui a ensuite été retiré à cause d’une programmation jugée trop  » plate  » – mais qu’importe, puisqu’elle s’en sort très bien toute seule ! Peter Daeninck et Jan Cools se refusent à dévoiler leur budget annuel, qui se solde tantôt par un modeste bénéfice, tantôt par une légère perte. Un coup d’oeil sur les comptes révèle néanmoins que l’institution a accumulé un bas de laine de près de 3,5 millions d’euros, ce qui n’est certes pas un luxe dans ce secteur ou tout doit être préfinancé.  » Nous ne voudrions plus de subsides même si on nous les apportait sur un plateau, conclut Jan Cools. Nous avons construit une structure qui fonctionne et nous n’avons besoin d’aucune aide extérieure.  »

SAUCISSE DE CHEVAL ET CROTTES DE NEZ

Dernier ingrédient de notre recette : la gastronomie à la sauce lokeroise. Depuis l’édition 2011, où le chanteur britannique Morrissey, végétarien notoire, avait exigé l’interdiction de la vente de saucisses de cheval (lire par ailleurs), la célèbre spécialité locale est plus demandée que jamais ! Elle est préparée fidèlement depuis trente ans par le boucher local Willy Van Moeseke, selon une recette tenue secrète – à la sauce tomate, pas à la bière brune comme à Termonde -, dont il se murmure qu’elle devrait sa particularité à une tartine à la moutarde incorporée à la préparation. Les stands du festival vendent chaque jour environ 100 kilos de cette spécialité, en particulier lors de la soirée  » metal « , qui attire essentiellement un public d’hommes célibataires. Un plat typique qui s’arrosera d’une Kaaiman, brassée spécialement pour cette 40e édition, ou d’un cocktail au nom farfelu inspiré du dialecte local – Bloeneuze(nez qui saigne), Pieskouse (nana), Woaterkieken (poule d’eau), Vuistertablette (torgnole) ou Snottebale(crotte de nez). La file s’annonce longue au bar !

www.lokersefeesten.be Du 1er au 10 août prochain.

PAR VEERLE HELSEN

 » Nées des entrailles de la ville, les Lokerse Feesten ont complètement gagné son coeur.  »

 » Pour ne pas se perdre dans la masse des festivals estivaux, il faut un vrai visage, une vraie personnalité !  »

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