Maître d’oeuvre des fameuses compilations de l’hôtel Costes, le Français Stéphane Pompougnac est aussi, entre autres, l’ambassadeur musical de Gucci. Rencontre avec un DJ célèbre malgré lui.

Il y a quinze ans à peine, rares sont ceux qui auraient osé parier un vinyle sur la célébrité à venir d’un  » simple  » disc-jockey. L’intronisation du CD comme support musical (quasi) unique et, surtout, la suspicion ambiante à l’égard d’un hypothétique talent de la faune DJ rendaient, en effet, le scénario peu probable. Pourtant, à l’époque, certains renifleurs de tendances annonçaient déjà un futur prospère aux magiciens des platines. Le métissage des genres, l’envie de se démarquer des standards radiophoniques, mais aussi l’avènement de nouvelles habitudes comportementales allaient bel et bien leur donner raison.

Aujourd’hui, les DJ sont  » starisés  » et convoités par les plus grands noms de la scène pop pour remixer certains de leurs morceaux. Attentives à leur  » capital tendance « , les vedettes du show-biz se disputent également leurs faveurs pour égayer des anniversaires et les marques de prestige s’offrent généreusement leurs services pour dynamiser un défilé ou ponctuer avec audace l’inauguration d’une nouvelle boutique. Mais à côté de ces collaborations événementielles qui rendent hommage à leur créativité, c’est surtout le savoir-faire musical des DJ dans les soirées et les compilations qui est désormais reconnu et apprécié. Les succès discographiques du mouvement lounge attestent d’ailleurs de cet état de fait : du Café del Mar à La Mezzanine de l’Alcazar, le grand public a fini par épouser un phénomène qui se voulait à la base confidentiel et branché. Les deux premiers volumes du Buddha Bar compulsés par l’ineffable Claude Challe (l’ex-gourou des Bains-Douches) flirtent avec le demi-million d’exemplaires vendus, tandis que les quatre CD de l’hôtel Costes approchent tout doucement les 700 000 unités écoulées.

Derrière ce dernier score étonnant se cache un jeune homme de 33 ans aux cheveux (déjà) poivre et sel : Stéphane Pompougnac, chouchou planétaire des soirées mondaines. DJ depuis l’âge de 16 ans, ce grand romantique au profil discret a roulé sa bosse dans plusieurs clubs du sud-ouest de la France, sa région d’origine, avant de débarquer à Paris au début des années 1990. Il passe par quelques boîtes célèbres telles que le Diable des Lombards, le Queen, les Folies Pigale ou encore La Locomotive et atterrit finalement aux commandes musicales des célèbres Bains-Douches où il travaille pendant trois ans sous l’autorité artistique du fameux Claude Challe. En 1997, un certain Jean-Louis Costes lui fait part de son projet d’ouvrir un hôtel de grand luxe à son nom où l’atmosphère musicale du restaurant serait gérée chaque soir par un DJ. Stéphane Pompougnac accepte le défi d’un habillage musical approprié, sobre mais audacieux.

A cette époque, les bars et les restaurants hype parisiens louent en effet les services de DJ en vogue pour personnaliser leur établissement, à l’instar de leurs grands frères anglo-saxons. La musique – au même titre que l’architecture, le décor et le contenu des assiettes – fait désormais partie intégrante de l’esthétique générale et, donc, de la renommée des lieux. Les DJ, rebaptisés  » illustrateurs sonores  » ou encore  » sound designers  » pour l’occasion, mixent en direct leurs morceaux fétiches et autres petites trouvailles exotiques souvent inconnues des convives. Leur  » ameublement musical  » finit par séduire et ils se retrouvent, malgré eux, projetés petit à petit sous les feux de la célébrité.

Stéphane Pompougnac fait partie de ceux-là. L’hôtel Costes, son repaire parisien, tranche par son style rococo, son service raffiné et son atmosphère décalée. En quelques mois, l’établissement situé à deux pas de la mythique place Vendôme devient le rendez-vous obligé des stars de la mode, du show-biz et de la jet-set. On y croise pêle-mêle Leonardo DiCaprio, Catherine Deneuve, David Bowie, Sting, Donatella Versace, Bruce Willis, Milla Jovovich, Thierry Ardisson, Johnny Depp ou encore Vanessa Paradis (c’est là que, paraît-il, les deux tourtereaux se sont rencontrés). Stéphane Pompougnac officie tranquillement derrière les platines du restaurant mais, de plus en plus, la demande se montre insistante pour obtenir une copie du CD qui enrobe les dîners. Or, il n’existe pas de CD. Les morceaux sont mixés en direct, sur place, au gré des humeurs et des envies musicales du DJ.

Finalement, sous les assauts répétés de la clientèle, un premier volume sort en 1999 baptisé  » Costes « , tout simplement. 2 000 exemplaires à peine sont pressés et très vite épuisés sous l’effet irrésistible d’un bouche-à-oreille favorable. Tel est à la fois la force et la faiblesse de ces compilations : pas de publicité, pas de plan marketing, très peu de radio et de très rares articles dans une presse tendance plutôt haut de gamme. Le buzz est donc généré par les amateurs du genre qui font circuler le CD sur tous les continents entre restos branchés, hôtels cinq étoiles, studios photos et boutiques de luxe. La recette est efficace puisque le deuxième volume de l’hôtel Costes, intitulé  » La Suite « , se vend déjà à 150 000 exemplaires suivi, un an plus tard, de  » Etage 3  » qui double sans forcer le score précédent. Sorti en novembre dernier,  » hôtel costes quatre  » semble connaître déjà la même destinée : en un peu plus de trois mois, 150 000 exemplaires ont déjà été écoulés.

Evidemment surpris par l’ampleur des chiffres, Stéphane Pompougnac n’en demeure pas moins humble et serein :  » C’est vrai que le succès est phénoménal, reconnaît le DJ, mais quelque part, je trouve ça normal, non pas par rapport à moi, mais par rapport à la musique qui est véhiculée. Il s’agit d’une musique qui existait déjà mais qui était, jusqu’à présent, sous-représentée. Alors, certaines mauvaises langues parlent de musique d’ascenseur et, évidemment, ça m’énerve. Moi, je dirais plutôt qu’il s’agit d’une musique faite pour que l’esprit puisse rêver et pour que le corps puisse danser. Mais, encore une fois, je ne tire aucune gloire de ce succès, même si j’ai ouvert la brèche avec d’autres DJ. D’une part, j’aime rappeler que les morceaux que je mixe ne sont pas de moi et, d’autre part, je suis conscient qu’il s’agit aussi d’une mode qui va peut-être passer. Donc, je tiens à rester humble par rapport à tout cela parce que je n’y vois, en définitive, rien d’extraordinaire. « 

Certains DJ seraient, pourtant, beaucoup plus hautains pour moins que ça. Depuis son arrivée au Costes et le succès de ses compilations, Stéphane Pompougnac ne cesse en effet d’être appelé aux quatre coins de la planète pour animer des soirées et autres événements de prestige. A son palmarès, il cite au hasard l’inauguration du restaurant de Cameron Diaz à Miami, l’animation musicale de la réception  » Fashion for Victims  » au Club Haccassan de Londres en présence de tout le gratin de la mode, ou encore les soirées d’anniversaire privées de Mick Jagger, Rod Stewart ou encore Estella Warren. Même Madonna en personne l’a réquisitionné pour remixer un titre de son dernier album. Il faut dire qu’elle était passée un jour par le Costes et qu’elle était tombée sous le charme musical de ce jeune Français talentueux…

Autres collaborations de choc : une compilation pour le restaurant du groupe culte Massive Attack et, incessamment sous peu, une commande à honorer pour la prestigieuse chaîne de magasins Saks Fifth Avenue : là aussi, un CD d’ambiance électronico-exotique pour refléter idéalement l’esprit des lieux. Et comme la mode et la musique font toujours bon ménage, il était attendu que les fins limiers du marketing vestimentaire s’intéressent au talent du jeune Pompougnac. Avec sa renommée grandissante, le DJ attitré du Costes a donc été convié à sonoriser quelques défilés (Michel Klein à Paris, Jeffrey Jah à New York,…), mais surtout, il a été répéré par la garde rapprochée de Tom Ford pour devenir, en quelque sorte, l’ambassadeur musical de Gucci. Désormais, Stéphane Pompougnac officie pour la marque quand il s’agit d’égayer intelligemment l’inauguration d’une nouvelle boutique à Moscou, à Paris, à Düsseldorf ou à Miami, ou encore de passer aux commandes des fameuses after-parties de défilés à Milan ou à Tokyo. Quant au décor sonore des défilés proprement dits, le DJ freine quelque peu l’invitation tacite lancée par Gucci.  » J’ai vraiment trop de travail en ce moment, avoue Stéphane. Si j’acceptais de faire en plus les défilés, il faudrait que j’arrête les soirées et mon travail au Costes. Or j’ai envie de développer d’autres projets plus personnels et, surtout, de ralentir un peu. J’ai le sentiment aujourd’hui que, par obligation, ma carrière passe avant tout, alors que j’ai envie de poser mes valises et de penser à fonder une famille. Cela commence à me manquer. « 

A l’aube de ses 34 ans, Stéphane Pompougnac s’apprête donc à quitter tout doucement le monde de la nuit. Certes, l’univers musical restera son quotidien, mais le rythme infernal des soirées animées entre deux avions va très probablement se ralentir. Son projet prioritaire? Dépasser le principe des compilations lounge pour réaliser, enfin, un premier CD entièrement composé et produit par ses soins. Avant de remixer, bien sûr, sa vie sentimentale…

 » hôtel costes quatre  » mixed by Stéphane Pompougnac, Pschent/Wagram Music, 2001.

Frédéric Brébant

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