Elle aurait pu couler à pic après le raz de marée Titanic. Elle a réalisé un parcours risqué, et sans faute. Avec deux films cette année, dont les impressionnantes Noces rebelles, de son mari, Sam Mendes, l’actrice britannique revient au sommet. Juste à temps pour les Oscars…

De tous les exercices imposés au journaliste, l’interview téléphonique est l’un des plus frustrants. Il y a celles qui vous font lanterner pendant des heures près du combiné, celles qui oublient tout simplement d’appeler, celles qui agitent le chrono  » Bon, je vais raccrocher, là…  » et puis il y a Kate Winslet. 33 ans, cinq nominations aux Oscars (et sans doute sept dans quelques semaines, pour Le Liseur, de Stephen Daldry, et surtout Les Noces rebelles, où elle est stupéfiante dans le rôle d’April Wheeler, une mère de famille étouffant dans l’Amérique des années 1950), et une spontanéité de débutante.  » J’essaierai d’être aussi intéressante par téléphone que si j’étais venue !  » commence-t-elle. Pari tenu.

Weekend Le Vif/L’Express : On ne sort pas indemne de la projection des Noces rebelles. On imagine que pour les acteurs l’expérience s’est révélée encore plus violente.

Kate Winslet : C’est vrai. April a été incroyablement difficile à jouer. Je suis plus positive et plus forte qu’elle. Quand quelque chose ne va pas dans ma vie, il faut que je le change tout de suite. Mais sa sincérité, son exigence, je les comprends. Lorsqu’elle lance à son mari :  » On ne peut pas se mentir en disant que cette vie est celle dont nous avions rêvé « , c’est terrible, et ça nous parle à tous.

Est-il vrai que vous avez été malade sur le plateau ?

Oui, une fois. Ça m’arrive parfois avant de tourner une scène particulièrement délicate.

C’était difficile de quitter April ?

Oh, oui ! J’aimerais pouvoir redevenir moi-même d’un claquement de doigts après un tournage, mais j’en suis incapable. C’est comme si je réchappais d’un grave accident de voiture et que j’avais besoin de comprendre ce qui venait de se produire. Quand je quitte un personnage, je dois analyser la transe par laquelle je suis passée. Et puis j’aime tellement les femmes que j’ai interprétées qu’il me faut plusieurs mois pour leur dire adieu.

Avec l’expérience, cette période de deuil n’est-elle pas moins longue ?

Non, c’est de pire en pire, au contraire. Heureusement, mes enfants ne se rendent pas compte de ce qui m’arrive…

Mais votre mari, Sam Mendes, si.

Oui, et il est d’un soutien fantastique. Sam peut lire chacune de mes émotions. Quand il sent que j’ai besoin d’être seule, il le respecte, et s’arrange pour discrètement abandonner une tasse de thé ou mon paquet de tabac à côté de moi. Si je fonds en larmes, il me prend dans ses bras, me dit que ce n’est pas grave et qu’il m’aime… Il sait que je dois en passer par là pour  » revenir « .

Les Noces rebelles marquent vos retrouvailles avec Leonardo DiCaprio, douze ans après Titanic. C’est vous qui avez eu l’idée de l’associer au projet. A-t-il été difficile à convaincre ?

Non, mais il a fallu un peu de temps. Leo et moi ne fonctionnons pas du tout de la même manière quand il s’agit de choisir nos films. Je marche à l’instinct. Lui exige une longue période de réflexion avant de s’engager. Il a donc fallu que je sois patiente, que je me retienne de l’appeler tous les jours en lui disant :  » Allez, dis oui !  » J’ai vraiment dû prendre sur moi. Une fois que Sam a accepté de mettre en scène le film, en revanche, tout s’est enchaîné très vite : Leo a signé, et deux mois plus tard le tournage commençait.

Qu’avez-vous appris de votre ami que vous ne saviez déjà ?

Rien, sinon la confirmation de l’immensité de son talent. Leo, pour moi, est vraiment le meilleur de sa génération. Sur le plateau, c’était fascinant de le voir repousser ses limites comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Je lui disais souvent :  » Leo, ce que tu viens de faire là, c’est incroyable.  » Leo et moi sommes faits de la même étoffe : nous avons commencé très jeunes, nous n’avons pas appris notre métier dans des cours de théâtre. Nous avons tourné dans un film qui a fait date…

Justement, c’est différent, la  » deuxième fois  » ?

C’est plus intense ! Sur Titanic, nous étions entourés de tout un tas d’acteurs, d’effets spéciaux, de décors monumentaux. Tandis que cette fois-ci nous étions face à nous-mêmes. J’étais d’ailleurs beaucoup plus proche de lui que de Sam sur le plateau. Si je devais masser les épaules d’un homme entre les prises, c’était plutôt celles de Leo. (Rires.)

Vous vous montrez sous un jour très glamour dans Les Noces rebelles. Cela vous ennuie que la question de votre silhouette, qui refuse l’ultramaigreur imposée par Hollywood, revienne souvent dans les interviews ?

Oui, ça m’ennuie, mais je le comprends. Depuis Titanic, je suis observée par les médias, je le sais, et je n’y attache aucune importance. Je n’ai pas suivi de régime pour être telle que je suis. Je ne me surveille pas particulièrement, je ne suis pas une accro au sport. J’ai été plantureuse, je le suis moins depuis que j’ai des enfants. Les gens semblent étonnés et croient voir là une métamorphose. Mais je ne suis pas plus glamour qu’avant. Je suis simplement plus âgée.

En quinze ans de métier, qu’avez-vous appris d’essentiel ?

J’apprends constamment. Mais la principale leçon, c’est qu’il n’y a aucune règle quand on est acteur. Il ne faut pas qu’il y en ait. Il n’y a pas une façon juste de jouer une scène, par exemple, et une autre mauvaise. Il existe une infinité d’interprétations possibles. J’ai appris aussi qu’il fallait être prêt à perdre le contrôle de soi-même. Il ne faut avoir peur de rien.

Mais cette intrépidité, vous l’avez toujours eue. Vous êtes l’une des rares actrices de votre génération à ne pas refuser la nudité, par exemple.

Oui, je crois que la peur peut vraiment, pardonnez mon langage, vous foutre en l’air. J’ai toujours cherché à dépasser la mienne.

Autre singularité dans ce milieu très policé, vous jurez beaucoup…

C’est vrai, mais de moins en moins, je vous assure. ( Rires. ) J’essaie de me maîtriser pour mes enfants, et surtout pour ma mère. Chaque fois qu’elle m’entend dire un gros mot, elle est dans tous ses états.

Plus sérieusement, vous avez été nommée cinq fois aux Oscars, en vain. Avec Le Liseur et Les Noces rebelles, on voit mal comment la précieuse statuette pourrait vous échapper cette année.

C’est si difficile de répondre… Je n’ai jamais cherché à être meilleure ou plus célèbre que qui que ce soit. Je le dis souvent à mes enfants : ce qui est important, c’est donner le meilleur de soi-même. Cela dit, c’est vrai que ces deux films comptent énormément pour moi. Deux rôles comme ça, on a une chance incroyable si on les reçoit dans une carrière. Alors, au cours de la même année ! Disons que je croise les doigts…

Propos recueillis par Géraldine Catalano

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