Styliste engagée, Katharine Hamnett s’implique aussi dans la lutte contre le sida. Avec d’autres créateurs et musiciens, comme Ziggy Marley, elle a mis son talent au service de la collection Fashion Against Aids, lancée en partenariat entre H&M et le collectif Designers Against Aids.

Les artistes ralliés à la cause ont tous créé leurs propres motifs ! Avec des slogans comme  » Use a Condom !  » ou encore  » Stop and Think « , la styliste britannique Katharine Hamnett a, elle aussi, imprimé tout son talent à la toute nouvelle collection Fashion Against Aids (lire aussi encadré page 8), lancée par H&M au niveau mondial, en empruntant le style qui est le sien : direct et sans concessions. Une philosophie de vie à laquelle elle reste fidèle depuis le début des années 1980, époque à laquelle elle a commencé à créer ses premiers tee-shirts de protestation.

Formée au prestigieux Central Saint Martins College de Londres, Katharine Hamnett s’est d’abord fait connaître par ses vêtements urbains chics qui ont fait le bonheur de stars comme Madonna, Lady Di ou encore George Michael. Un succès couronné par le titre de créateur britannique de l’année en 1984… mais qui ne lui a pas tourné la tête.

Depuis, de nombreux combats se sont succédé : de la lutte contre l’invasion soviétique en Afghanistan à la préservation de la forêt amazonienne et les baleines. Après un voyage au Mali en 2003, Katharine Hamnett décide de mener une nouvelle action en soutenant une production de vêtements éthiques et écologiques. Une philosophie de vie qu’elle a pris plaisir à nous faire partager, lors d’un entretien exclusif à Londres.

Weekend Le Vif/L’Express : Depuis vos débuts dans la mode, vous avez toujours occupé une place à part dans ce milieu. Comment vous définiriez-vous ?

Katharine Hamnett : Comme un véritable outsider. J’ai l’impression d’être tombée dans ce métier par accident, alors que je n’aurais probablement jamais dû m’y aventurer. Mais c’est aussi une véritable force. Car la création, et par ce biais, la mode, permet de véhiculer des idées très fortes. Depuis les années 1980, date à laquelle mes collections ont commencé à avoir du succès, j’utilise donc la puissance médiatique de la mode pour communiquer des messages sociaux, éthiques ou bien encore environnementaux. Aujourd’hui encore, toutes ses plates-formes sont utiles pour véhiculer un message : j’ai participé à la section  » Estetica  » lors de la dernière semaine de la mode londonienne et j’ai également pris part à la section  » So Ethic  » du salon parisien Prêt-à-Porter, qui de 20 stands en février 2006 est passé à 90 en septembre 2007.

Avec d’autres créateurs, et principalement des musiciens, vous avez participé à la création d’une collection de vêtements en partenariat avec H&M pour lutter contre le sida. Pourquoi avoir accepté ce nouveau projet ?

Vingt ans après la découverte du virus du sida, l’information à ce sujet a considérablement faibli : alors que les générations sexuellement actives dans les années 1980 avaient bénéficié d’une surinformation sur la maladie, il ne reste presque plus rien aujourd’hui du dynamisme de cette époque. Or, la moitié des personnes récemment contaminées par le virus se situent dans la tranche d’âge 15 – 24 ans. Il était donc urgent de faire quelque chose pour cette catégorie sévèrement touchée.

Selon vous, que peut apporter H&M à ce combat ?

H&M est avant tout une marque populaire très appréciée par la jeunesse. Elle possède une autorité qui lui permet d’influencer le comportement des jeunes générations. Peu importent les raisons qui se cachent derrière cette initiative : seul compte cet acte qui saura sauver des millions de gens et alerter les jeunes sur la réalité de cette maladie.

Quel langage doit-on employer pour parler aux jeunes du fléau du sida ?

Le leur bien sûr et ceci sans aucune hésitation. J’ai récemment eu l’occasion d’entendre la dernière campagne de communication contre le sida, orchestrée par le gouvernement britannique. Et j’ai le sentiment qu’elle manque complètement son objectif. Comment peut-on penser qu’avec des slogans tels que  » My condom is all yours  » (littéralement : mon préservatif est tout à toi), la jeunesse puisse être réceptive ? Bien au contraire, je penche plutôt pour des messages forts et directs. Pour la collection dessinée pour H&M, j’ai opté notamment en faveur du slogan  » Stop and Think  » (Arrête-toi et réfléchis).

Outre la lutte contre le sida, on vous voit beaucoup ces derniers temps agir sur le front du travail éthique. Quel a été votre cheminement ?

C’est un combat qui s’est fait par étapes. De 1989 à 2003, j’ai essayé de changer la mode de l’intérieur, ce qui fut un échec sur toute la ligne. De 2003 à 2007, j’ai réalisé que les consommateurs étaient davantage soucieux de l’éthique que les gouvernements et les politiciens. Les producteurs peuvent essayer de vendre tout ce qui leur plaît mais le client, lui, peut finalement s’y opposer. Enfin, en 2003, j’ai pu constater avec effroi les effets dévastateurs de la culture du coton conventionnel auprès des agriculteurs. Et là, j’ai compris que la solution passait par une production entièrement bio.

Concrètement, quelles sont les étapes de votre engagement ?

Outre la production d’une collection en propre de tee-shirts en coton bio, je chapeaute actuellement un projet en collaboration avec les Nations unies, qui consiste à attribuer aux agriculteurs une nouvelle certification. Celle-ci doit leur permettre de convertir l’ensemble de leur production de coton conventionnel à une production totalement bio. Or, pour parvenir à ce résultat, trois années sont nécessaires et, durant ce laps de temps, les agriculteurs ne peuvent se permettre de voir chuter dramatiquement leur rendement et leurs revenus. Nous espérons donc que ce projet leur permettra de ne pas être confronté à une baisse de leurs revenus pendant trois ans à la condition qu’ils convertissent leur production en bio sur une durée de cinq ans.

Avez-vous d’autres projets en chantier ?

Je travaille activement sur deux projets, dont l’un en Inde et l’autre en Egypte. Ce dernier fait partie de l’initiative Sekem, fondée en 1977 par le pharmacologue Dr Ibrahim Abouleish. L’objectif de cette association, qui tire son nom d’un hiéroglyphe signifiant vitalité tirée du soleil, est de promouvoir une agriculture entièrement biologique et totalement viable. L’expérience, qui a débuté dans une simple ferme située dans une région désertique proche du Caire, à la fin des années 1970, concerne aujourd’hui plus de 500 hectares cultivés et procure du travail à près de 700 personnes. Cette initiative, comme beaucoup d’autres, a besoin d’un surcroît de financement.

De manière générale, que pensez-vous de l’implication du monde de la mode dans le combat pour le travail éthique ?

On peut toujours faire davantage et mieux. Récemment, j’ai lu une étude très intéressante sur la perception du luxe auprès des consommateurs. Cette étude démontrait clairement que les attentes de la clientèle portaient également sur les valeurs écologiques et éthiques : on n’achète plus désormais une marque de luxe pour la qualité de ses matières et de sa découpe mais aussi pour les valeurs éthiques qu’elle apporte, tant dans le  » sourcing  » que dans le respect des droits du travail de ses salariés. Et je pense que c’est une nouvelle tendance dont les grandes marques feraient bien de s’inspirer.

Propos recueillis par Stéphanie Salti

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