En Tunisie, au nord du golfe de Gabès, le petit archipel de Kerkennah se compose principalement de deux grandes îles : Gharbi et Chergui. La profondeur des fonds marins est si faible que cet archipel ressemble à une douce et tranquille oasis posée à fleur d’eau. Une tranquillité rythmée par les saisons de pêche et les appels du muezzin retentissant à chaque moment de prière.

Au son des moteurs tournant à plein régime, le ferry s’éloigne doucement du port de Sfax. Pour effectuer les 21 kilomètres séparant le littoral tunisien de Sidi Youssef, l’extrémité ouest de Gharbi, la traversée prend à peine soixante minutes. La plupart des passagers sont des Kerkenniens de retour au pays. Sur l’étendue paisible de la mer, la brume de chaleur se dissipe lentement, laissant apparaître le port de Sidi Youssef. En arrivant ici, les voyageurs ont le sentiment de débarquer dans une véritable oasis flottante bordée d’une multitude de palmiers courbés par le vent du large. Sidi Youssef est le seul point d’accostage de Kerkennah et le passage obligé pour les voyageurs et les marchandises. Tout près du quai, les bus et taxis attendent les passagers.

L’île de Gharbi, longue de 15 kilomètres et large de 7 kilomètres est aussi appelée  » l’Occidentale « . Une seule et unique route la traverse: elle passe par le village de Mellita avant de rejoindre El Kantara (la digue en arabe), construite à l’époque romaine. Une digue permet la jonction avec Chergui, la plus importante île de tout l’archipel. Egalement appelée Grande Kerkennah ou  » l’Orientale « , Chergui s’étend sur 42 kilomètres de longueur et 8 de largeur.

Les traces de présence humaine sur ces petits bouts de terre sont très anciennes. A l’époque de la Grèce antique, les îles s’appellèrent Kyrannis. Plus tard, les Romains les nommèrent Cercina. Occupées par les Turcs, elles furent quelque peu abandonnées avant de retrouver une nouvelle prospérité au XVIIIe siècle. Durant la période contemporaine, les îles Kerkennah entrèrent à nouveau dans l’Histoire en abritant le futur premier président de la Tunisie. En effet, poursuivi et recherché par les Français en 1945, Habib Bourguiba séjourna quelque temps sur les îles avant de s’enfuir vers la Libye à bord d’un loud. Cette embarcation typique se remarque au large des côtes depuis les fenêtres des bus qui traversent les petits villages de Ouled Yaneg, Ouled Kacem avant de rejoindre Ouled Bou Ali, Remla et Kelabine.

Kelabine fut la première capitale contemporaine des îles avant de céder la place à Remla. Cette petite ville est aujourd’hui le centre névralgique de toutes les activités de l’archipel. Vous ne vous y perdrez pas: elle possède en tout et pour tout une seule et grande avenue regroupant tous les magasins utiles à la vie des insulaires. Cette voie unique est dominée par la mosquée d’où les appels à la prière rythment les journées.

A Remla, ne manquez pas le marché qui se tient chaque mercredi après-midi et jeudi matin. Epices, légumes, fruits, vêtements et vaisselle – venant pour la plupart du continent et acheminés par bateau – forment un tableau haut en couleur. En quittant la rue principale, on rejoint le littoral tout proche où l’on retrouve la mer parsemée de minuscules felouques, ces embarcations traditionnelles qui font toute la fierté des îles Kerkennah. Sur cette côte lovée au ras des flots, la pêche est l’une des industries principales. Le soir venu, il n’est pas rare de voir des felouques maniées avec dextérité par de fiers marins. Forts d’une longue expérience, ces hommes tirent des bords pour s’aventurer en haute mer et rapporter de multiples variétés de poissons.

Si l’exploitation de la mer est la première richesse des îles Kerkennah, la plate-forme littorale, exempte de hauts-fonds, a permis ici l’élaboration de techniques de pêche très particulières et uniques au monde. A l’aide de branches de palmiers plantées dans le sable, les pêcheurs confectionnent de véritables couloirs terminés par des nasses ou des filets. Le poisson qui s’y introduit, à marée descendante, se fait ainsi littéralement piéger. Ces pêcheries traditionnelles que l’on aperçoit un peu partout au large sont particulièrement remarquables à Sidi Youssef, l’endroit le moins profond de tout l’archipel. Fragiles constructions livrées aux assauts de la Méditerranée, ces nasses requièrent un entretien fréquent. Il n’est pas rare alors de croiser des hommes coupant des branches de palmiers pour réparer ces pêcheries ou en confectionner de nouvelles. Pour faciliter le travail, certains palmiers ont même été réduits à hauteur d’homme. A l’image d’une terre cultivable, ces parcelles de mer, où sont dressées les pêcheries, sont la propriété de familles depuis des années, alors que d’autres sont des concessions allouées par l’Etat pour une durée déterminée.

A Kerkennah, on pratique également la pêche à la sautade. Celle-ci s’organise en déployant de longs filets. Les pêcheurs les longent ensuite en frappant la surface de l’eau à l’aide de perches. Cette technique permet d’attirer le mulet pour l’emprisonner dans les mailles tendues. Cette méthode de pêche très spectaculaire se raréfie pourtant avec le temps mais on peut encore y assister sporadiquement. Une autre technique encore permet d’attraper les poulpes. Celle-ci s’apparente plus au piégeage et se déroule officiellement du 15 novembre au 15 mars. Durant cette période, les gargoulettes, des poteries que l’on retrouve entreposées sur les quais des ports de Kraten ou de El Attaia, s’utilisent comme piège à mollusques. La technique est simple. Déposées au fond de l’eau, ces poteries deviennent un refuge pour les poulpes qui en apprécient l’obscurité. Il ne reste plus aux pêcheurs qu’à venir cueillir l’animal piégé…

Dans la baie protégée du port de El Attaia, pêcheurs et plaisanciers se retrouvent côte à côte. Sur un littoral rogné par la mer, cette enclave discrète et peu connue a su garder tout son charme d’antan. Ici, le spectacle du va-et-vient des felouques à voile dessine un ballet bien agréable aux yeux du voyageur, tandis que sur le bord de mer des hommes s’affairent à nettoyer ou à repeindre la coque vermoulue d’une embarcation, pendant que d’autres réparent les filets abîmés par les dauphins. Ailleurs, quelques adolescents épaulent, qui un père, qui un oncle. Ici, les jeunes pêcheurs se font rares. Le vieil adage qui faisait des Kerkenniens des pêcheurs de père en fils ne se vérifie plus aujourd’hui. Le métier, trop dur et ne rapportant plus assez, a fait que les hommes préfèrent désormais aller travailler sur le continent. A quelques encablures du vieux port de El Attaia, une terre surgit : il s’agit de l’île de Gremdi. Jadis, on y trouvait les seuls chameaux de l’archipel. Aujourd’hui, elle est aussi déserte que Erroumadia ou Chamardia, de minuscules îles situées au large de Chergui. Quittant le port d’El Attaia, il faut reprendre la route descendant vers Remla, longer la grande sebkha, cette étendue semi-désertique brûlée l’été et en partie inondée l’hiver par la mer, et poursuivre en direction de Ouled Yaneg. La zone de Sidi Frej, au sud-est de Chergui, concentre tous les grands hôtels de l’île. C’est également là, que l’on trouve les plus belles plages de Kerkennah. Les fonds descendent plus bas de quelques centimètres, assez pour se baigner à la belle saison jusqu’au nombril! Deux kilomètres plus loin, le site archéologique de Bordj el-Hissar, qui se dresse au sommet de l’un des points les plus hauts de l’île, révèle une présence humaine près de 5 000 ans avant notre ère. Ici, de nombreux vestiges phéniciens, carthaginois ou romains témoignent d’une vie intense. Par temps clair, on peut, paraît-il, voir Sfax. Au-delà du site, la campagne reprend ses droits avec ses pieds de vignes et des oliveraies qui s’étendent à perte de vue. Si le bordj fait partie des curiosités insulaires à visiter, il faut également découvrir la très vieille tour de Mellita. Aucune carte touristique et aucun guide ne mentionnent son existence. Pour rejoindre cette tour d’origine ottomane, haute d’une quarantaine de mètres, il faut demander son chemin à un habitant de Mellita. A environ 3 kilomètres du village, la tour se dresse en pleine campagne à quelques centaines de mètres d’une plage déserte. Au large, des pêcheries émergent du sable avec ses felouques couchées à sec. La plage de sable blanc de Sidi Founkral, parfois parsemée de felouques posées sur le sable, avec ses couleurs des mers du sud, plantée de palmiers, s’étire sous le scintillement du soleil et se prête à merveille à de longues promenades.

François-Xavier Béchard

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