Dix ans après avoir tourné sa première campagne pour la maison Chanel, le réalisateur australien retrouve la femme N°5. Il signe pour elle une ode à la vie rêvée de toutes celles qui croient au pouvoir du coeur avec un grand C.

Quand on y pense, ce serait quoi l’amour, finalement ? Les élans magiques et fantasmés des premiers instants où l’on n’a l’autre pour seul horizon ? L’incertitude fébrile qui nous ronge les tripes lorsque le doute s’installe, à tort ou à raison ? Ou l’évidence tranquille d’une passion apaisée qui nous rend fort autant qu’elle nous sublime au risque de nous éloigner, un peu trop parfois, du centre de gravité de notre histoire commune ? Au cinéma, Baz Luhrmann est passé maître dans l’art de raconter l’émotion des débuts et les drames qui déchirent l’âme à jamais – Roméo + Juliette, Gatsby le Magnifique… Une fois n’est pas coutume, pour Chanel l’Australien a cédé à la tentation du pitch qui finit bien. Il y a dix ans, pourtant, lorsqu’il signe sa toute première campagne pour la griffe, son héroïne – incarnée par Nicole Kidman avec laquelle il vient de terminer le tournage de Moulin Rouge – tombée sous le charme d’un bel inconnu referme la parenthèse enchantée pour reprendre le chemin pavé d’obligations de sa vie de star.

Invité à proposer une nouvelle vision de la femme N°5, représentée cette fois par Gisele Bündchen, le cinéaste dandy n’a qu’un mot à la bouche : paradoxes.  » Ceux auxquels sont confrontés toutes les femmes d’aujourd’hui, qui veulent mener de front une carrière excitante, une vie de mère et une histoire d’amour intense, détaille-t-il au tout petit groupe de journalistes conviés à découvrir le spot en sa présence dans le confort feutré d’une salle de projection privée. Ceux qui ont jalonné toute la vie de Coco Chanel, aussi.  » Lorsqu’on le retrouve le lendemain après-midi pour un échange privilégié, il nous attend, vêtu d’un jeans parfaitement coupé, d’un tee-shirt blanc et d’une veste de tweed – on est chez Chanel quand même – dans les salons privés de la boutique de haute joaillerie de la place Vendôme.  » La question de fond que nous nous posons tous reste toujours la même, insiste-t-il. Pouvons-nous tout avoir ? Gagner sur tous les tableaux ? En apparence oui. Mais la réalité est bien plus nuancée. Réussir sa vie de couple, c’est un sacré travail. J’en sais quelque chose. S’il vous manque l’amour, vous vous retrouvez sans rien.  »

A l’écran, le regard que s’échangent Gisele et son partenaire – l’acteur néerlandais Michiel Huisman, révélé par la série Game of Thrones – alors qu’elle est partie en mer, seule avec sa planche de surf et qu’il dépose une lettre (d’adieu ?) sur un guéridon, pourrait bien être le dernier. Il y a quelque chose de Gatsby dans la tristesse qui semble les habiter même si la référence est plus subliminale qu’affichée.  » C’est vrai que je suis tellement et longtemps absorbé par les projets sur lesquels je travaille qu’il y a forcément des débordements, des similitudes « , reconnaît le cinéaste. La fin, heureusement, sera moins tragique. Un peu comme si Daisy avait choisi cette fois le bonheur à tout prix. Explications.

C’est la deuxième fois seulement dans votre carrière que vous acceptez de réaliser une campagne et c’est pour le même produit. Qu’est-ce qui vous a donné envie de (re)travailler pour Chanel ?

Peut-être déjà parce que je ne considère pas N°5 comme un produit, justement. Il est devenu au fil du temps le symbole même de cette maison. Moi qui ne me souviens jamais des dates, je n’ai jamais oublié le jour où l’on m’a contacté pour réaliser la première campagne. Ma fille chérie Lilly était née six semaines plus tôt : elle a pris l’avion pour Londres avec CM (NDLR : c’est ainsi que Baz surnomme sa femme, Catherine Martin, qui est la costumière de tous ses films) qui devait y retrouver Karl Lagerfeld et Nicole Kidman pour les premiers essayages, que je suivais via Skype depuis l’Australie ! Quand l’équipe Chanel m’a demandé de collaborer une nouvelle fois avec eux, je ne me suis posé qu’une seule question : quelle pourrait être la différence entre la femme N°5 d’alors et celle d’aujourd’hui ?

Vous montrez ici une histoire d’amour au bord de l’implosion, comme engluée dans le quotidien aussi sublime qu’il soit…

Parce que je crois vraiment que c’est l’un des enjeux actuels et pas seulement pour les femmes. Lorsque vous arrivez à un certain moment de votre vie, vous voulez tout : être quelqu’un, exister par votre carrière, laisser une trace. Mais vous aspirez également à vivre pleinement votre relation amoureuse. Si en plus vous avez des enfants, comment faites-vous pour dégager du temps pour vous ? Il ne suffit pas de trouver l’amour, il faut le maintenir en vie. C’est exactement le contraire de ce que j’ai raconté il y a dix ans. Là, Nicole sacrifiait sa passion naissante à sa carrière. Les temps ont changé : la culture, le socio-politique, la technologie, tout cela s’entrechoque comme des plaques tectoniques en permanence !

On aurait donc encore plus besoin d’amour pour résister à tout cela ?

Oui, mais la fantaisie amoureuse ne suffit pas. Nous avons besoin d’authenticité et de stabilité. Et c’est cet équilibre qui est difficile à trouver. Il faut toujours lutter. On ne peut jamais se dire :  » ok, c’est bon, je le tiens là « . Parfois il faut savoir s’arrêter et recalibrer. Sinon on se laisse emporter, écraser même, par sa vie. Mais tant qu’il y a de l’amour sincère et qu’on se bat pour lui, rien n’est perdu. Le message derrière tout cela, c’est de ne jamais oublier de faire l’effort.

Lorsque vous avez tourné le spot, vous êtes-vous dit que le personnage joué par Gisele pourrait être un version moderne de Daisy ? Une Daisy indépendante qui aurait fait le choix de vivre avec Gatsby ?

Il n’y a pas de référence explicite mais l’essence de Gatsby transparait aussi dans cette histoire. L’opposition entre romantisme et réalité. Gatsby est intrinsèquement un romantique fantastique. Alors que Daisy vit dans la vraie vie ; elle aime visiter la romance, mais c’est tout. La maison qu’ils habiteraient aujourd’hui ne ressemblerait plus du tout à un château digne du Ritz, ce serait sans doute une villa contemporaine magnifique, comme celle dans laquelle nous avons tourné et qui se trouve également sur la côte Est des Etats-Unis…

Justement, pourquoi avoir choisi New York et pas Paris pour parler du N°5 ?

A l’origine, je souhaitais tourner à Paris. Ce qui a changé la donne, c’est la scène de surf du début. Je voulais partir d’une image improbable, très physique, très sportive que l’on n’associerait jamais à celle d’un parfum féminin. J’avais envie de montrer Gisele sans maquillage car c’est comme cela qu’elle est la plus belle. Son corps est son outil de travail, elle l’utilise de manière tellement puissante. J’ai d’abord visité des maisons près de Biarritz, en Espagne et au Portugal. Mais il était essentiel pour moi que le lieu de vie de ce couple soit proche d’une métropole. Et par proche je veux dire en voiture, pas en jet. Finalement, nous avons trouvé cette maison exquise à un jet de pierre du Queensboro Bridge, qu’elle traverse d’ailleurs en voiture pour retrouver son mari dans le club le plus glamour du monde…

Vous jouez dans le spot le rôle du photographe que Gisele abandonne pour retrouver son mari. Là encore, ce n’est pas votre premier caméo…

En effet, je jouais déjà le  » méchant  » qui forçait Nicole Kidman à retourner dans le droit chemin (rire) ! Dans Gatsby également, je fais une brève apparition de cinq secondes mais, je l’avoue, il s’agissait là plutôt d’une nécessité dictée par les impératifs de tournage. Nous étions en retard, c’était plus simple dans ces conditions de me diriger moi-même, ce que je n’aime pas trop d’ordinaire car je préfère me concentrer sur ce qui se passe sur le plateau. Dans le cas de la nouvelle campagne, c’est Gisele qui m’a suggéré de le faire car je prends des photos tout le temps de toute façon ! C’était amusant mais je ne suis pas un très bon acteur, je surjoue beaucoup ! Par contre, quand il a fallu habiller ce photographe, le budget costume était épuisé, pas de veste Chanel pour lui (rire) !

Quel est votre rapport à la mode ?

J’aime les vêtements, je les choisis toujours moi-même, j’ai mon esthétique personnelle. En ce qui concerne la maison Chanel, c’est surtout le destin de Coco qui me fascine. C’est une icône du XXe siècle. A mes yeux, tout ce qui porte un double C aujourd’hui est mythologique. Pour le spot, nous avons travaillé avec Karl Lagerfeld, qui a créé des tenues pour nous, notamment la combinaison de surf – l’idée du 5 dans le dos qui finit par revenir tout le temps comme un talisman, c’est lui… – et son bras droit Virginie Viard. CM a eu accès en primeur aux pièces de la collection croisière Paris-Dubaï. Pour habiller le reste du casting, comme pour les décors, nous avons essayé de nous mettre dans une perspective Chanel : les figurants dans le club sont monochromatiques, le chanteur porte un costume noir et blanc avec un camélia à la boutonnière, ce qui donne un certain sens du chic et de la mesure.

Dans vos films, la musique tient un rôle majeur. Qu’est-ce qui a motivé le choix plutôt osé du titre You’re the One That I Want de Grease comme bande son ?

Rien ne me fait peur depuis que j’ai fait interpréter Your Song d’Elton John en version opéra par Ewan McGregor dans Moulin Rouge ! Je recherchais un jeune artiste pour tenir le rôle du chanteur. J’aime l’idée de dérouiller un air dont on se croit fatigué. Lo-Fang – Matthew Hemerlein de son vrai nom – a fait les arrangements et joue de tous les instruments. Il travaillait sur cette chanson de Grease quand je l’ai rencontré. En changeant le rythme, il en a modifié l’intention.

Il y est question d’honnêteté, vis-à-vis de soi-même surtout. Est-ce difficile d’y parvenir en tant qu’artiste ?

Dans mon travail comme dans ma vie, je ne peux pas jurer que j’y parviens toujours, mais j’essaie ! Le processus créatif est par essence toujours chahuté par des courants intenses. Cette quête d’honnêteté, c’est lourd à porter, on en perd le sommeil parfois. J’ai la chance d’être entouré de collaborateurs intelligents qui ont eux aussi de fortes visions créatives. Mais au final, comme on dit dans le métier, c’est moi qui suit assis dans la chaise du réalisateur. Et je n’ai pas peur de faire des erreurs tant que ce sont les miennes.

Lorsque vous tournez un spot comme celui-ci, en quoi est-ce différent de ce que vous faites d’habitude ?

C’est seulement la deuxième fois dans ma carrière que cela m’arrive, et dans un contexte très particulier. Je vois d’ailleurs ces campagnes comme des trailers de films que j’aurais pu ou que je pourrais tourner. Je respecte le travail des réalisateurs de pub mais je ne suis pas certain que je serais très bon là-dedans. Il faut être très court, très sélectif. Lorsqu’on bosse dans la pub, il faut être capable de réagir au quart de tour. Mais comme on travaille dans ce type de job avec des équipes différentes, on apprend énormément de choses, notamment en matières d’effets spéciaux.

La femme N°5 est une femme accomplie. Avez-vous plus d’empathie pour elle que pour une plus jeune fille ?

Les femmes que je connais sont complexes et mènent des vies compliquées. J’ai toujours aimé les personnages féminins forts, quel que soit leur âge. Je tournerai volontiers encore avec de jeunes acteurs mais le sujet doit être profond, engageant. Ici, c’est la même chose ! Je ne fais jamais les choses à moitié. Je n’accepte un projet que s’il m’intéresse vraiment. Avant moi, d’autres grands réalisateurs ont raconté l’histoire du N°5. Comme je vous l’ai dit, c’est un symbole.

PAR ISABELLE WILLOT

 » Tant qu’il y a de l’amour sincère et qu’on se bat pour lui, rien n’est perdu. « 

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