Neiges éternelles, désert, maquis denses et canyons extravagants : caché entre le Pays Basque et la Catalogne, l’Aragon regorge de paysages totalement antagonistes. On s’y perd parfois un peu… Mais on ne s’en lasse jamais !

L’exposition internationale Zaragoza 2008 a laissé en héritage une ville totalement métamorphosée. Larges boulevards, jardins, bâtiments et ponts avant-gardistes… Mais lorsque la nuit tombe sur Saragosse, les regards se portent immanquablement vers le centre historique tout illuminé. A commencer par le pont de Pierre, qui enjambe le cours paresseux de l’Ebre. A quelques pas de là, la basilique de Nuestra Señora del Pilar achève de nous convaincre que le lieu est un must. Ce géant de 130 mètres de longueur, constamment agrandi au cours des siècles, est couronné par pas moins de onze coupoles et quatre tours ! Son dessin si particulier est issu du mariage maure et chrétien, devenu style mudéjar, qui a engendré quelques merveilles.

Saragosse est une ville qui bouge toute l’année. Ce soir-là, c’est un marché médiéval qui a envahi les rues du centre : produits traditionnels, ménestrels et joutes rappellent un pan de l’histoire métissée de cette province. Mais rien à voir, paraît-il, avec la foule de plus de 100 000 personnes qui déambule lors des processions de la Semaine Sainte. Ou durant les fêtes du Pilar, en octobre.

UN DOUX PARFUM D’ORIENT

L’Aragon fut l’une des bases principales de la reconquête chrétienne sur les Arabes. De cette époque confuse, les deux civilisations nous ont transmis une foule de bâtiments médiévaux : châteaux, villes et villages fortifiés, monastères, églises et chapelles romanes, pour certaines édifiées dans les vallées les plus reculées des Pyrénées. L’un des plus beaux exemples de ce mélange des genres, à 120 km au nord de Saragosse, est le village d’Alquézar, une altière citadelle maure surplombant le rio Vero. Tapie sur les contreforts de la Sierra de Guara, cette dernière joua longtemps le rôle de verrou stratégique et de poste d’observation sur la plaine de Barbastro et Huesca, à la frontière septentrionale avec les comtés chrétiens de Sobrarbe. Repris définitivement aux Maures vers 1067, Al-Qasr (la forteresse en arabe) devint Alquézar. Sur les ruines du château arabe, les Chrétiens bâtirent une église fortifiée et un cloître, mais la place forte perdra de son importance avec la montée en puissance des châteaux de Loarre et Montearagon.

Tant le site qu’occupe la bourgade que l’ambiance de ses ruelles et la couleur miel de ses constructions de pierre font que l’on s’y sent bien. Ses remparts crénelés, flirtant avec le vide, semblent avoir poussé à même le roc et l’église monumentale qui occupe la partie supérieure de ce nid d’aigle paraît flotter en lévitation. Des escadrilles de vautours fauves survolent fréquemment les hautes parois de calcaire rouge. Alquézar est aujourd’hui l’un des plus beaux villages d’Espagne. C’est paradoxalement la pauvreté de ses habitants qui en fait la relative richesse. Sans argent, pas de nouvelles constructions ni de dommages urbanistiques comme sur le littoral.

AU PAYS DU SILENCE

On vient aussi ici pour s’adonner au canyoning et dévaler les rios aux eaux translucides de la région. Car la Sierra de Guara, plissée, creusée et rabotée par des torrents sauvages qui déboulent de la montagne, est véritablement truffée de canyons. Un univers minéral devenu tableau naturel : partout, des arches, des aiguilles, des citadelles naturelles, de différentes couleurs, que l’on parcourt équipé d’un casque, d’une combinaison Néoprène, d’un baudrier et de cordes. Avec Luis, notre guide, nous décidons de faire celui du Val d’Hospital, particulièrement varié puisqu’il alterne des passages où l’on marche, d’autres où l’on nage et surtout de beaux plongeons. Lors des descentes en rappel dans les cascades, la fraîcheur de l’eau tranche agréablement avec la chaleur de l’air ambiant et donne envie de se laisser flotter dans les bassins naturels aux eaux claires…

Le lendemain, nous testons un autre parcours, dans un canyon sec, celui de Basender, qui débouche dans le rio Vero. Une variante souvent plus technique, en raison des passages d’escalade fréquents et très raides, mais qui, en revanche, peut se pratiquer en toute saison. En de nombreux endroits le long des falaises, on distingue des grottes et des cavités. La région compte un nombre incalculable de sites rupestres, comme celui du Tozal de Mallata, classé par l’Unesco. Pour la plupart des motifs très synthétiques et schématiques, rouges, qui figurent des scènes pastorales, de chasse ou rituelles.

Mais cette sierra a beau être photogénique, le relief y impose une vie difficile. La population ne dépasse plus les 2 ou 3 habitants par km2. Certaines zones sont aujourd’hui quasi désertes de toute présence humaine. Hormis deux ou trois villages récemment réhabilités, les autres sont devenus la propriété d’un Etat qui les laisse sciemment à l’abandon. Etrange atmosphère qui invite à la balade sans fin à travers le maquis noyé de fleurs, parfois survolé d’un vautour fauve ou d’un rare gypaète barbu.

LE TOUR DU MONDE DES ROCHERS

L’Aragon est un pays très minéral. En certains endroits, les formations rocheuses font penser à l’Alta Rocca, en Corse, ou aux vallées riantes d’Autriche, d’autres à l’Ouest américain comme le désert des Bardenas Reales, à cheval entre l’Aragon et la Navarre. Ou encore à l’Atlas marocain, comme ces étranges  » mallos  » que l’on distingue de très loin en approchant du village de Riglos, sur les rives du rio Gallego. Ces versants abrupts de poudingue rouge-ocre montent vers le ciel tels de gros cigares et font le bonheur des grimpeurs qui aiment se risquer sur une roche friable. Luis conseille plutôt de rejoindre les Pyrénées et le parc naturel des Vallées Occidentales. Il y a tracé quelques magnifiques vias ferratas et nous propose d’en tester une : Artica Lena. Une voie qui démarre en fanfare, avec une paroi parfaitement lisse et verticale de quelques dizaines de mètres de hauteur. Ne pas regarder derrière soi et grimper sans réfléchir ! De toute façon, au moindre faux pas, on est assuré grâce au câble qui longe la voie. Le vent se met à souffler mais heureusement, les rochers deviennent ensuite moins raides. Il reste alors 300 mètres de dénivelé à franchir avant de déboucher sur le sommet et, enfin, redescendre tranquillement par les alpages.

Des zones protégées, l’Aragon n’en manque décidément pas : outre le parc des Vallées Occidentales qui abrite une des dernières forêts atlantiques mais aussi quelques ours, il y a tout à l’est le nouveau parc de Posets-Aneto, voisin de celui d’Ordesa et du Mont Perdu, précurseur délimité en 1918. Classé au patrimoine mondial par l’Unesco, il bénéficie d’un statut privilégié : hormis la randonnée et l’escalade, toute autre activité y est proscrite. Une juste protection pour un autre cas particulier propre à l’Aragon : ici, les vallées courent d’est en ouest et non du nord au sud comme ailleurs dans les Pyrénées. Ce qui influence le climat mais aussi la flore et la faune. Accrochez-vous, l’Aragon ne cessera de vous étonner !

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

Etrange atmosphère qui invite à la balade sans fin à travers le maquis noyé de fleurs…

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