Barbara Witkowska Journaliste

Ils nous enveloppent d’un halo rond, indéfinissable, parfois abstrait. Pourtant, les parfums ne sont pas le fruit de choix hasardeux, mais sont bâtis selon des structures bien précises. Etat des lieux.

Le parfum est une construction en forme de pyramide. Au sommet, on trouve les notes de tête. Elles génèrent la première impression olfactive, perçue en débouchant le flacon. But ? Accrocher l’attention, séduire. Cette impression est fugace, étant donné le caractère volatil des matières premières utilisées : agrumes et notes aromatiques. Ensuite, au milieu de la pyramide, entrent en jeu les notes de coeur, composées de matières premières de ténacité moyenne, à savoir des notes fleuries, fruitées ou vertes. C’est en ce moment que le parfum se développe, s’enrichit. Les notes de fond constituent la phase finale. Elles persistent après l’évaporation des notes de coeur, car leurs composants boisés sont d’une grande ténacité. Les notes de fond retiennent le souvenir, donnent véritablement l’âme du parfum.

 » Cette pyramide olfactive avait pour but d’orienter la consommatrice dans son choix, explique Jean-Marie Martin Hattemberg, expert indépendant Art et Patrimoine de la parfumerie, à Paris. Cela dit, cette technique de la pyramide n’est pas bien comprise et finira, sans doute, par disparaître. On s’est rendu compte, en effet, que la consommatrice, peu ou rarement éduquée dans ce domaine, ne réagit que sur une seule matière. Par exemple, « ce parfum sent la rose, évoque la rose, il me plaît, tant sur le plan physique que psychique ». Cette affirmation ne peut être soustendue que par une référence intime, mentale ou sentimentale de la personne, référence présente dans son passé olfactif : l’odeur de la mère, l’odeur de la maison ou du jardin. « 

La pyramide, trop structurée, a  » volé en éclats « , pour la première fois, chez Christian Dior. Dolce Vita, créé en 1995 par Pierre Bourdon de Fragrances Resources, est le premier parfum  » à facettes « . Des épices (cannelle, girofle, cardamome), des bois précieux (bois de rose, santal et cèdre), des fleurs délicates (lys et magnolia) créent de nouvelles harmonies et flottent sur la peau dans un mouvement sensuel et généreux. Petit à petit, cette création audacieuse a fait des émules. La nouvelle tendance consiste à composer des parfums concentriques qui tournent, évoluent, virevoltent sur eux-mêmes autour d’un noyau.

Quelques exemples ? Birmane, le dernier-né du joaillier Van Cleef & Arpels est construit à partir de neuf facettes olfactives (le kumquat, le lys pourpre, le freesia, la rose blanche, le musc blanc, le cèdre du Liban, la fève tonka, le jasmin et la pêche de vigne), composant trois accords majeurs : hespéridé, floral et boisé. Ces facettes sont si subtilement imbriquées que l’architecture de la composition s’efface totalement pour faire naître des ondes voluptueuses d’équilibre et d’harmonie. Mauboussin, le célèbre joaillier de la place Vendôme à Paris, a taillé son premier parfum comme une pierre précieuse, dont les facettes fruitées, florales et boisées renvoient à l’infini leurs émotions douces, caressantes et un brin insolentes. Fragile de Jean Paul Gaultier est construit comme un kaléidoscope olfactif où bois, épices et fruits s’enroulent à l’infini autour d’une seule fleur, le  » noyau  » : la tubéreuse. Ultraviolet de Paco Rabanne rompt également avec les codes de la parfumerie traditionnelle et propose une nouvelle écriture olfactive, composée autour d’une fleur délicate : l’osmanthus du Japon ou Kinmokusei. Veloutée et charnelle, son odeur rappelle celle de l’abricot. Pour  » étoffer  » sa profondeur et faire vibrer sa subtilité, trois notes l’épaulent : le piment frais, l’ambre et la vanille. Sans oublier le dernier-né de cette nouvelle génération de parfums : Nu de Yves Saint Laurent, orchestré par Tom Ford. Au centre, de l’absolue d’encens, concentré à 20 %. Tout autour, un mouvement ondoyant de senteurs boisées et épicées et la note florale d’orchidée sauvage. Un flacon, sculptural et parfait, reflète admirablement cette fluidité circulaire.  » A l’avenir, les parfumeurs auront une démarche beaucoup plus aérienne, moins prisonnière des carcans, souligne Jean-Marie Martin-Hattemberg. Le noyau central, tel un repère, servira à amplifier tout ce qu’il y a autour? Le parfum s’approchera, ainsi, de plus en plus, de l’art culinaire. « 

Les familles olfactives

Le parfum demeure une construction. Elle s’inscrit au coeur d’un paysage, constitué par les  » familles olfactives « , des orientaux, ou des chypres, des floraux ou des fruités. Cela dit, qui a eu l’idée de déterminer ces différentes familles, et pourquoi ?  » La première classification a été réalisée à la fin des années 1970 et au début des années 1980 par Peter Wörmer de Haarman & Reimer, société fabricante et négociante de matières premières pour la parfumerie, basée à Hambourg, précise Jean-Marie Martin-Hattemberg. Wörmer a eu l’idée de faire un état des lieux olfactifs de la profession. Présenté comme un tableau généalogique, il fait l’inventaire structuré et chronologique de tous les parfums.  » Trois grandes familles, subdivisées en sous-familles, se partagent ainsi l’espace olfactif : les floraux, les orientaux et les chypres.

La famille des floraux, la plus importante, réunit des parfums qui déclinent le thème d’une ou de plusieurs fleurs. Ce sont des fragrances qui ne s’imposent pas, laissent un sillage moyen et impressionniste. La famille des floraux réunit plusieurs sous-familles : Vert, Fruité, Frais, Aldéhydes et Suave. Vent Vert de Pierre Balmain illustre le mieux les floraux verts. Il a été créé, en 1945, par Germaine Cellier, la première femme parfumeur, et séduit toujours. Quartz de Molyneux est un beau floral fruité. Parmi les floraux frais, citons Joy de Patou, le  » parfum le plus cher du monde « . Il y a aussi les floraux aldéhydes. Rappelons que les aldéhydes sont des corps synthétiques puissants qui donnent aux composants une note particulièrement vive et aiguë. Ils ont été utilisés pour la première fois dans Chanel N° 5, ce  » bouquet de fleurs abstrait  » incontournable et indémodable. Enfin, Boucheron, le premier parfum-bijou, présenté dans un écrin en forme de bague et créé en 1988, est un floral suave où s’épanouissent l’ylang-ylang, le jasmin et la tubéreuse.

La famille des orientaux regroupe des compositions aux accords doux, poudrés, vanillés et aux notes animales très marquées. Il y a des orientaux suaves et épicés. Dans la première catégorie s’inscrit, bien entendu, Shalimar de Guerlain, d’une volupté inimitable, sans oublier Must de Cartier, raffiné et très sensuel. Opium de Yves Saint Laurent, avec son bouquet d’épices, de piments et d’excès orientaux, est, lui, un digne ambassadeur de l’oriental épicé.

Le nom de la famille des chypres est dû au parfum du même nom que François Coty a lancé en 1917. Son succès est né sur des accords de mousse de chêne, de ciste labdanum, de patchouli et de bergamote. Au fil des ans, la famille s’est enrichie de plusieurs sous-familles. Femme de Rochas, sorti en 1944, est un chypre fruité qui associe magnifiquement le jasmin et les notes prune sur fond de mousse de chêne. Miss Dior, le chypre animalisée, est le premier parfum du new-look et la première création de Monsieur Dior. Parmi les chypres floraux, deux grands classiques, aujourd’hui quasiment disparus, se partagent la vedette : Ma Griffe De Carven et Azzaro. Le chypre frais réunit Chypre de François Coty, ainsi que Mitsouko de Guerlain, créé en 1919. Dans la sous-famille des chypres verts, on retrouve Y de Yves Saint Laurent et Givenchy III, le parfum couture par excellence. Mandarine, muguet, rose, jasmin et mousse de chêne expriment admirablement la séduction élégante.

Barbara Witkowska

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