De la classe, du cran et du chic, Anne-Valérie Hash n’en manque guère. Des belles idées au business, voici le parcours d’une demoiselle qui a du fil dans les idées.

Des yeux de chat dans un visage presque poupin, deux mèches blanches artistiquement semées sur une chevelure de jais, Anne-Valérie Hash sait, comme personne, user de l’art des contraires. Et pourtant, sa façon d’envisager la mode suit une logique qui aurait défrisé même la barbe d’Aristote.  » Pour moi, le vêtement possède sa propre histoire; une histoire calquée sur celle des femmes qui le portent, déclare Anne-Valérie Hash. La femme à laquelle je songe et pour laquelle je crée est résolument contemporaine. Rien à voir avec les bimbos. Sa séduction, puissante au demeurant, est plutôt cérébrale; c’est celle d’une femme avocat, médecin, journaliste, architecte ou engagée dans la carrière politique. Constamment confrontée à un monde d’hommes, elle s’approprie les codes de la garde-robe masculine tout en les mesurant à l’aune de sa féminité « .

Troquant sans accroc le stylo contre l’aiguille, Anne-Valérie,  » narratrice  » au style affirmé, repense, renverse, inverse et bouleverse le vêtement d’homme. Et de ce chaos judicieusement contrôlé surgissent des créations à la fois originales et originelles.  » Pour ma collection 01-02, j’ai imaginé une gamine de 8 à 10 ans, une fonceuse, un vrai p’tit mec, qui s’amuse à enfiler les habits de son père tout en étant, déjà, parfaitement consciente de sa féminité.  » Des mots à la matière, la jeune créatrice ne perd pas le fil de son discours: sa collection, articulée autour du noir, du marine, du blanc et de l’écru, est uniquement réalisée avec des tissus masculins comme le coton, la popeline de coton, le cool wool, etc.  » C’est une ligne d’entrée de saison: j’ai remarqué que le plein été se vend moins bien et puis, les femmes, sous nos latitudes, évoluent avec le même type de vêtement de décembre à mars et même, parfois, jusqu’en mai. « 

A épingler, un pantalon retravaillé en robe avec ou sans manches ( NDLR: ce sont les poches dudit pantalon qui constituent ces manches d’un genre nouveau) ou en petit manteau droit. Des vestes de costume muées en vaste cabas, des blousons courts en jean blanc conçus eux aussi à partir d’un pantalon, ou encore des guêtres de gentleman anglais qui deviennent volontiers des mitaines… Bref, une série de modèles et d’accessoires aussi sobres que réfléchis, où l’élégance hésite entre la sincérité et une ambiguïté délicieuse. Le titre,  » La Couture est-ailleurs/Fille-Mâle « , dont elle a baptisé cette collection, possède à son tour un double sens. Primo, il célèbre un  » ailleurs  » de la haute couture car cet art, désormais plongé dans la réalité du quotidien, n’est plus à la théâtralisation de la femme. Secundo, en plébiscitant le  » tailleur  » d’homme, il rappelle les sources d’inspiration de la créatrice.

 » Cette fillette qui farfouille dans les tiroirs de son paternel, c’est un peu moi, avoue Anne-Valérie Hash. Je nourris d’ailleurs une grande admiration envers mon père, un battant comme on en voit rarement. A tel point que ma soeur et moi affichons des tempéraments d’homme. J’entreprends mon travail avec une énergie toute masculine – la création vestimentaire reste globalement une affaire de mecs -, et en même temps, je me sens terriblement femme. La preuve, c’est que malgré la passion que j’éprouve vis-à-vis de ce métier, je tiens à fonder tôt ou tard une famille. Sinon j’aurais l’impression d’avoir loupé quelque chose de capital dans ma vie. Je sais que les vêtements sont comme des bébés que l’on voit grandir, évoluer… Mais ils ne remplacent pas les vrais enfants. « 

Patience et passion

Fana de Yohji Yamamoto et de Martin Margiela,  » parce qu’ils créent pour une femme libre et leur vision me plaît « , Anne-Valérie préfère, pour donner naissance à ses vêtements, l’émotion et le geste manuel à la feuille et au crayon.  » Je fais du prêt-à-porter de luxe, doté d’une valeur artisanale ajoutée. Chaque détail, chaque finition est réalisée à la main. J’effectue aussi une recherche approfondie au niveau de la coupe. C’est un travail de longue haleine qui  » colle  » mal avec la frénésie inhérente aux défilés de prêt-à-porter. Voilà pourquoi j’ai choisi de présenter ma collection durant la semaine dévolue à la haute couture. « 

Notons également que cette période-là est plus propice aux jeunes stylistes désireux de susciter un intérêt médiatique réel. Tous les  » néo-couturiers  » tombent d’accord là-dessus: présenter son oeuvre lors des défilés de la haute couture est plus valorisant et moins onéreux.  » Ma première collection remonte à l’hiver 2000 et si j’avais choisi le créneau du prêt-à-porter pour la mettre en scène, il m’aurait fallu cinq ans minimum avant de commencer à me faire un nom.  » Du coup, Anne-Valérie est déjà visible à Paris notamment, dans des boutiques pointues telles que Onward et l’espace  » Labo des Créateurs  » des Galeries Lafayette aux côtés de Jean-Paul Knott et Alexandre Mathieu. Sur le plan international, la SARL. A.V.H., estampillée aux initiales de la jeune femme, ne se défend pas mal non plus: Brown Focus à Londres, Joyce à Hongkong, Henry Bendell à New York, Matsuya au Japon… Rien que du beau linge.

 » Quand j’ai débuté ma propre ligne, je n’ai pas tiré de plan sur la comète. Je me suis dit, ma fille, ce sera peut-être ton premier et ultime défilé! Au niveau financier, c’est très dur et moi, je possède une minuscule structure. Je n’ai pas de puissant  » parrain  » comme le groupe LVMH ou la milliardaire saoudienne Mouna Ayoub et je présente mes créations en  » off  » ( NDLR: les défilés  » off  » se déroulent en dehors du calendrier officiel émis par la Chambre syndicale de la couture et du prêt-à-porter de Paris) en attendant de devenir un membre invité par la Chambre.  » Pleine de ressources et têtue comme tout vrai Capricorne, Anne-Valérie réalise, afin de mettre un peu de beurre dans ses épinards, des robes de mariée et de cocktail pour une clientèle privée.  » Je tiens aussi le coup parce que plusieurs personnes m’ont fait confiance: mes fabricants à Paris qui ne râlent pas si je les rémunère en retard, le bureau de presse Cristofoli Press qui a vu à quoi ressemblaient mes vêtements dix jours seulement avant le défilé ( NDLR: en fait une expo de photos géantes en noir et blanc installée au musée Galliera), le top model célèbre qui a accepté de poser gratuitement, le génial photographe Angelo Di Battista qui a mis en images ma collection… Parce que s’il fallait tirer son plan avec les bourses accordées aux jeunes talents français, on n’irait pas loin, vous pouvez me croire!  »

Née à Paris voici trente ans, Anne-Valérie doit, entre autres, son franc-parler aux origines des siens: ses parents et grands-parents sont du côté de Meknès, au Maroc.  » Si je n’avais opté pour le job de styliste, j’aurais certainement craqué pour la cuisine: j’adore mitonner des recettes inédites où les saveurs orientales, asiatiques et occidentales se rencontrent. Tiens, l’art culinaire, encore une profession où les femmes ne sont pas légion! « 

L’attrait de la mode l’emporte toutefois sur celui des mets et Anne-Valérie suit une formation idoine, de 1992 à 1995, à la Chambre syndicale de la couture et du prêt-à-porter de Paris. Ensuite, cap sur Philadelphie, aux Etats-Unis, où elle étudie l’histoire de l’art, la psychologie et la sociologie, une discipline qui lui est particulièrement chère.  » Je sortais de trois années d’apprentissage technique pur et dur – excellent au demeurant en ce qui concerne la coupe et les finitions -, et j’avais grand besoin de créativité, de fantaisie, de pétillance intellectuelle.  » De retour au pays, Anne-Valérie s’initie aux multiples subtilités du métier: elle est, de 1995 à 1997, assistante chez Christian Lacroix (haute couture), Christian Dior (prêt-à-porter), Chanel (studio), Nina Ricci (haute couture) et Chloé (studio). Parallèlement, elle commence à confectionner – et continue à le faire – des robes d’apparat simplement siglées  » H « . Elle imagine aussi des pièces uniques pour des artistes comme le photographe de mode Javier Valhonrat – il signe toutes les campagnes des cosmétiques Lancôme -, ou la très conceptuelle Marie-Ange Guilleminot.

Il y a deux ans, Anne-Valérie, qui se balade à la Biennale de Venise, la Mecque des artistes contemporains, a un flash: le moment est venu de voler de ses propres ailes. En 2000, elle invente le Carré Hash, une astucieuse pièce de tissu (soie, coton, mousseline, etc.) munie d’aimants et capable de se transformer en top, tunique, bustier ou jupe. Illico, les pros du chiffon chic sont emballés et Anne-Valérie entame sa longue marche vers le succès stylé. Se verrait-elle un jour au sein d’une grande maison de mode, à l’instar de John Galliano chez Dior ou de Gilles Rosier chez Kenzo, tout en continuant sa ligne éponyme?  » J’y pense et je sais qu’il me faudra évoluer encore et encore. Mais, avant, je veux que les gens constatent que mon histoire à moi tient la route, que ma personnalité de mode va en s’affirmant. Cela dit, je me verrais bien rejoindre l’un des bastions du vêtement masculin haut de gamme comme Dunhill Hommes en Angleterre ou Ermenegildo Zegna en Italie s’ils décidaient de lancer une ligne féminine. Bénéficier de la qualité de ces tissus masculins extraordinaires, utiliser le savoir-faire de ces maisons pleines d’expérience et y apporter mon petit grain de sel… Pourquoi pas? En fait, j’ai constamment l’envie d’arrêter la mode et pourtant, je reste dans son engrenage et je relève les défis l’un après l’autre. Mais le fait de savoir que demain, si je le désire, je peux tout envoyer promener me rassure et m’exhorte à continuer.  » En attendant, l’heure Hash a déjà sonné, et dans le plus beau sens du terme.

Marianne Hublet

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