La nature et les animaux y règnent en maîtres. L’île de Vancouver, au large des côtes occidentales du Canada, s’apprivoise tout au long d’un parcours initiatique en forme de retour aux sources, dans le sillage des saumons qui remontent les torrents. Emotions garanties.

Wayne nous avait prévenus. Le jovial propriétaire de ce B&B cosy posé au bord de la rivière Somass à Port Alberni, au coeur de l’île, a composé un air faussement débonnaire pour ne pas (trop) nous effrayer.  » Profitez du jardin, promenez-vous sur les berges, mais soyez prudents : hier, il y en avait encore un sur la pelouse. Et l’autre jour en fin d’après-midi, j’en ai compté dix-sept sur le trajet depuis le centre-ville. Mais ne vous inquiétez pas : si vous ne les dérangez pas, ils ne vous dérangeront pas non plus.  » Ni une, ni deux, nous voici lancés sur leurs traces, le long du cours d’eau grouillant de saumons écarlates. Il ne nous faut pas dix minutes pour apercevoir deux impressionnants spécimens, sur l’autre rive. Deux gros nounours adultes, au pelage noir de jais, aux paluches démesurées, au museau fouineur, aux griffes affûtées. Ils sont ici chez eux et la rivière est leur garde-manger. Indifférents à la présence humaine. On en croise un troisième quelques minutes plus tard, confortablement installé sur les branches basses d’un arbre en bord de route, à se gaver de baies. A quelques mètres à peine…

L’île aux ours : Vancouver Island n’a pas volé son surnom. Cette langue de terre grande comme le Benelux en abrite 12 000, la plus forte concentration de tout le Canada. Posée au large de la Colombie britannique, à quelques encablures de la ville de Vancouver, c’est un écrin dont la nature est le diamant. Apprivoisée par l’homme, jamais domestiquée – pas même depuis que les navigateurs anglais du capitaine Cook l’ont découverte puis occupée à partir de 1778, croyant poser le pied sur le continent. A l’époque, seuls les Indiens partageaient l’île avec sa faune exceptionnelle. Aujourd’hui, blancs et  » natifs  » ont fumé le calumet de la paix mais gardent encore quelques distances…

 » THE BEAUTIFUL PROVINCE  »

La Colombie britannique, province deux fois plus vaste que la France, n’abrite que 4 millions d’habitants, dont le tiers vit à Vancouver. Les routes y sont longues et rares, l’hydravion tient lieu de taxi : on ne la visite pas en quelques jours. Entre les Rocheuses qui la bordent à l’est, les étendues subarctiques qui illuminent le nord d’aurores boréales et la côte Pacifique déchiquetée à l’ouest par d’innombrables fjords et îlots sauvages, on y admire les paysages les plus diversifiés du Canada.  » The Beautiful Province « , s’est-elle (modestement) autoproclamée. Mais si le temps vous est compté, il faudra choisir où concentrer votre séjour. Nous avons opté pour l’océan. Vancouver Island et la Sunshine Coast qui lui fait face au nord de Vancouver : là où les montagnes aux sommets blancs jusqu’en été plongent dans des eaux cristallines, où la faune et la flore sont aussi riches sur terre que sous l’eau, où l’impénétrable forêt humide abrite les plus vieux cèdres rouges et pins douglas de la planète, plusieurs fois centenaires et démesurément hauts… Le paradis des amoureux de nature vierge, des randonneurs avertis, des pêcheurs invétérés, des kayakistes amateurs, des surfeurs intrépides et des plongeurs confirmés.  » Le paradis tout court « , corrige Sean, qui organise des séjours d’écotourisme sur un îlot de l’archipel.

Cap au sud, la partie la plus peuplée de l’île. Les Anglais y ont bâti Victoria, la plus british des cités canadiennes, accessoirement capitale de la province. En ferry depuis Vancouver, la traversée dure 1 h 30. Première incursion dans le dédale insulaire de la région, où la brume sculpte des paysages fantomatiques d’une rare beauté. Première rencontre avec les mammifères marins qui peuplent cet aquarium à ciel ouvert : orques, phoques, loutres de mer… Patience, les autres espèces viendront plus tard. Victoria est une cité à taille humaine, loin du gigantisme des mégapoles US comme Seattle, sur l’autre rive du détroit Juan de Fuca qui marque la frontière américano-canadienne. Ses jardins anglais, ses maisons… victoriennes, son Chinatown abritant la plus étroite ruelle du continent, ses rues piétonnes et son quartier lacustre du Fisherman’s Wharf invitent à la promenade et au shopping. Profitez d’une ondée pour une visite au Royal British Columbia Museum, qui retrace avec un réalisme confondant l’histoire de l’île et de son environnement, depuis les  » first nations  » jusqu’à l’installation des colons européens. Le soir, cette ville charmante où se mêlent artistes et artisans, étudiants et retraités, s’anime grâce à ses pubs et restos branchés. Poissons, mollusques et crustacés s’y dégustent à coeur joie.  » Eat oysters, love longer « , clame une vitrine. Les bars à huîtres nous tendent les bras. Crues, grillées ou gratinées, au choix, mais surtout géantes. D’excellents vins du cru aident à les faire passer.

MYTHIQUES RANDONNÉES

Si les alentours de Victoria méritent d’être explorés, la route qui longe la côte occidentale s’achève à la bourgade de Port Renfrew, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de la ville. A mi-chemin, le parc régional de Sooke offre un premier aperçu de la forêt pluviale caractéristique de l’île, avec son sentier bordant les criques et les plages désertes. Pas besoin de jumelles pour observer les cétacés : rorquals et baleines grises batifolent à quelques mètres de là, pour se reposer du long périple qui les conduit au large de l’Alaska, entre mai et octobre. Simple avant-goût. A Port Renfrew, commence le Parc national du Pacific Rim, un concentré de nature loin de toute civilisation, dont la forêt quasi primaire s’auto-entretient depuis des millénaires. On le traverse en cinq à sept jours d’une randonnée aussi mythique que physique, parsemée de rochers glissants, d’échelles souples, de ponts suspendus, de rivières à franchir en se hissant le long d’un câble tendu. On bivouaque coupé du monde, sous des couchers de soleil à damner le saint des coloristes. On pêche ses repas, on dispute des saumons rouges aux ours noirs et aux loups gris. Le West Coast Trail s’étend sur 75 kilomètres, mais rien n’empêche d’y faire une excursion d’un jour ou deux. Seul impératif : réserver, le nombre de randonneurs quotidiens étant limité. Et c’est un must.

AU PLUS PROFOND DES FJORDS

Sur la côte orientale de Vancouver Island, les bourgs se succèdent sans se ressembler. Les uns accueillent des artistes branchés, un brin baba, qui préfèrent le calme insulaire à l’agitation continentale. Les autres abritent les populations locales, souvent émaillés de ces immenses totems de bois sculpté qui rappellent l’attachement des Indiens d’origine aux esprits de la terre et des cieux. La moitié nord est plus déserte. Peu d’habitants, peu de routes, beaucoup de montagnes, de forêts et d’eau sous toutes les formes, dont des fjords qui s’enfoncent jusqu’au tréfonds de l’île ou des torrents que les femelles saumons remontent pour frayer puis mourir là où elles sont nées. Brouillards matinaux, averses fréquentes, humidité ambiante… La Great Bear Rainforest mérite bien son nom. Elle est plus dense encore qu’au sud. Les hameaux côtiers abritent des pêcheurs, tandis que des bûcherons occupent les villages des terres. Certains ne sont accessibles que par l’eau ou les airs. Le MV Uchuck III les ravitaille une fois par semaine sous les ordres du capitaine Fred Mather qui fit ses classes en Europe (notamment en Belgique). Deux jours de périple à travers les fjords les plus reculés, jusqu’au nord de l’île. Touristes autorisés, pour le plaisir de goûter aux rudes conditions de vie locale. On loge à Kyuquot, quelques dizaines d’âmes au bout du monde, dans une guesthouse de fortune. Les pieds dans l’eau. Les habitants ont l’hospitalité fruste, mais chaleureuse. Orques, dauphins, baleines, loutres, phoques, lions de mer… Tout au long du voyage, les mammifères marins, eux, sont à la fête.

DANSE AVEC LES BALEINES

Après cette plongée hors du temps, on reprend pied sur la côte ouest, dans la partie nord du Pacific Rim. Moins sauvage (et encore !), plus touristique, pleine de promesses. Plages infinies, rouleaux impressionnants, sentiers de randonnée, cuisine savoureuse… Deux bourgades rivalisent de charme, aux extrémités d’une longue bande de terre quasi péninsulaire. Deux anciens ports de pêche convertis au tourisme éclectique : Tofino et Ucluelet (prononcez  » Ukee « ). Deux autres versants du paradis. Le premier est un spot couru par les surfeurs et revendique une ambiance routarde appréciée par les jeunes. Le second est plus paisible et familial. Jamie et ses confrères y organisent toutes sortes d’excursions à pied, en hydravion ou en bateau, à la rencontre des merveilles minérales, végétales ou animales de la nature. On danse en zodiac avec les baleines, on déjeune avec les ours qui traquent les crabes sur le rivage.

On resterait bien pour l’éternité, dans l’un de ces gracieux hôtels posés sur les plages, face au couchant. Mais on finit par repartir. Cap au nord, sur la côte orientale, face à l’étroit détroit de la Reine Charlotte qui sépare l’île du continent. Entre les cabanes sur pilotis de Telegraph Cove, que certains considèrent comme le plus beau village de l’île, et les quelques auberges plantées en pleine nature où les ours viennent jouer jusque sur les terrasses, le coeur balance… A l’aube, un bateau vient nous chercher pour fendre la brume à la rencontre des  » killer whales  » (orques) un jour, des grizzlis le lendemain. Le roi des ours ne vit pas sur l’île mais sur la côte sauvage qui lui fait face, constellée de bras de mer, à quelques kilomètres à peine. On l’approche en barque à fond plat, dans les rivières où il pêche en famille, sous l’oeil vorace des aigles chauves. Un autre genre de safari. Il ne nous reste plus qu’à sillonner le détroit dans le silence relaxant d’un kayak de mer…

PAR PHILIPPE BERKENBAUM

Les montagnes plongent dans des eaux cristallines, la faune et la flore sont aussi riches sur terre que sous l’eau.

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