Flottant à l’est du continent africain, Rodrigues est un véritable havre de paix sous les tropiques, avec son climat idyllique, ses tortues géantes, ses hôtes souriants et sa magnifique lagune de corail.

Après une bonne journée de voyage, nous atteignons le sud-ouest de l’océan Indien, et plus précisément l’île Maurice. Petite pause à l’aéroport, avant de prendre un autre avion qui nous emmène vers un horizon garni de quelques miettes de terre disséminées dans l’intense bleu de l’eau. Le plus grand de ces îlots porte le nom de Rodrigues, notre destination finale. À l’atterrissage, la pluie tombe à grosses gouttes. Mais le chauffeur de taxi nous rassure : l’averse sera certainement de courte durée. Et l’eau, ici, est une denrée si rare que personne ne songerait à se plaindre face à une ondée.  » En fait, il en faut beaucoup pour nous tracasser, et je ne parle pas uniquement de la pluie « , ajoute notre taximan en lâchant un clin d’oeil.

Le soleil, en effet, est très vite de retour. En cette journée printanière, la crête des collines arbore une luxuriante robe de verdure, ponctuée çà et là d’une maison presque invisible dans la végétation tropicale. Ce petit coin de paradis, qui abrite un peu moins de 40 000 habitants, séduit instantanément. La première chose qui frappe, c’est son silence. Pas étonnant que Rodrigues se présente comme l’île anti-stress par excellence, un havre de paix où les touristes viennent avant tout pour se reposer, tout en profitant d’un splendide décor.

Nous prenons nos quartiers dans une chambre d’hôtes située sur les hauteurs. La vue est parfaite pour observer les reliefs et les petites routes qui s’y perdent. Ce jour-là, nous croisons quelques écoliers en uniforme qui rentrent chez eux. Le calme est toujours en vigueur. Il faut dire que même le trafic n’est pas particulièrement dense : les rares voitures ne dépassent jamais les 50 km/h, limite de vitesse imposée sur l’entièreté de l’île. Il fait décidément bon vivre dans ce lieu où, de surcroît, on est accueilli avec le sourire. La convivialité des Rodriguais est réputée : on le constate dès notre arrivée, en dégustant un ti’punch avec nos hôtes et, au loin, l’océan qui semble presque nous supplier d’aller y piquer une tête…

UNE FAUNE PRÉCIEUSE

Découverte au XVIe siècle par le navigateur portugais dont elle porte le nom, Rodrigues n’a commencé à susciter l’intérêt des Occidentaux qu’il y a trois siècles, lorsque l’explorateur français François Leguat, en 1691, publia un livre dans lequel il souligna la présence sur l’île d’une formidable population de… tortues géantes. À en croire sa description, celles-ci étaient si nombreuses qu’il était possible de faire cent pas sur leurs carapaces sans jamais toucher le sol, l’espèce avait un cou aussi long qu’un bras humain et on ne la rencontrait nulle part ailleurs… Un récit flamboyant qui, malheureusement, eut surtout le don d’attirer des équipages affamés en quête de proies faciles, et de conduire la tortue géante de Rodrigues droit vers l’extinction.

Aujourd’hui, les responsables de la François Leguat Giant Tortoise and Cave Reserve s’efforcent de renverser le cours du temps. Ressusciter l’espèce endémique à la façon des dinosaures de Jurassic Park était évidemment impossible. Mais une nouvelle colonie a pu être implantée sur l’île : pas moins de 2 000 tortues terrestres occupent un domaine de 20 hectares qui leur est spécialement réservé. Nous nous y rendons avec un guide. En entrant dans le canyon où les colosses mènent leur paisible existence, on a l’impression d’être sur le tournage d’un film d’aventure. Lorsque les tortues repèrent notre présence, elles se dirigent d’abord vers nous avec curiosité, puis réclament des caresses. Plus douces que d’apparence, elles adorent qu’on les gratouille sous le menton et qu’on leur masse le cou. Quelques minutes plus tard, notre guide nous demande un coup de pouce pour remettre sur pattes un mâle qui s’est retrouvé sur le dos. La tâche nécessite quelques solides paires de bras, mais le défi ne se refuse pas…

Autres animaux que l’île de Rodrigues a placés sous son aile : les oiseaux. Plusieurs ONG locales s’y attellent, protégeant notamment les réserves ornithologiques de l’île aux Cocos et de l’île au Sable. La première est accessible sur une minuscule partie, sous la stricte surveillance d’un naturaliste. Inhabité, l’îlot sert de site de nidification à plusieurs milliers d’espèces locales, comme le noddi brun et l’oiseau la Vierge. Les spécialistes qui se trouvent dans notre petit groupe s’extasient face à leur beauté. Mais les oiseaux, eux, ne semblent pas ravis de notre présence, en nous faisant comprendre – avec des cris assourdissants sortant de becs acérés – que nous empiétons sur leur territoire. A leur manière, ils nous renvoient poliment vers la plage et les vagues chaudes de l’océan. Même si l’expérience est quelque peu déstabilisante, elle a le mérite de nous rappeler une chose essentielle : le tourisme, ici, n’existe pas sans un contrôle permanent et une préservation au quotidien du patrimoine de l’endroit. Rodrigues se veut avant tout une  » île écologique « . La nature constitue son plus grand atout, qu’elle veut bien mettre en vitrine, mais certainement pas brader…

SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Le  » tourisme durable  » n’est pas la seule préoccupation des décideurs locaux, qui demandent à toute la population de l’île de participer à l’effort collectif. Ainsi, même les familles qui subsistent grâce à la mer depuis plusieurs générations sont encouragées à faire un usage responsable des richesses marines. Les autorités ont notamment décidé de soumettre la pêche et la capture traditionnelle des poulpes à une régulation draconienne. Il faut dire que le problème de la surpêche a aujourd’hui atteint une telle ampleur que les animaux n’ont même plus le temps d’atteindre l’âge adulte.

Les vendeurs de poissons ne sont pas tous convaincus par la pertinence de cette mesure. Un pêcheur nous affirme ainsi que, selon lui, les maigres captures de ces dernières années ne sont pas dues à la surpêche ou aux techniques de capture néfastes, mais bien  » au tsunami de 2004, dont les effets perceptibles jusqu’ici ont gravement perturbé l’écosystème marin « . Un garde-côte, chargé de s’assurer qu’aucune activité de pêche illégale ne vienne troubler la baie protégée, avance une autre hypothèse. Pour lui, c’est tout simplement le taux de chômage chez les jeunes qui est responsable des excès :  » Prendre soin de la mer, c’est bien beau. Mais quand les estomacs crient famine, la priorité est de trouver à manger « , soupire-t-il.

SPLENDEURS AQUATIQUES

Double objectif, donc, pour le gouvernement local : créer de l’emploi et poursuivre les efforts de sensibilisation. Le ministre de l’Environnement, du Tourisme et de la Pêche, Richard Payandee, l’a bien compris : lors du dernier Festival de la mer, il rappelait à tous ce slogan en forme d’étendard :  » La mer est notre trésor et notre avenir, protégeons-la.  » Lui-même passionné de plongée, l’homme connaît mieux que quiconque les merveilles que recèle la gigantesque lagune entourant Rodrigues. En 2014, il interdisait ainsi les sacs en plastique sur toute l’île. Et régulièrement, il n’hésite pas à mettre personnellement la main à la pâte, en réalisant notamment des documentaires sur la vie sous-marine pour interpeller la jeunesse.

Sur l’une des plages, se trouve d’ailleurs une attraction pour le moins fascinante, qui permet à la population comme aux touristes d’admirer de leurs propres yeux toute la beauté du décor aquatique : un bateau au fond en verre. Durant le Festival de la mer, il est accessible gratuitement, et sa visite est très appréciée par toutes les générations.  » Beaucoup d’enfants ne savent pas nager et ce bateau est un prétexte parfait pour leur montrer ce qui est en jeu « , explique l’un des organisateurs. Shoals, l’ONG à l’origine de l’initiative, espère également toucher les pêcheurs eux-mêmes, en leur suggérant une solution d’avenir :  » Ceux qui envisagent de ranger leurs filets peuvent bénéficier d’un soutien pour convertir leur barque en un bateau comme celui-ci.  »

Avec environ 50 000 visiteurs par an, l’île est encore loin d’avoir atteint son plein potentiel. Et il est clair qu’un développement du secteur touristique serait le bienvenu pour générer des emplois supplémentaires. Pour l’heure, elle préfère toutefois se concentrer sur le tourisme durable, modeste, authentique, en laissant sa voisine, l’île Maurice, s’occuper de la majeure partie des vacanciers épris de la région. Néanmoins, Rodrigues possède plusieurs atouts pour séduire les férus d’activités plus sportives : on peut y pratiquer le kitesurf, s’adonner à la plongée ou emprunter un téléphérique de 400 mètres de long tendu entre deux collines. Mais le clou du spectacle, sans aucun doute, reste son exceptionnelle lagune de 300 km2, qui abrite quelque 273 espèces de coraux, faisant d’elle un véritable éden sous-marin… Un cadre idyllique, à observer avant de s’en aller déguster des poissons créoles arrosés de rhum. Tout cela sans jamais oublier ce qui pourrait être la devise locale :  » Doucement le matin et pas trop vite l’après-midi… « 

PAR DÉBORA VOTQUENNE

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