L’illustre joaillier de New York s’associe à un des plus grands architectes du monde. Une collaboration historique pour des créations inédites : formes vivantes, angles tactiles, juxtapositions fascinantes.

Un jeu de poursuites lumineuses dessine une géométrie évolutive sur la façade du 727, sur la 5e avenue de Manhattan. Entre le monolithe noir de la tour Trump et l’immeuble de verre poli de Louis Vuitton, l’illustre joaillier Tiffany & Co rend hommage à son nouveau créateur et architecte accompli : Franck O. Gehry. Le troisième étage, habituellement fréquenté par les amateurs de diamants, prend des allures de boîtes de nuit. Les comptoirs en verre, rendus célèbres par le film culte de Blake Edwards  » Breakfast at Tiffany’s  » (1961), servent pour l’occasion de bar où déposer son cocktail maison. L’icône de la soirée n’est pas Audrey Hepburn, la gracieuse actrice des années 1960 et son fameux porte-cigarette, mais un personnage aux cheveux blancs, muni d’une canne en bambou. A 77 ans, l’architecte star porte de façon décontractée l’uniforme qui sied à tous les membres de la profession : le pull à col roulé noir.

 » L’idée de créer des bijoux m’intrigue depuis longtemps, en particulier la notion de jouer avec des formes à une toute nouvelle échelle. La joaillerie est une forme d’art intéressante, car elle est l’expression très personnelle du style et de la personnalité de qui la porte « , explique Gehry, connu pour ses réalisations magistrales, comme la salle de concert Walt Disney en forme de bulbe à Los Angeles ou le musée Guggenheim de Bilbao. En 2002, Tiffany a invité l’architecte d’origine canadienne et californien d’adoption à collaborer à une nouvelle collection signée de son nom. L’offre, particulièrement originale, avait, par ailleurs, un air de défi. Les préoccupations esthétiques d’un architecte réputé pour ses £uvres monumentales pouvaient-elles être miniaturisées ? La splendeur du musée de Bilbao saurait-elle être reproduite dans une boucle d’oreille ?

Pendant plus de trois ans, à raison d’une fois toutes les six semaines, Gehry, le vice-président de Tiffany & Co, Jon King, et neuf designers ont repoussé les limites de l’art.  » Nous ne voulions pas que Franck Gehry soit inhibé par l’univers de la joaillerie tel que nous ne le connaissons. Il y a tellement de choses qui se ressemblent dans ce monde, de redites, de neuf fait avec du vieux. C’était absolument excitant et passionnant de s’asseoir aux côtés de quelqu’un qui n’a pas ce bagage « , déclare Jon King, qui a donné carte blanche à son invité.  » Pour parvenir à un résultat convaincant, les règles doivent souvent être brisées « , précise de son côté l’architecte de la déconstruction.

 » La beauté sans règles  » est le nom donné à la collection Gehry pour Tiffany, fruit de la rencontre entre l’innovation et l’excellence (*).  » Pour développer mes concepts pour le joaillier, j’ai travaillé comme toujours : en faisant des esquisses et en fabriquant des modèles en papier. L’habileté des sculpteurs et les peintres qui créent avec leurs mains m’inspire beaucoup « , affirme le lauréat du plus prestigieux prix d’architecture, le Pritzker. A l’origine de chaque bijou, il y a donc des traits intrigants, vifs et parfois crus, exprimés dans des croquis frénétiques effectués à main levée. Ses idées évoluant, l’artiste joue avec les modèles en papier, qu’il tourne sous tous les angles ou lance en l’air pour juger de leur interaction avec l’espace. Le résultat est à la hauteur des enjeux. Les maîtres artisans bijoutiers de Tiffany & Co ont capturé le style libre et intuitif de l’architecte et son goût pour les formes déstructurées nées d’accidents non résolus. Ensemble, ils réussissent parfaitement le pari de renouveler l’expression de la forme la plus intime de l’art, la joaillerie, grâce à des lignes inhabituelles dessinées pour épouser les courbes féminines.

La preuve par six

Les références de Gehry sont purement personnelles. Il est allé chercher l’inspiration dans ses souvenirs d’enfants, chez les peintres de la Renaissance et du xxe siècle, ainsi que dans les structures de ses propres réalisations. La collection est déclinée en six motifs qui stimulent aussi bien les émotions que l’intellect, modelés dans des matériaux précieux tels que l’or noir, le bois de Pernambouc ou la pierre de Cacholong.

Fish. Evoqué notamment dans la paroi  » écaillée  » du musée de Bilbao, le poisson est l’animal fétiche de Gehry. Pour l’architecte, le poisson représente avec force et magnétisme la forme la plus ancienne de vie. Il le reproduit de façon abstraite à l’échelle d’un pendentif ou de petits charms sur un collier, un bracelet ou une bague. Tout en fluidité, ces objets miniatures fondent gracieusement sur la peau comme sur le lit sablonneux d’un fond marin.

Torque. La torsade, chère aux bâtisseurs de tours, s’enroule ici autour d’un poignet ou de l’annulaire. Les lignes aux angles fins en torsion ont une valeur hypnotique, proche de la sensation de vertige.

Axis. Des axes, essence de toute structure, se croisent à angle droit et sont mis à nu pour un effet épuré et tout en force conféré à des bagues, bracelets, colliers et boucles d’oreille.

Equus. Inspiré de la sculpture géante en forme de tête de cheval dessinée pour le siège de la DG Banque de Berlin, la courbe sinueuse est certainement la plus enjouée de la collection.

Orchid. Inattendue, sensuelle, l’orchidée séduit en se déployant. Sa surface lisse capture la lumière pour le plaisir de l’£il.

Fold. Déstructurées, plissées, les surfaces s’opposent et se rejoignent dans une harmonie remarquable.

Les six lignes de la collection sont complétées par des pièces uniques, comme ce collier en or blanc, réminiscence d’un projet de Gehry pour une construction au centre de Times Square à New York, qu’il avait imaginé comme un filet vertical retenant des balles. Ici, les balles sont remplacées par des diamants bruts et des perles de culture pulvérisées sur une maille fine en or blanc, parfaite pour un décolleté plongeant. Si ces pièces uniques valent une petite fortune (750 000 dollars pour le collier, soit 607 270 euros), Tiffany & Co a voulu que le reste de la collection soit abordable : une bague Equus par exemple peut s’acquérir pour 175 dollars (142 euros), un pendentif Orchid pour 475 dollars (385 euros)…

Les bijoux de la nouvelle collection Franck Gehry pour Tiffany sont chics, glamour, dans le coup. A la manière des invités croisés sur le tapis rouge lors de la soirée de présentation de la collection, le 10 avril dernier : Ashton Kutcher, le  » nouveau  » mari de Demi Moore, les actrices Susan Sarandon et Kyra Sedgwick ou encore l’acteur de  » Quand Harry rencontre Sally « , Billy Cristal. Décontracté et dans le mood également, l’idole de la soirée, lui, prenait la pose avec beaucoup de plaisir et d’espièglerie, entouré de sept vestales parées de la collection en robe de soirées signées Donna Karan. Qu’est-ce qui fait vibrer l’imagination du grand homme ?  » L’amour, toujours l’amour, répond celui-ci en français, en architecture, comme dans la vie.  »

(*) Dans les boutiques Tiffany & Co aux Etats-Unis et au Japon depuis avril dernier, en Europe et dans le reste de l’Asie à partir de l’automne prochain.

Elodie Perrodil

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