Son dessin porte la signature d’Ottavia Orsini, l’aristocrate à poigne qui l’a commandité, voici plus de 400 ans… Cette broderie Renaissance est le joyau des jardins du castello Ruspoli, à Vignanello, dans le Latium. Poussez donc la grille de ce domaine enchanteur !

Depuis les pièces d’apparat situées au premier étage du château familial, la principessa Claudia Ruspoli peut admirer la magnifique broderie Renaissance qu’elle a largement contribué à sauver. Elle contemple ainsi plus de quatre siècles d’histoire.

Tout commence vers 1530, avec Ortensia Farnèse qui reçoit la propriété et ses titres de féodalité de son oncle, le pape Paul III Farnèse, l’initiateur du concile de Trente. Vignanello n’est alors qu’une place forte, une construction défensive plantée sur un promontoire typique de cette région : un rocher en tuffeau. Ortensia entend adoucir la rigueur toute militaire de la demeure. Elle civilise l’édifice et modifie l’accès en aménageant, notamment, au sud, une entrée majestueuse à flanc de coteau. Les visiteurs sont dès lors accueillis par diverses terrasses animées de jardins et de jeux d’eaux.

Deux générations plus tard, une autre femme applique un traitement de choc à la propriété. Ottavia est fille de Vicino Orsini, le commanditaire du  » parc des Monstres  » de Bomarzo, situé non loin de là. Elle épouse en 1574 le petit-fils d’Ortensia, Marcantonio Marescotti dont elle a deux fils, Sforza et Galeazo. C’est après la mort de Marcantonio que Ottavia prend en main la destinée du domaine familial, avant d’en céder la gestion à ses enfants. On pense généralement qu’il ne lui a fallu guère plus de deux ans – de 1610 à 1612 – pour réaliser le plus beau parterre de buis de la Renaissance italienne qui s’offre à nos yeux aujourd’hui encore.

 » Ottavia Orsini a dû déployer des moyens considérables pour créer la levée de terrain qui a permis d’installer les jardins, s’enthousiasme Claudia Ruspoli, passionnée par le patrimoine familial. La forteresse étant isolée dans sa vallée, elle a fait construire à côté une immense muraille de soutènement qui a permis de retenir des milliers de tonnes de terre, celle du jardin principal et du petit jardin secret en contrebas. C’est alors qu’ont pu commencer les plantations. On pense que les dessins originaux ont été réalisés en romarin et en sauge, pour le parfum de ces aromates, fort prisés au Moyen Age. Ils ont ensuite été remplacés par des buis et des lauriers.  »

De O en O…

Pour accéder aux jardins suspendus de Vignanello, Ottavia Orsini a fait construire un pont qui les relie au château et qu’on emprunte aujourd’hui encore. On peut ainsi se promener parmi les 12 quadrilatères qui composent le grand rectangle. Depuis les salons du premier étage on discerne d’autant mieux les principaux motifs. Le O, initiale de l’initiatrice des lieux, est très présent. On trouve notamment deux O concentriques (pour Ottavia Orsini). L’un d’entre eux est une sorte de gynécée entourant un G et un S imbriqués, représentant les initiales des prénoms des fils Sforza et Galeazo. Un autre O enserre un motif évoquant une fleur à 8 pétales, sans doute la rose figurant sur les armoiries de la famille Orsini.

Un peu plus loin, un autre monogramme – FMR – est nettement lisible. Il s’agit des initiales de Francesco Maria Ruspoli qui ont sans doute été apposées vers 1700.  » Le nom Ruspoli est très rapidement arrivé dans la famille, explique l’actuelle maîtresse des lieux. C’est Sforza Marescotti, le fils d’Ottavia, qui a épousé une Ruspoli, héritière d’une richissime famille de banquiers siennois. En échange de leur fortune, ceux-ci ont demandé que les Orsini fassent abstraction de leur patronyme. Francesco Maria fut un grand homme de son époque. Il reçut le titre de prince en remerciement d’avoir levé et payé une armée de 1 200 hommes qu’il mit au service du Vatican. Il fut deux années durant le mécène de Händel, lors du séjour du compositeur allemand en Italie. La légende familiale affirme qu’il aimait se retrouver dans les jardins de Vignanello.

Les générations ont passé et la colossale fortune du prince Ruspoli s’est lentement effritée. La propriété, autrefois immense, s’est réduite comme peau de chagrin. Depuis les années 1930, une ligne de chemin de fer de desserte locale est même venue couper le château des jardins d’eau imaginés par Ortensia, aujourd’hui taris.

Le beau parterre, lui, ne semble pas avoir souffert. Mais il en aurait été autrement sans la détermination de Claudia Ruspoli.  » Succombant à la mode topiaire anglaise, mon arrière-grand-père avait laissé monter en hauteur certains buis dans la partie gauche, non loin de la fontaine, poursuit la princesse. Puis il avait fait sculpter des formes géométriques. Plus tard, mon père a laissé monter les buis qui bordent l’allée droite. Il a même réussi à les faire se rejoindre pour former un tunnel qui lui permettait de trouver de l’ombre.  »

Une âme, des mystères

Après avoir hérité du bien, dont elle partage la propriété avec sa soeur, Claudia Ruspoli décide de rendre au lieu son âme des premiers jours. Tous les buis ont été retaillés à la même hauteur. Pour peu, on se croirait à nouveau transporté voici quatre siècles. Il suffit d’oublier un instant toutes les constructions réalisées sur les anciennes possessions du domaine, de se retourner vers l’ancienne forteresse, de découvrir l’escalier logé dans une des folies d’angle du jardin qui permet d’accéder au jardin secret situé en contrebas… Les jardins du castello Ruspoli garderont un temps encore une partie de leurs mystères. Ainsi, la fontaine qui crache l’eau en leur centre porte-t-elle le nom de Vignola (1507 – 1573). Il se murmure que le célèbre architecte – entre autres – du palais Farnèse tout proche serait lui aussi passé par ici…

Carnet d’adresses en page 104.

Texte et photos : jean-pierre gabriel

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