Une collection plus minimale, un catalogue pensé, peaufiné, poétisé, un défilé en février. L’année 2010 s’annonce bien pour Sandrina Fasoli. Avant-goût dans les coulisses d’un shooting intime. Révérence.

Çela se passe au Wiels, centre d’art contemporain bruxellois où Ann Veronica Janssens expose sa Serendipity lumineuse – c’était avant la neige de décembre, il était question de robes légères et de printemps à mettre en musique, en mode, le futur se conjugue au passé. Au deuxième étage, béton lissé, murs blancs, néons, Sandrina Fasoli et Michaël Marson, duo de créateurs unis sous le seul nom de Sandrina, orchestrent une séance photo. Jour de shooting, comme on dirait jour de fête. Au sol, une longue poutre d’acier brut, avec finition miroir sur une face, c’est une £uvre, cela s’appelle Liquid bar, c’est daté 2009 ; s’y reflète la silhouette de Helen Feskens, mannequin, qui fait vivre leur collection printemps-été comme personne.

Dans un coin que nul n’ose rebaptiser  » loge « , le matériel de Sigrid Volders, maquilleuse, une chaise pliante, une tringle avec la sélection pointue de la saison estivale – flash fugitif de gris perle, bleu, rose poudré, noir, couleurs claires puis crescendo. À terre, quelques fleurs fraîchement coupées, une amaryllis, deux roses, deux hortensias, ceux que préfère Sandrina Fasoli. Peut-être trouveront-elles leur place sur une photo, il s’avérera, plus tard, à la fin de la journée, quand tout sera terminé, qu’elles n’auront pas servi.

À la photo, Emmanuel Laurent. Au stylisme, Michaël Marson et Sandrina Fasoli, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. En muse, Helen, qui pose pour eux depuis leurs débuts et les siens, il y a cinq ans, ils étaient alors fraîchement diplômés de La Cambre, section mode(s), avaient déjà remporté le grand prix du Festival international de mode et de photographie d’Hyères (2003) et ignoraient encore qu’ils empocheraient le premier Mango Fashion Award (2007) et les 300 000 euros de bonus. Ce qui permet d’envisager l’avenir autrement, n’est-ce pas, quand on est  » jeunes créateurs « .

Des photos d’atmosphère, pour quoi faire ? Parce que le look book ne leur suffit pas. Cet outil-là, destiné aux acheteurs, aux boutiques, éventuellement aux stylistes et à la presse, donne à voir les vêtements, presque bruts, sans autre intention en filigrane que de les montrer. Et puis cette fois-ci, ils voulaient s’offrir  » un bel objet « , un beau catalogue, où tout serait pensé, pesé, soupesé, même le grain du papier, et qui raconterait au plus près,  » intimement « , leur univers. Une plaque sensible où se refléteraient des bribes d’inspiration, des accents de création, des instants de poésie.

Questionner le duo de créateurs, c’est entendre leurs voix se répondre, rebondir, crocheter des rires, en cascade, terminer les phrases que l’autre avait commencées, question d’habitude, ils travaillent de concert depuis tant d’années, déjà à La Cambre. Si vous leur demandez les prémices de ce projet, ils vous diront presque en ch£ur leur envie de  » quelque chose de minimal, d’un peu froid  » dans un endroit comme le Wiels qui leur paraissait  » idéal « , pour son côté brut, qui contrebalancerait leurs vêtements très féminins,  » pour casser un peu la douceur « , inutile donc de choisir pour décor des champs de blé pour jeune fille en fleur.

Sur le mood board, leurs humeurs du moment, des clichés avec les toiles du peintre belge Michaël Borremans,  » qui nous ont traversés « , d’autres avec les sculptures de l’artiste américain Don Brown, ils aiment la blancheur immaculée, les postures simples,  » la transparence, la gravité  » de ses £uvres. Plus quelques photos de mode qui ont donné le ton pour le maquillage, mais jamais rien de littéral ni de transposé,  » ce sont des choses que l’on oublie « , disent-ils, avant qu’elles ne  » ressurgissent ailleurs  » sans crier gare.

Helen enfile la première robe, il y en aura quinze en tout, elle a les cheveux gaufrés, rien d’apprêté, un make-up fumé, des éclats de poudre dorée sur les joues, un rouge à lèvre beige, des mains peintes de noir, effet fumé, comme à l’aérographe, qu’elle garde en l’air, statufiée, on la dirait marmoréenne. Le photographe demande un air serein, on se tait, concentration, le shoot a commencé. Changement de vêtement, un coup de laque sur les cheveux, réglage lumière, passage à l’argentique,  » pour son effet, son rendu « , poses hiératiques avec soupçon d’innocence, de délicatesse. Sandrina, en robe Sandrina Fasoli, saison précédente, crêpe noir avec découpes et effet brillant mais chiffonné, choisit une à une les pièces sur cintre, les commente tandis que Michaël, en slim noir et Converse, lisse le pli d’une robe couleur crème au drapé plus savant qu’il y paraît au premier coup d’£il.

Il y a là une mousseline de soie, un chemisier délicat comme l’aube, transparent à certains endroits, avec jeu subtil du voiler/dévoiler, fronces aux épaules et petits boutons recouverts de soie. Il y a aussi des pantalons à la fourche basse, resserrés dans le bas,  » nonchalants et dynamiques « , des paillettes, qui donnent du relief, une petite veste courte avec les épaules  » très, très basses « . Il y a surtout de l’asymétrie, une manche capeline, puis rien, des superpositions, de la maille, un débardeur comme un filet de pêcheur, qui point à point finit par former une fleur, comme une ombre portée sur le corps. Il y a un imprimé, dont ils sont tombés amoureux, avec taches et halo. Et des ceintures qui partent en voiles venus souligner les épaules, une manche, une bretelle, une taille resserrée d’un côté, de l’autre pas. Des détails qui comptent, des contrastes, de jeux de superpositions, de transparence. Mais pas de col Claudine, foin d’enfantillage, Sandrina Fasoli et Michaël Marson sont parfois un peu las qu’on leur accole ce détail-là qu’ils ne renient pourtant pas, c’est juste qu’il ne fait pas uniquement l’ossature de leur vestiaire. Un certain minimalisme féminin qui aurait délaissé les codes de l’enfance auxquels ils nous avaient habitués. Sandrina Fasoli a grandi, Dieu que c’est joli.

Retrouvez tout le making of du shooting sandrina fasoli sur weekend.be

Par Anne-Françoise Moyson

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