Beauté: La fin des diktats de l’âge?

Celle que vous croyez, avec Juliette Binoche (2019). © DR / sdp
Isabelle Willot

L’image que l’on se fait aujourd’hui de la peau idéale a changé. Oubliée la chasse aux rides, c’est l’énergie qui est privilégiée. Moins stigmatisante, l’industrie cosmétique prône un vieillissement assumé. Et fait l’éloge de la fidélité.

À la regarder, sûre d’elle, arpenter cet amphi de fac de lettres, jupe crayon, talons hauts et chignon serré porté fier, elle fait incontestablement plus envie que pitié. Pourtant, ce que Claire voit dans son miroir, c’est « une femme aux paupières un peu lourdes et au teint qui se fane ». A 50 ans, celle qui décrypte avec ses étudiants les écrits de Choderlos de Laclos voudrait qu’on la « trouve encore jeune, jolie, qu’on s’occupe d’elle, qu’on la berce même d’illusions ». Au point de devenir Clara et de s’inventer un autre âge, un autre corps, une tout autre vie sur les réseaux sociaux pour mieux se lancer dans une dangereuse liaison épistolaire des temps modernes.

La plupart des relations que les femmes ont aujourd’hui avec leur image n’est heureusement pas aussi tragique que celle qui mènera le personnage incarné par Juliette Binoche dans Celle que vous croyez, sorti le 6 mars dernier en Belgique, vers l’hôpital psychiatrique. Mais ce décalage qui existe entre l’âge réel et l’âge perçu, intimement lié au vécu de chacune, reste une préoccupation bien réelle pour bon nombre d’entre elles. Le gap, qui s’accentue évidemment au fur et à mesure que le temps passe, oblige les marques de cosmétiques à revoir la manière dont elles s’adressent à celles qu’elles espèrent toucher. « L’âge de la peau aujourd’hui peut être très différent de celui qui figure sur votre passeport, pointe Marie-Hélène Lair, directrice de la communication scientifique de Clarins. Nous connaissons l’impact des influences extérieures – pollution, tabac, soleil… – et nous savons comment nous en protéger. L’effet de ces exposomes se voit de manière précoce désormais. Et l’on sait à l’inverse que l’on a la main sur la vitesse à laquelle la peau vieillit. »

Inéluctables impacts hormonaux

Une meilleure qualité de vie conjuguée aux progrès constants de la médecine et à la prévention expliquent aussi que l’on ait l’air moins vieux aujourd’hui que nos parents et grands-parents au même âge. Des facteurs de ralentissement qui ne pourront toutefois pas grand-chose face aux impacts hormonaux inéluctables de la ménopause. Alors qu’à partir de 50 ans les femmes auraient réellement besoin de crèmes plus réparatrices, de textures plus confortables, d’actifs capables de combattre la sénescence cutanée accélérée, celles qui se sentent encore l’âme d’une trentenaire ne sont pas toujours prêtes à faire face aux stigmates des labels « peau mature » affichés sur les pots de leur salle de bains.

Commencer par apprendre la différence entre besoin et désir.

« Lorsque nous interrogeons nos consommatrices, nous remarquons qu’elles recherchent plutôt un produit qui réponde à un besoin, pas à un âge, souligne Ingrid Pernet, directrice de la communication scientifique du groupe Nuxe. Elles n’aiment pas être mises dans des cases. Bien sûr, lorsque nous développons une gamme de soins, nous avons une idée des demandes spécifiques liées à une tranche d’âge, notamment à la ménopause où physiologiquement tout se ralentit: les cellules se renouvellent moins, l’épiderme s’affine, il perd en fermeté, en lipides. Mais ce n’est qu’une partie des facteurs à prendre en compte pour expliquer l’état de la peau et, par là, les attentes des femmes. » Afin de valider l’impact de sa nouvelle routine premium, la marque ne s’est d’ailleurs pas contentée de prendre des mesures objectives de l’état de la peau. Ses tests ont également porté sur l’analyse de la perception de soi et de la satisfaction physique, notamment en s’intéressant au vocabulaire employé par les utilisatrices à qui l’on demandait de se décrire face à un miroir. Mais aussi en déterminant le niveau de stress ressenti pendant l’expérience, à partir de l’intensité et de la fréquence de la voix. Après 28 jours d’utilisation du protocole de soin, l’image que les femmes ont d’elles-mêmes s’en est trouvée sensiblement améliorée.

Réagir aux accidents de visage

Si notre âge subjectif intérieur (lire encadré ci-dessous) est en moyenne de neuf ans inférieur à celui de l’état civil, certains événements de vie, pas toujours négatifs d’ailleurs, peuvent d’autre part marquer les traits. Ces « accidents de visage » dont parlait Marguerite Duras peuvent être plus précoces que la sénescence cutanée accélérée, induite notamment par la ptôse généralisée qui frappe les femmes après la ménopause. Ils coïncident souvent avec des étapes rituelles du passage à l’âge adulte. « Entre 19 et 34 ans, le fait d’obtenir son permis, de quitter la maison familiale, de décrocher son diplôme et de trouver un premier emploi peut soudain vous donner un coup de vieux », constate Denis Guiot, professeur de marketing à l’Université de Paris Dauphine. Pour la première fois sans doute, le reflet du miroir paraît moins séduisant, l’envie de paraître plus mûr disparaît. Le discours des labels cosmétiques capitalise lui aussi sur cette soudaine émergence de la peur de vieillir, adoptant un ton tour à tour alarmiste – « gare à la pollution, au soleil, à la malbouffe, aux écrans, aux radicaux libres… » – et bienveillant puisque le problème semble heureusement découvert à temps.

Alors que l’industrie multiplie les signaux d’alerte pour s’adresser à la génération Y, ses termes sont plus édulcorés lorsqu’il s’agit des préseniors. Seules les marques vendues en pharmacie continuent à privilégier une sémantique plus médicale, où l’on appelle encore un chat un chat. « Les mots peau mature vous interpellent brutalement une fois que vous avez l’âge qui s’y rapporte, reconnaît Marie-Hélène Lair. Chez Clarins, nous préférons adopter un autre vocabulaire, se focaliser sur le but à atteindre, l’éclat notamment qui se ternit passé 50 ans. Nous sommes plutôt dans le « pro-aging »: le vieillissement est assumé, les actions à prendre sont présentées comme positives. La solution, davantage que le problème, est mise en avant. Les femmes sont aujourd’hui beaucoup plus lucides sur l’impact des cosmétiques. Elles savent que leur pouvoir sera d’apporter du confort, de la douceur, pas de faire disparaître les rides. »

Comme le précise aussi Véronique Delvigne, directrice scientifique chez Lancôme (lire encadré ci-dessous), l’image que l’on se fait d’une belle peau a également changé. « On est moins dans l’absence de rides que dans la fraîcheur, l’éclat, la vitalité. Ce qui est aspirationnel, aujourd’hui, c’est l’énergie! Il existe des produits capables de vous redonner du tonus, de corriger les stigmates de l’âge. » S’accepter, en mieux, passerait aussi par le plaisir que l’on prend à se faire du bien. De l’itération du geste viendrait l’assurance de résultat. Une sacrée injonction à la fidélité.

« Les événements de vie impactent aussi notre âge subjectif »

En moyenne, nous aurions tendance à nous percevoir neuf ans plus jeunes que notre âge réel. Un écart qui varie selon la décennie inscrite sur notre passeport. Cet âge subjectif, identifié par les gérontologues dans les années 50, n’est véritablement exploité en marketing que depuis le début des années 2000. « On sait aujourd’hui que les adolescents entre 15 et 19 ans se perçoivent deux ans plus âgés que leur âge effectif, détaille Denis Guiot, professeur de marketing à l’Université Paris Dauphine. Entre 20 et 29 ans, les jeunes adultes commencent progressivement à se rajeunir mais de manière légère, d’un an environ. Ensuite, plus vous allez vieillir objectivement, plus l’écart va se creuser. Entre 30 et 39 ans, on se rajeunit de 3 à 5 ans et cela culmine à 14 ans entre 60 et 75 ans. » Des chiffres qu’il convient toutefois de nuancer lorsque l’on s’intéresse, comme l’industrie cosmétique, à l’apparence physique. « Lorsque l’on étudie la notion d’âge subjectif, il faut prendre en compte ses deux dimensions, précise l’enseignant français. L’âge intérieur qui est celui que l’on ressent. Et l’âge extérieur, davantage défini par le reflet que nous renvoie notre miroir. Même si l’on aura tendance à aménager la perception que l’on aura de soi en se regardant, il est impossible de totalement nier la réalité. En dépit du processus psychologique de défense de l’image de soi qui se met en place, l’écart entre notre âge objectif et notre âge subjectif extérieur sera donc plus faible. » Tout le challenge de l’industrie cosmétique sera donc de tenir compte de ces deux écarts dans son message à la femme qui ne se sent pas vieillir… mais voit tout de même apparaître d’indéniables signes de l’âge.

3 questions à Véronique Delvigne

Directrice scientifique de Lancôme

Véronique Delvigne
Véronique Delvigne© LANCÔME

Cela a-t-il encore du sens de lier une tranche d’âge à un produit lorsque l’on sait que la peau peut vieillir plus ou moins rapidement selon le style de vie?

Les femmes ne font plus leur âge car elles ont appris à prendre soin de leur peau… mais ne le vivent plus non plus! Il est essentiel de distinguer l’âge des besoins et ceux-ci peuvent varier en fonction du moment. L’image que l’on a de soi s’ancre sur des considérations objectives – la petite ride qui dérange, la peau qui s’affaisse ou qui tire – mais aussi sur des émotions. Il y a des matins plus difficiles que d’autres, des tranches de vie plus éprouvantes qui peuvent vous faire prendre cinq ans d’un seul coup ! Plus que jamais, le rôle de la cosmétique désormais est d’aligner les images: celle que j’ai de moi-même et celle que la société me renvoie.

Le discours marketing a changé: on parle moins d’anti-âge, on bannit certains mots comme « peaux matures »… Ne risque-t-on pas de créer de la confusion?

Je suis convaincue que les femmes elles-mêmes sont les meilleures expertes qui soient des besoins de leur peau. En point de vente, il est essentiel que les conseillères puissent être à leur écoute pour les aider à mettre le doigt sur les vraies préoccupations: les pores, les rougeurs, le manque d’éclat, même ces petites rides que pourtant personne ne voit. Et les orienter ensuite vers ce qui leur convient.

Les attentes en termes de lutte contre le vieillissement cutané ont-elles aussi changé?

Bien sûr! Elles sont devenues transgénérationnelles, transethniques aussi. Ce qui est aspirationnel aujourd’hui, c’est l’énergie et on peut en avoir besoin aussi bien à 30 ans qu’à 50. Les rides sont mieux assumées. Les femmes sont plutôt en quête de fraîcheur, de densité, de fermeté. Le soin se doit désormais de séduire dès la première application, il doit procurer du plaisir, donner envie de réitérer l’expérience tous les jours. Car la performance viendra de la durée. En cosmétique, la fidélité est récompensée. Je crois beaucoup à l’instinct, et en beauté plus encore, il faut savoir l’écouter. Si vous trouvez le produit qui vous fait plaisir, qui vous donne ce grain de peau dont vous rêvez, gardez-le! C’est l’amour de votre vie.

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