Laura Lusuardi est une antistar. Une amoureuse des tissus, qui préfère se plonger dans ses archives de la mode, plutôt que de parader sur le devant de la scène. Celle qui coordonne toutes les collections de MaxMara fête cette année ses 45 ans de maison. En toute discrétion.

Sur Laura Lusuardi, on ne sait pas grand-chose, finalement. Cette Italienne de 64 ans supervise toutes les collections et marques du groupe MaxMara. Quelque 45 ans de maison, cette année. Un anniversaire à fêter en grande pompe ? Ce n’est pas le genre de cette créatrice réservée. Les interviews et les flashs crépitant, très peu pour elle. Surtout si c’est pour mettre en avant sa personne, et non la griffe à laquelle elle appartient.  » MaxMara, ce n’est pas moi. C’est un groupe de travail. Aucunement des individualités. Toute seule, je ne peux rien faireà « , insiste-t-elle, sobrement vêtue d’une chemise et d’un pantalon en lin gris perle. Le côté star et paillettes de la mode ne l’intéresse pas non plus.  » Je préfère me consacrer à mon travail, faire avancer les choses. Derrière un vêtement, il y a tout une recherche sur les matières, les tissus. Cela me fascine nettement plus ! « 

En vacances cet hiver à New York avec sa famille, Laura Lusuardi ne s’est pas séparée de son petit appareil photo. Non pas pour engranger des souvenirs personnels. Mais bien pour immortaliser les femmes qu’elle croise au détour d’une avenue, chaudement emmitouflées dans leur manteau MaxMara.  » C’est merveilleux de les entendre dire qu’elles aiment et sont fières de leur vêtement, qu’il soit neuf ou ait plusieurs années d’ancienneté, confie l’Italienne. C’est pour moi une grande satisfaction ! J’apprécie rencontrer nos clientes. Je passe d’ailleurs beaucoup de temps dans nos boutiquesà « 

Le contact direct avec la clientèle, la créatrice connaît. Elle a grandi dans le magasin de textile et vêtements de ses parents, dans la région de Reggio Emilia, la capitale du parmesan. Et c’est tout naturellement son père qui lui a transmis sa passion pour les tissus.  » J’ai découvert l’univers de la mode à ses côtés.  » De quoi titiller son envie d’en apprendre davantage. A tout juste 19 ans, la voilà donc qui frappe à la porte de MaxMara, la griffe installée non loin de chez elleà

Des débuts comme coffee girl

 » J’ai commencé comme stagiaire, en tant que collaboratrice à tout faire. Une vraie coffee girl ! Heureusement, j’ai eu l’opportunité de côtoyer rapidement des personnes qui m’ont énormément enseignée.  » Laura Lusuardi est en effet affectée auprès d’Antonia Montanini, responsable du développement des prototypes. Tout en aidant à gauche et à droite, elle peut observer et voir ce qui s’élabore.  » Ensuite, j’ai progressivement tracé ma route. Jusqu’au bureau d’étude, où j’ai eu la grande chance d’apprendre directement le métier, aux côtés du directeur Achille Maramotti. Il était le seul qui décidait du produit  » (*).

A l’époque, MaxMara n’a pas encore la taille qu’on lui connaît aujourd’hui – soit un chiffre d’affaires de 1 250 millions d’euros pour 2007, 22 marques et plus de 2360 boutiques réparties dans le monde. L’entreprise a été créée quelques années plus tôt, en 1951, en pariant sur le développement futur du prêt-à-porter.  » Je suis entrée chez MaxMara au moment où on ne réalisait que deux collections par an. Je me suis donc formée petit à petit, en grandissant en même temps que la société. Tous ses développements font partie intégrante de ma vie. Ils m’appartiennent. Et actuellement, ce sont 35 collections que je superviseà « 

Lorsque le patron de MaxMara décide de lancer une deuxième marque plus jeune – SportMax -, c’est vers la jeune créatrice qu’il se tourne. Plutôt que de donner sa chance à un styliste français prometteur, cet amoureux des arts préfère puiser au sein de son vivier de jeunes talents, afin d’assurer le maintien des valeurs de la société : priorité à la simplicité, la modernité, la qualité et la perfection. Et qui d’autre, mieux que la discrète et rigoureuse Laura, peut garantir cette philosophie ?

Avec les plus grands

Achille Maramotti ne s’est pas trompé de casting. Au fil des ans, la fashion coordinator zélée prendra sur ses épaules la supervision de toutes les marques qui sont progressivement lancées. Elle veille à la bonne structure des collections, évalue les vêtements qui ne sont pas en phase avec le  » total look « ,supervise le bureau des créateurs qui collaborent un temps avec MaxMaraà Des talents émergents viendront d’ailleurs y faire leurs armes : Karl Lagerfeld, Jean-Charles de Castelbajac, Emmanuelle Khanh, Dolce & Gabbana, Narciso Rodriguezà Son préféré ? Guy Paulin, pour la manière unique dont il faisait naître un vêtement, d’un trait sans faille.  » C’est le choix de la famille Maramotti de collaborer avec les meilleurs créateurs, sans pour autant communiquer sur leur nom, détaille Laura Lusuardi. Mais nous travaillons aussi avec de jeunes stylistes, qui proviennent d’écoles internationales. Cela fait partie de mon métier de les repérer et de les recruter. Ils apportent du renouveau et évitent que MaxMara ne se sclérose. « 

Pour aider ses équipes dans leur processus de création, la fashion coordinator est l’une des principales instigatrices, en 2005, d’une bibliothèque, riche de plus de 2 000 ouvrages sur l’art, l’histoire ou le cinéma. Sans oublier près de 300 titres de mode, dont Le Vif Weekend.  » Il faut bien connaître ses racines, savoir d’où l’on vient, pour s’inspirer et aller de l’avant.  » A côté de cela, Laura Lusuardi a légué à MaxMara de nombreuses pièces vintage, qu’elle collectionne amoureusement depuis les années 1960. Celles-ci constituent un noyau dur d’archives, comprenant aussi 50 000 articles, comme des vêtements de mode, accessoires, croquis, photographies, tissus, matériels publicitairesà  » Je le fais pour la jeune génération. Il faut qu’elle s’en imprègne, pour créer quelque chose de nouveau. L’inspiration peut se trouver dans un détail, comme une broderie ou une finition, qui peut ensuite être transformé et actualisé. Je crois beaucoup en l’utilité de ces archives. « 

C’est sa très grande connaissance du vêtement qui a contribué à bâtir la réputation de Laura Lusuardi.  » Il est très important de connaître les nouveautés du marché, que ce soit en termes de techniques de production industrielle ou de recherches menées sur les tissus et les autres matériaux. Par ailleurs, les réalisations des autres me stimulent. J’essaie dès lors de me tenir au courant de tout ce qui se passe. Il est primordial de garder l’esprit ouvert, de voyager dans le monde, d’observer, de faire le plein d’idées.  » Autres caractéristiques de la créatrice, fan de tortellinis au bouillon : son exigence et sa ténacité. Elle vérifie tout, que ce soit dans l’usine ou dans les boutiques.  » Si la fabrication ou la disposition des articles ne sont pas parfaites, la créativité ne sert à rien ! Je préfère m’appesantir sur ce qui fonctionne moins bien, plutôt que de perdre du temps à jeter des fleurs. Mais cette critique constructive est toujours complétée par une bonne dose d’optimisme. « 

En quarante-cinq ans de maison, Laura Lusuardi, mère de deux enfants, n’a jamais envisagé de travailler ailleurs. Et sa retraite ?  » Je n’y pense pas ! Je continuerai à exercer ce métier, tant que j’ai de l’énergie positive et que cela me porte.  » Quant à savoir ce qu’elle fera ensuiteà mystère. Sûrement s’adonner à ses deux grandes passions, auxquelles elle consacre actuellement trop peu de temps : voyager (pour le plaisir, cette fois !) et s’occuper de son jardin et de ses fleurs. Nul doute aussi qu’elle conseillera sa fille, vraie fashionista qui souhaite travailler dans le secteur de la mode et a d’ailleurs effectué un stage au Teen Vogue, à New York. La relève est décidément assurée. Dans un tout autre style.

(*) Coats ! MaxMara, 55 years of Italian Fashion, édition Adelheid Rasche, 2006.

Catherine Pleeck

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