La mode en résistance

Missoni © IMAXTREE

Sensible aux changements de société, la sphère fashion s’engage, avec des collections et des shows toujours plus politisés. Place à la liberté, à la diversité et à une féminité portée en étendard, que ce soit en costume d’homme ou en cuissardes.

Le Brexit ou l’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Il n’en fallait pas plus pour que la mode se dresse sur ses talons de 12 et dise sa façon de penser. Cela a commencé à Big Apple, traditionnelle première étape du marathon qui voit deux fois par an s’enchaîner les Fashion Weeks de New York, Londres, Milan et Paris. En accompagnement des présentations des collections automne-hiver 17-18, certains créateurs ont fait rythmer propositions stylistiques et statement politique.

Le désormais célèbre bandana blanc, symbole d’unité et de solidarité, a ainsi été fièrement arboré par mannequins ou directeurs artistiques durant les shows de Calvin Klein, Prabal Gurung, Tommy Hilfiger et Thakoon. Du côté de la créatrice Mara Hoffman, ce sont les quatre fondatrices de la marche des femmes du 21 janvier qui étaient invitées à lire un manifeste percutant pour les droits des femmes. Même réflexion et ode à l’esprit combatif des Américains chez Proenza Schouler ou Public School, tandis que la marque mexicaine LRS Studios de Raul Solis s’est servie de petites culottes immaculées, pour brandir le message  » Fuck Your Wall « .

A Milan, le POTUS n’a pas non plus laissé indifférent. Le slogan  » Equality « , martelé de façon robotique, faisait office de bande-son chez Versace. Des pussy hats, ces bonnets roses portés pendant la marche des femmes à Washington, étaient déposés sur les sièges des invités de Missoni ou vissés sur le crâne des mannequins et membres de la famille fondatrice du label, au moment du final, parce que  » oui, on peut faire quelque chose, on peut se lever et marcher « . Chez Prada, c’est une vaste question – qu’est-ce qui rend les femmes séduisantes ? – qui a préoccupé la créatrice, féministe de la première heure, forcément touchée par les événements récents. La voilà donc qui décore de plumes et broderies ses vêtements du quotidien – cardigan, jupe crayon, chemisier – tout en twistant de franges de perles ses fourrures et ses vestes en cuir épais, telles des carapaces.

Autre sujet en première ligne des conversations : la diversité sur le catwalk. Tandis que Prabal Gurung mettait à l’honneur les rondes Candice Huffine (taille 44) et Marquita Pring (46), la top voilée Halima Aden défilait pour MaxMara et Alberta Ferretti. AnaOno, quant à elle, faisait arpenter son podium par des femmes ayant eu un cancer du sein – la clientèle-cible pour sa lingerie. Sur fond de gossips virtuels, Lanvin s’est par ailleurs vu reprocher de ne pas avoir sélectionné de mannequins de couleur pour son show ; tout faux, s’est insurgée sa directrice de la création Bouchra Jarrar, qui a mis la Portoricaine Joan Smalls ou la Jamaïcaine Alicia Burke en vedettes lors de son événement.

Pour son centième défilé, le Belge Dries Van Noten a convié toutes ces belles personnalités, forcément moins jeunes, qui l’ont accompagné depuis trente ans – Amber Valletta, Elise Crombez ou Carolyn Murphy, pour ne citer qu’elles. Une prise de position encore plus affirmée chez l’Irlandaise Simone Rocha, qui a choisi des légendes du mannequinat, toutes âgées de plus de 50 ans. Notons enfin la réédition du buzz mondial imaginé par Dolce & Gabbana : comme en janvier dernier, les deux Italiens ont invité sur leur podium tout ce qu’Internet compte comme influenceurs et influenceuses, quels que soient leur âge ou leurs mensurations, pourvu qu’ils soient suivis sur le Net par un maximum de followers. Opportunisme marketing ou représentation de façade ? Qu’importe finalement, du moment que la mode ne nous montre pas qu’un seul visage…

SUR DU VELOURS

Il signe pour une saison supplémentaire. Déjà fortement présent, notamment au niveau des accessoires, le velours joue les prolongations l’hiver prochain. On l’aime ras et dense, presque brillant, comme chez Véronique Leroy ou Giorgio Armani. Mais aussi à grosses côtes, dans une version plus rétro et tradi, obligatoirement modernisée. Exemples à suivre du côté de Lacoste, Paul & Joe ou Prada.

PRETTY WOMAN

Joue-la comme Bella. Avec un prince-de-galles revisité, un blouson cropped, une jupe longue über fendue et des cuissardes de la même veine. Chez Off-White, il s’agit de montrer qu’on a autre chose dans le ventre que des basiques dont on aurait juste changé les étiquettes avec un certain cynisme. En guise de message préalable, sur l’invitation, un  » Nothing new  » entre guillemets, une Joconde à moustache et une signature, R. Mutt 1917 vue sur Fontaine, le ready-made de Marcel Duchamp. Virgil Abloh sait titiller les gens, lui qui a lancé son label à Milan en 2013. Il semble qu’il faille désormais compter avec lui – la rumeur veut qu’il serait attendu chez Givenchy. Avec cet Américain prolifique, décomplexé et touche-à-tout, par ailleurs diplômé d’architecture et directeur créatif de Kanye West, il y a de la place pour l’art/les artistes/les it girls/l’ici et maintenant/le streetwear réapproprié comme embourgeoisé. Il s’amuse des mots, qu’il applique sur ses cuissardes aventureuses, un  » For walking  » qui en affine l’usage. Quant à sa dentelle, il la labélise de petites lettres blanches brodées  » Off-White TM  » – on sait la valeur des logos décuplée par l’hyperconnexion.

OBSESSION BLOUSON

L’influence sportswear ne cesse de truster les podiums. Mais cette fois, le blouson quitte ses références  » street  » ou  » campus universitaires  » pour endosser un caractère plus moderne, chic et original. En fourrure accompagnée de headbands de sportifs pour Gucci. Dans un esprit ethnique chez Etro ou seventies mêlant cuir et tricot, du côté de Prada. Légèrement matelassé et doté d’imprimés reconnaissables entre mille, pour Dries Van Noten. Un modèle fleuri pour Kenzo ou immaculé pour Sportmax… On aura l’embarras du choix.

5 DÉTAILS QUI CHANGENT TOUT

5 DÉTAILS QUI CHANGENT TOUT

BAL COSTUMÉ

Est-ce l’influence de Hillary Clinton, adepte du costume au féminin ? Toujours est-il que celui-ci se taille un joli succès dans les collections. Composé principalement d’une veste et d’un pantalon ample et évasé, il se décline sur tous les tons. En version monochrome et colorée de la tête aux pieds, comme chez Trussardi et Jil Sander. Avec imprimés à gogo, chez Marni ou Dolce & Gabbana. Dans un tissu masculin, à la manière de Fay ou Calvin Klein, où le Belge Raf Simons faisait d’ailleurs ses débuts comme directeur artistique du label. Le truc en plus ? Opter pour un double boutonnage au niveau du blazer, autre tendance en vue également l’hiver prochain.

JOYEUX PATCHWORK

La créativité se mesure aussi dans l’association des matières ou dans le mix des couleurs. On joue sur les textures. On superpose, on déstructure. On combine fourrure et matières techniques, cuir et laine, dentelles et matériaux rigides. Même exercice de style du côté du nuancier, qui voit portés côte à côte rose et rouge, le trio brun, noir et blanc, l’alliance du turquoise et du vert, ou encore fuchsia, bleu et curry, à la manière d’Aquilano Rimondi. Parfait pour faire fuir la morosité.

SCINTILLER, DIT-IL

Quand on quitte la Terre à bord d’une fusée spatiale, que l’on part vérifier s’il y a de la vie sur Mars et où s’en vont mourir les météorites, mieux vaut adapter sa garde-robe au grand voyage. Message signé Karl Lagerfeld pour Chanel, reçu 5 sur 5. La palette chromatique du firmament futuriste ? Du glitter, des reflets argentés, de l’irisé, même le tweed, les mitaines et la couverture de survie matelassée – car le confort compte, les matières sont donc pur luxe, souvent ennoblies, les ateliers de la rue Cambon ont une main qu’il serait dommage de ne pas honorer. Qui a dit qu’il était  » très démodé de penser que le scintillement n’était réservé qu’aux nightclubs  » ? Monsieur Karl pour Mademoiselle Coco, CQFD.

THINK PINK

Ne pas croire que la mode déclasse plus vite que son ombre. Si le rose quartz fut la couleur Pantone de l’année 2016, il a encore de beaux jours devant lui. Et toutes ses déclinaisons aussi, rien de tel pour enjouer l’hiver, Guillaume Henry chez Nina Ricci ne dit pas le contraire. Il le dope même de sequins, de franges extra-longues, de poils généreux et de dentelle racée, il est d’humeur joyeuse et élégante, sa cow-girl a dû pratiquer le rodéo avant de chiquiser son vestiaire et de détourner les bolo-ties ou les chaps de ses confrères. A force d’entendre parler des Etats-Unis d’Amérique, il n’est pas interdit de se les réapproprier avec style, n’est-ce pas ? Quant au rose plus soutenu, chacun dans son genre en fait le meilleur usage possible, Balenciaga et Hermès en tête.

YSL PAR AV

Une deuxième collection est un défi, voire un cap. D’autant plus s’il s’agit de signer celle de la maison Saint Laurent, chacun ayant sa définition de ce que devrait être l’héritage de monsieur Yves. Anthony Vaccarello ne se trouble guère ni ne plie l’échine sous le poids des diktats. Dans la cour du futur siège de la maison, rue de Bellechasse, des échafaudages recouverts de voiles blancs et striés de néons servent de décor au show du créateur belge. Il est passé maître dans l’art d’emporter son public, ses tops et cette griffe qu’il honore. En un crescendo puissant, il fait défiler sa maîtrise du vocabulaire YSL, mâtiné de ses codes à lui. Les cuirs sont drapés, les dentelles transparentes, les noeuds de velours, les volants show-off, le brillant brillant. Pour la première fois, il signe un vestiaire Homme, certes court mais affûté, porté de même par la femme. Et quand il fait défiler le soir, mêlant le sexy et le luxe, il se souvient combien Saint Laurent brillait les nuits de fête. Mieux qu’un hommage.

SUPERLATIFS

Paris est le lieu de tous les superlatifs. Et au petit jeu du Guinness Book, les maisons de luxe françaises remportent la palme. Ici, une fusée de 35 m de hauteur avec vraie mise à feu, là, un musée,  » le plus visité au monde « , privatisé le temps d’un défilé, certes le mardi est jour de fermeture officielle mais tout de même, la force de frappe de LVMH est de l’ordre du colossal… Car Louis Vuitton s’est en effet offert la Cour Marly, au Louvre, 7 millions d’entrées par an et un décor naturel fait de statuaire française marmoréenne des XVIIe et XVIIIe siècles.  » Nous sommes au Louvre et il est ouvert à tous les peuples, il ne devrait pas y avoir de frontières ici, je voulais que la collection reflète tout cela.  » La précision est signée Nicolas Ghesquière visiblement en phase avec un discours  » trans  » désormais cher à la mode. Ce qui n’enlève rien, au contraire, à ses silhouettes nerveuses, à ses codes puisés dans le sportswear, à ses robes nuisettes d’un nouveau style et à sa créativité ainsi magnifiée.

LE ROUGE ET LE BRUN

Deux teintes sortent du lot sur les podiums. Le rouge burgundy (traduisez bordeaux), intense, qui vient réchauffer n’importe quel look – voyez du côté de Fendi ou Vionnet. Mais le brun n’est pas en reste, qu’il soit chocolat, tabac, marron ou grège. Le must : combiner différentes nuances sur un même look, comme le démontrent parfaitement Balmain, MaxMara ou Diesel Black Gold. A noter que cette couleur se marie de façon sublime au bleu cobalt, autre star de la saison.

FUR, FUR, FUR

De la douceur avant toute chose ; il n’y a jamais d’overdose en matière de fourrure. Comme chez Miu Miu, qui s’est installé au très sérieux siège du Conseil économique, social et environnemental du palais Iéna et lui a filé un coup de jeune en recouvrant ses murs, ses rampes, ses escaliers de pelisse parme. Dans ce cocon étrange, limite régressif, les filles pensées par Miuccia Prada n’en font qu’à leur tête, toute disproportion assumée, elles s’engoncent dans leur manteau de fourrure – fausse ou non -, monochrome ou bi ou multi, en une fraîche variation pastel, un style en soi composé de mélanges qui n’ont rien de hasardeux, un je-ne-sais-quoi d’ultralibéré et sans a priori qui fait office de bain de jouvence. L’air du temps veut que ce genre de protection rapprochée soit aussi de mise chez Sacai, Loewe ou Y/Project – le peau à peau comme alternative au XXIe siècle.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON ET CATHERINE PLEECK

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