La cité arctique entend rompre avec les clichés. Même au coeur de l’hiver, il y a une vie au-delà du cercle polaire. Ce port norvégien, autrefois base des baleiniers, est devenu une ville cosmopolite et dynamique.

Contrairement à l’idée solidement ancrée dans les mentalités des pays ensoleillés, le monde polaire est loin d’être sans vie, engourdi par un froid permanent et dans une obscurité de nuits sans fin. Tromsí, ville la plus septentrionale du continent européen, prouve que l’on ne s’ennuie guère au-delà du cercle polaire, près du 70e parallèle. Sans doute la population, très hétérogène et plutôt juvénile, doit-elle sa bonne humeur et sa vivacité à la surprenante douceur du climat : au coeur de l’hiver, le thermomètre descend rarement sous – 5° C. Un cadeau du Gulf Stream, qui remonte le long de cette côte déchirée de fjords jusqu’à la bordure sud du Spitzberg, dernière frontière avant le grand silence blanc.

Sa position avancée à la pointe de la Scandinavie a, depuis la fin du XVIIe siècle, favorisé l’essor du port de Tromsí, devenu, aujourd’hui, le centre le plus important de la mer de Barents. Dès le XIIe siècle, les rois de Norvège avaient manifesté leur intérêt pour cette lointaine colonie de pêcheurs de baleine. Mais ce n’est qu’en 1794 que la ville obtint sa charte. Depuis, la population de petits clans d’autochtones samis (ou, plus vulgairement, lapons) n’a cessé de s’enrichir : d’abord de Norvégiens de souche viking, puis d’immigrés suédois et finlandais attirés par le développement croissant de la pêche. Plus récemment, des Italiens, des Slovènes, et même des Mongols et des Somaliens, sont venus donner aux rues de la cité un caractère cosmopolite inhabituel sous ces latitudes. Récemment encore, l’activité de Tromsí était principalement dirigée vers la mer : port d’attache de baleiniers, étape sur la route des mers froides pour les pêcheurs de saumon et de morue, comme pour les chasseurs de mammifères marins – phoques, morses, mais aussi ours blancs. Ces derniers, victimes d’un massacre aussi aveugle qu’inutile, sont enfin protégés, après avoir frôlé l’extinction.

Accessible en toutes saisons, la ville a servi de base de départ pour les grandes expéditions polaires de Fridtjof Nansen et Roald Amundsen, qui y recrutaient leurs équipages. Héros norvégien légendaire, Amundsen est célébré aux quatre coins de la ville : statue, musée, maison natale et remarquable centre d’études lui sont dédiés. Une bonne partie de la  » Cité arctique  » – comme Tromsí apprécie qu’on la surnomme – est désormais investie par une population jeune et dynamique, venue de tout le pays afin d’y étudier, au sein d’une vaste et moderne université, les conditions de vie dans l’extrême Nord : espace sauvage, plantes et animaux terrestres et marins, variété des cultures, indigènes, et importées, ressources minérales, évolution climatique due au réchauffement de la planète… L’écosystème de ces lieux privilégiés est, en effet, constamment menacé par les pollutions de l’eau et de l’atmosphère. Le centre Polaria en examine les conséquences, propose des remèdes et met le résultat de ses recherches à la disposition du public, dans sa bibliothèque et ses salles d’exposition. La poussée vers le nord des économies nouvelles se fait aussi sentir à Tromsí. De nombreuses sociétés fonctionnant sur le réseau Internet s’y sont installées, favorisant le développement d’une vie urbaine qu’il faut approvisionner en produits de consommation et en énergie électrique, aussi bien que distraire en multipliant cafés, restaurants et lieux culturels, toujours très animés.

Le paysage alentour a cependant conservé un charme que les néons de la ville ne parviennent pas à estomper. Dans le vieux quartier de Skansen (milieu du XVIIIe siècle), l’or des lumières intérieures donne aux maisons de bois cet aspect féerique qui rappelle aux enfants que le Père Noël est originaire de ces contrées. Plus bas sur le marché se rassemblent, depuis deux siècles, les commerçants norvégiens, suédois et finlandais, venus échanger viandes, tissages et produits importés du  » sous-continent  » européen. La longue nuit hivernale, qui commence le 21 novembre et s’achève fin janvier, ne semble pas rebuter les gens de Tromsí, réputés pour leur côté bon vivant et même leur frivolité. Dès qu’apparaît le premier rayon de soleil, des jeunes filles se promènent en riant fort, bras dessus bras dessous par les rues enneigées, offrant un singulier contraste avec la mélancolie d’un paysage de collines et de montagnes où s’effilochent des bancs de brume. En toutes saisons, une petite foule aux corps solidement charpentés se livre à des sports partout ailleurs considérés comme exténuants : ski nordique, pratiqué sur 70 kilomètres de piste dont une bonne partie, éclairée en hiver, traverse la ville, ou bien course à pied, lors du fameux Midnight Sun Marathon, début juillet. Les plus paresseux se contentent de prendre le téléphérique du Fjellheisen (1 238 mètres d’altitude) pour aller admirer les aurores boréales – les fameuses  » lumières du Nord  » – déployant leurs voiles chatoyantes de couleurs glacées dans toute une gamme de verts cristallins.

Un autre spectacle attend le voyageur estival : une promenade de cinq heures parmi des paysages sublimes sous la belle lumière mordorée du soleil de minuit, à bord du ferry qui cabote entre les petites îles du large. Il peut aussi prendre un autocar au départ de Tromsí et traverser la presqu’île de Lyngen pour contempler son relief montagneux aux pentes escarpées, érodées par les glaces qui glissent lentement vers la mer. Après Skjervíy, la route du retour s’effectue par l’express côtier, le gros bateau reliant les nombreux villages de pêcheurs nichés au creux des fjords. Ce voyageur aura sans doute la chance de croiser des bergers samis menant la transhumance de grands troupeaux de rennes qui peuvent compter plusieurs milliers de têtes. Il pourra profiter de la légendaire hospitalité de ce peuple que, par dérision, on appelle lapon, sans doute à cause de son habitat nomade, le lavvo, un tipi où il fait bon goûter un solide pot-au-feu de renne ou d’élan après une randonnée sur la toundra. Il fait bon s’y balader, même en hiver : emmitouflé sur un traîneau tiré par une douzaine de chiens huskies, le promeneur ira jusque sur un bras de mer gelée lancer une ligne dans le trou découpé à la scie, pour pêcher un saumon ou un lieu noir que les cuisiniers de Tromsí sauront préparer en leur conservant toute leur saveur.

Alain Dister

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content