Elle a séduit Prince, mis le feu à L’Olympia, vient d’être couronnée à trois reprises lors des Music Industry Awards, en Flandre, ce 10 décembre, et s’apprête à lancer son album en Grande-Bretagne et aux États-Unis. La frêle artiste belge à la voix qui cogne se raconte pour Le Vif Weekend.

Pieds nus, robe blanche, des escarpins à talons hauts de 12 centimètres à la main, elle descend l’escalier d’un hôtel où nous nous sommes donné rendez-vous. Une cascade de cheveux blonds en pagaille, des traces d’oreiller sur la joue, un sourire dans le café qu’elle fixe de ses yeux bleu acier… Selah Sue, 22 ans : une voix éraillée et une guitare qui fait corps avec elle. Possédée par la musique, elle chante des ballades intimes au bord de la déchirure, toaste comme une Jamaïquaine, swingue, rappe, grimpe dans des aigus qui évoquent le chant des baleines. Incroyable destin que celui de cette jeune femme revenue d’une dépression à l’âge de 13 ans. Ses vidéos postées sur Internet l’ont catapultée en un temps record de son village de Leefdaal, en Brabant flamand, au pays des merveilles et des comètes musicales. Elle en connaît déjà l’envers du décor… Mais Sanne Putseys – son vrai nom – a l’allure d’une walkyrie. Elle ne craint pas la chute, avance à grandes enjambées. Ce 10 décembre, elle a été sacrée Artiste féminine de l’année et a reçu les Awards du meilleur album et des meilleures ventes, lors des Music Industry Awards (MIA’s) décernés au nord de notre pays. De quoi lui donner des ailes pour 2012.

Votre disque est sur toutes les lèvres. Prince a dit de vous :  » Selah respire la musique.  » Benjamin Biolay :  » Sa voix me bouleverse. Elle ira très loin.  » Alors ?

Je suis heureuse, flattée. Tout est allé tellement vite que c’en est presque surréaliste. Mais, pour être honnête, la célébrité n’a jamais été mon rêve. Ce qui me touche, c’est que beaucoup de personnes éprouvent quelque chose en écoutant ma musique. Dernièrement, lors d’un concert, je chantais Break, l’une de mes ballades les plus personnelles, et j’ai aperçu au premier rang une jeune fille qui pleurait… Cela m’a bouleversée. Si c’est ça, le succès, j’en suis avide.

Lorsqu’on vous voit sur scène, on est impressionné par votre assurance. Avez-vous grandi dans un milieu artistique ?

Non ! La musique est même arrivée tard dans ma vie. Ma mère est infirmière, mon père, comptable. Enfant, je rêvais de devenir ballerine. De 6 à 12 ans, je prenais des cours de danse classique, j’étais une gamine joyeuse… Puis, à la puberté, tout s’est effondré. Rien n’avait de sens : c’était une dépression. Je souffrais d’attaques de panique, de crises d’identité, je me sentais cloîtrée en moi-même. Je me trouvais nulle, moche, j’étais désespérée, sans savoir pourquoi… Le moindre geste quotidien me paraissait insurmontable. La raison ? Mes grands-parents avaient souffert eux aussi de graves dépressions… Ma relation avec ma mère, à qui j’ai dédié la chanson Mommy, était sans doute trop fusionnelle… J’ai commencé une thérapie, qui a duré six ans.

Et la musique est entrée dans votre vie.

À 14 ans, j’ai découvert Lauryn Hill (l’ex-chanteuse de The Fugees). Quel choc ! Sa chanson Selah m’a inspiré mon nom de scène. C’est un mot biblique qui signifie  » louange et méditation « . J’ai ressenti un besoin instinctif de jouer d’un instrument et j’ai appris la guitare classique au conservatoire. J’étais tellement passionnée que je jouais sans répit, de façon obsessionnelle. J’étais en avance d’un an sur le programme… En parallèle, je composais mes propres titres. Mon tout premier morceau, Explanations, figure sur mon album. Je n’ai jamais pris de cours de chant… J’ai l’oreille absolue, mais je ne maîtrise pas ma voix : elle sort, c’est tout ce que je sais.

Cette passion vous a-t-elle aidée à sortir de la dépression ?

Elle m’a permis de me rapprocher de moi. Dans mes chansons, je parle de mes sentiments, de mes doutes… Mais on ne sort pas d’une dépression grâce à la musique, par magie ! Aujourd’hui, je vais bien, mais j’ai besoin de faire le point avec mon psy une fois tous les trois mois. D’ailleurs, j’ai failli être psy moi-même. J’étais inscrite en psychologie à la faculté de Louvain. J’ai abandonné à 20 ans.

Vous aviez déjà du succès avant la sortie de votre album… En 2009, vos chansons étaient plébiscitées par des milliers d’internautes – dont Moby et Prince !

Je n’avais jamais pensé que chanter serait mon métier. Je postais mes compositions sur MySpace, poussée par un besoin de partage. En 2007, j’ai donné un concert dans un bar. Le chanteur Milow, qui s’y trouvait, m’a proposé d’assurer la première partie de sa tournée européenne. Du coup, j’ai écrit une dizaine de chansons en quelques mois ! Monter sur scène ne m’a jamais fait peur, mais chanter aux côtés d’autres musiciens me terrorisait. Heureusement, la curiosité a pris le dessus. La curiosité est ce qui me définit le mieux. Par exemple, je suis incapable de rester cantonnée à un style, c’est pourquoi ma musique est déstructurée : je peux passer, dans le même morceau, du funk au ragga, du hip-hop à l’électro, d’une atmosphère festive avec des beats qui cognent à un climat confidentiel… C’est ce qui a plu à Patrice, qui a produit mon album, à Ben l’Oncle Soul, qui y chante… Et puis à Moby et à Prince.

Prince vous a invitée en première partie de son concert, à Anvers, en novembre 2010…

Incroyable ! Nous avons parlé pendant une heure. Prince m’a dit qu’il me suivait de près et m’a donné des conseils :  » Ne fais confiance qu’à toi-même  » ;  » Sois ton propre agent  » ;  » Ne te laisse jamais salir par les lois du marché.  » Je lui ai demandé si je devais améliorer mon jeu de guitare. Il m’a répondu :  » Non, tu dois simplement connaître les accords de base…  » Après quoi, il a pris sa guitare et m’a joué un mi mineur de sept façons différentes ! Dans mon enthousiasme, j’ai prononcé le mot  » Fuck !  » Il m’a  » grondée  » :  » Si tu jures, tous tes cheveux tomberont !  » Nous sommes restés en contact et il y aura peut-être une surprise dans mon prochain album…

Avec plus de 200 concerts en un an et une énergie phénoménale sur scène, comment gardez-vous le cap ?

Je m’impose des limites. Cet été, il m’est arrivé d’enchaîner cinq concerts en une semaine, sans compter la  » promo « . Un jour, je me suis réveillée fiévreuse, stressée et sans voix. On m’a détecté un hématome dans la gorge : trop d’efforts. Heureusement, il s’est absorbé, mais j’ai compris que j’étais arrivée au point de rupture. Quand Amy Winehouse est morte, j’ai chanté pour elle : je comprends ce qui lui est arrivé. C’est pour cela que je reste fidèle à ce qui compte pour moi. Ma famille, ma ville – où je continue de vivre -, mon groupe, composé de musiciens belges, parmi lesquels mon amoureux… Quelqu’un a dit de moi :  » Le joyau Selah Sue est né. Reste à le polir.  » Il n’en est pas question ! Je ne suis pas une courbe lisse, mais une série de cahots. n

Selah Sue sera en concert au Zénith à Paris, le 28 mars, et à l’Aéronef de Lille, le 30 mars prochain.

PAR PAOLA GENONE

 » JE SUIS INCAPABLE DE RESTER CANTONNÉE À UN STYLE. C’EST POURQUOI MA MUSIQUE EST DÉSTRUCTURÉE. « 

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