Une enfant Suzuki, une âme de chambriste, un violon baptisé Valentine, un quatuor Alfama. Céline Bodson, en harmonie.

Elle est arrivée au rendez-vous à vélo, dans une petite robe Sandrina Fasoli que l’on croirait faite pour elle, avec un sac Own en bandoulière mais sans son violon, qu’elle a laissé chez elle, à portée du canal de Willebroek, à Bruxelles, parce qu’on ne se promène pas comme ça n’importe où, n’importe quand avec l’instrument qui  » structure  » votre  » vie « , vos  » émotions « , vos  » pensées « . D’ailleurs, il y a longtemps, quand Céline Bodson se battait  » comme une lionne  » et que c’était l’époque des vaches maigres, elle ne l’aurait pourtant pas emmené dans le métro, faire virevolter son archet et quémander une piécette. Elle connaît trop l’importance vitale de préserver cet univers-là, le sien.

Pour l’instant, elle est toute à ce Quartettsatz, que l’on trouvera bientôt chez les disquaires, le 28 avril – c’est le troisième disque du Quatuor Alfama, jeune formation belge subtile et élégante qui réunit Elsa de Lacerda, 1er violon, Céline Bodson, 2e violon, Kris Hellemans, alto et Renaat Ackaert, violoncelle. Ils l’ont enregistré à Flagey en décembre dernier, durant trois jours  » intensifs « , mais sur un nuage –  » Il y a des lieux où il faut travailler chaque note, comme bêcher son jardin, tirer un maximum de sons de son instrument ; il y a des lieux où c’est le tapis rouge, on est porté…  » Flagey bien entendu est de ceux-là, pensez si cela s’entend sur leur Quartettsatz, qui les vit pousser  » la porte du jardin, discrète, si belle, qui nous emmène au c£ur d’un répertoire confidentiel et surprenant  » avec, notamment,  » un petit bijou post-romantique  » de Webern, un Presto en ut majeur de Schoenberg presque inconnu, un Britten fantasque et une romance en Sol mineur d’un jeune Rachmaninov lyrique à souhait.

 » On n’a jamais fini d’étudier avec un quatuor, on commence et l’univers est très étendu, la vie au lieu de faire juste ça, elle fait ça « , elle laisse ses mains, ses bras prendre de l’ampleur, gracieusement, puis rebondit, s’enchante de cette  » affaire de famille « , évoque ses maîtres, Eberhard Feltz ou Gilles Millet du Quatuor Danel, qui joua le directeur artistique sur ce disque,  » il a su tirer de nous le meilleur, c’est cela qui fait les grands professeurs. « 

On imagine mal sa vie d’avant, avant le violon, elle aussi d’ailleurs, tout lui paraît flou, sauf les instants de musique, après.  » Je suis une enfant Suzuki « , elle a 5 ans, émerveillement, elle découvre très vite le plaisir des duos, quel intérêt de jouer tout seul dans sa chambre devant son pupitre ? Elle est chambriste dans l’âme, construit aussi des cabanes dans les bois et grandit très naturellement –  » la musique est devenue ma maison « . Aujourd’hui, à l’extrême, quand un orage du soir la laisse tremblante, loin de chez elle, Céline plonge dans la musique, le concerto de Beethoven pour violon, par exemple, il n’y a pas plus grand apaisement. La suite de son apprentissage ?  » Très organique « , des humanités artistiques au Lycée Martin V ( » par besoin d’avoir des fenêtres « ), le violon au Conservatoire de Maastricht et la musique de chambre au Conservatoire de Liège, des master classes  » avec des violonistes merveilleux, qui savent transmettre « , et si proches de sa  » sensibilité « , elle qui ne cherche rien d’autre que le partage, la fraternité, le respect, les références aux pères de son instrument. Le sien, elle en est tombée amoureuse à Kuhmo, en Finlande, lors d’un festival de musique de chambre, cinq concerts par jour, le soir qui ne tombe jamais et la journée qui se termine par un plongeon dans le lac. Elle le cherchait depuis  » très très longtemps « , elle le voulait un peu doré,  » un violon lumière « , dit-elle, qu’elle a appelé Valentine, le prénom de sa fillette. C’est avec lui qu’elle enseigne la musique à des tout-petits de 4 ou 5 ans – elle a concocté un cours à sa façon, un peu de Suzuki, beaucoup de ses souvenirs  » magiques  » et parfois même du Frère Jacques, elle veut simplement  » ouvrir des portes à un imaginaire « .  » J’ai l’impression d’avoir vécu cent vies « , dit-elle dans un murmure, rien pourtant ne semble ternir ses yeux si clairs, alourdir ses mains si légères. Le seul dépassement qui l’intéresse, c’est le sien. Céline rêve en musique.

Quartettsatz, Quatuor Alfama, Fuga Libera. Concert le 11 mai prochain à Flagey. www.quatuoralfama.com

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

La musique est ma maison.

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